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<< L'avenir, a dit un littérateur 1, est toute la vie du «sage; puisque le présent n'est jamais, et que le passé « ne sera plus. » Cette pensée est applicable à la science. L'avenir est toute la vie de la science; puisque le présent n'est que l'ignorance relative, et puisque le passé est l'erreur. La science, c'est la vérité se révélant progressivement. Pour la voir, laissons l'ombre derrière nous! Regardons l'Orient, où va rayonner la lumière!

La science du devoir est donc surtout la science de

ce qui doit être. Étudier ce qui est et ce qui fut, c'est bien commencer : c'est employer deux moyens d'arriver au résultat définitif. Mais confondre ces moyens provisoires avec le résultat, ce ne serait pas seulement mutiler la connaissance; ce ne serait pas seulement en prendre un tiers, ou deux tiers au plus, pour l'entier; ce serait la nier. Ce serait du moins se borner, comme dit Roussel2, à des efforts « condamnés à la stérilité « perpétuelle. »--Les trois parties de la science sont indivisibles.

594. Oh! sans doute, en ce qui touche l'action à exercer sur le corps social, la puissance du législateur et celle de l'interprète, théoricien ou praticien, ne sont pas les mêmes. - Le législateur a pour mission de donner, s'il le faut, aux lois existantes, la plus grande marque de mépris, en les abrogeant. - Le professeur

1 Charles Nodier, La Fée aux miettes.

• Encyclopédie du droit, partie I, section 11, chap. III.

Au chap. IV, S 100, il appelle le véritable jurisconsulte « un artiste émi• nemment utile à l'état social et aux particuliers.

D

Comparez le portrait de ce jurisconsulte avec celui du simple légiste, dans Ahrens (Cours de droit naturel, Introduction, chap. Iv).

dans sa leçon, le juge dans ses arrêts, conserveront pour elles ce respect qui, suivant l'expression naïve d'un ancien auteur, est avant tout « la règle des règles, « et générale loi des lois. » Ils n'auront, sur leur réformation, qu'une action indirecte, en remplissant le devoir de signaler au législateur les imperfections qu'elles présentent 1.

595. Mais la science! la science!... Elle est la même pour tous ceux qui veulent la conquérir et l'appliquer! C'est à vous que je m'adresse, hommes de foi sérieuse! Essayez, en étudiant une science, de vous arrêter avant d'avoir trouvé le point idéal le plus élevé que vous puissiez concevoir de son développement! Vous ne le pourrez! Pas plus que la barre de fer, saisie par d'irrésistibles engrenages, ne peut s'empêcher de passer par tous les degrés du laminoir! Pas plus que le vaisseau, surpris par un de ces tournants d'eau qui menacent, dans l'Océan, les navigateurs, ne peut s'empêcher de décrire des cercles dont le contour ira s'amoindrissant, jusqu'à ce qu'il trouve le point central, où il lui sera seulement permis de s'arrêter!

596. Et d'abord, convenons-en, est-il vraiment un esprit sérieux qui puisse se contenter de la première des trois sciences énumérées par le deuxième système? Qui osera dire: J'accepte la science seulement telle qu'elle est?..... Supposer un homme qui s'interdirait toute histoire et toute critique de la morale cţ du droit,

1 « Une censure, a-t-on dit, n'est pas une conspiration. Critiquer ou bla mer quelques lois, ce n'est pas renverser toutes les lois. Autant vaudrait • accuser quelqu'un d'assassiner les malades, lorsqu'il montre les fautes du « médecin. »

est-ce définir un praticien?... Non! c'est donner le portrait d'un guetteur de télégraphe, transmettant des signes dont il n'a pas la clef!

Un esprit sérieux arrivera donc du moins à la deuxième science, à la science telle qu'elle est et telle qu'elle a été; il cherchera, dans les origines des lois, le moyen d'en expliquer les obscurités.

597. Mais s'arrêtera-t-il là? - Nous ne pensons pas que la logique le lui permette. Il n'est pas vrai que le législateur scul ait besoin de l'étude philosophique du devoir. Si, avant de mettre son vote dans l'urne, un membre d'une assemblée délibérante doit avoir pris parti entre Descartes et Pascal sur la certitude, entre Herder et Vico sur la destinée de l'homme, entre la charité qui inspire Domat et l'égoïsme que préfère Helvétius', croit-on que cela soit moins nécessaire pour celui qui commente les lois votées? Erreur! A tout instant, professeurs et magistrats ont 1° à combler les lacunes des textes existants; 2o à en expliquer les obscurités; 3o à en classer méthodiquement les combinaisons; 4o à en signaler les défauts; 5° à en provoquer la révision. — Or, comment rempliront-ils toutes ces parties de leur mission, sans chercher, dans les études philosophi

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Ainsi que déjà nous l'avons dit, avec Leibnitz (Nouveaux Essais sur l'entendement humain, liv. IV, chap. x11): . Archélaüs, qui posera pour « principe que le juste, l'honnête et le déshonnête, sont uniquement déter«ininés par les lois, et non par la nature, aura sans doute d'autres me«sures du bien et du mal moral que ceux qui reconnaissent des obliga

«gations antérieures aux constitutions humaines : à moins que, a la ⚫ théorie sommeillant, et le sens commun reprenant son empire » (Rossi, Traité de droit pénal), « une inconséquence honorable ne recule devant un « odieux principe » (Foucart, Cours de droit administratif).

ques, la pensée de l'humanité, pour la comparer à celle du législateur? - Et cette pensée du législateur lui-même, si elle laisse quelque doute, ne seront-ils pas involontairement portés à l'interpréter suivant leur propre doctrine, dont ils subiront le joug? Si de Bonald et Cabanis, si de Maistre et Volney ne déposent pas le même vote dans l'urne législative, croiton qu'ils seront plus aisément d'accord pour combler les lacunes, expliquer les obscurités, généraliser les combinaisons, apprécier les dispositions et proposer le changement d'un code1?

598. Loin de vous donc, jeunes gens qui venez étudier dans nos écoles, loin de vous la paresse qui voudrait se contenter de notions incomplètes! Quelles que soient les carrières que vous suivrez dans la société, une doctrine pratique, historique et philosophique, munie de tout ce qui peut vous éclairer, vous est nécessaire.

En recherchant cette doctrine, vous verrez s'évanouir, comme vaine chimère, le reproche d'aridité qu'on fait injustement à la science du devoir. Ce reproche ne peut avoir crédit qu'auprès de ceux qui considèrent les lois comme un acte purement arbi

1 Ahrens (Cours de droit naturel, Introduction, chap. Iv), démontre combien, pour combler les lacunes et expliquer les difficultés des lois, le moyen grossier consistant à invoquer l'analogie d'un texte avec un autre, est dépassé par l'étude des principes philosophiques.

Domat demandait s'il n'y avait pas quelque compagnie où l'on examinât sur le bon sens comme sur la loi?

Rabelais, fort sérieux quand il veut l'être, reproche à Accurse, à Balde, à Barthole, de n'avoir pas entendu la moindre loi des Pandectes. Pourquoi ? « Les lois, dit-il, sont extirpées du milieu de philosophie morale et natu«relle. Comment l'entendront ces fous, qui ont, par Dieu! moins étudié ⚫en philosophie que ma mule ? »

traire de la puissance sociale. Si vous êtes, au contraire, de ceux qui voient, dans le législateur, l'instrument de l'humanité poursuivant le but mystérieux de la création, si la science du devoir est, à vos yeux, la recherche de la cause finale de toutes choses..... vous n'accuserez pas cette science d'aridité! Loin de là. Vous serez bien plutôt tentés de lui reprocher l'excès de richesse et d'étendue : « et si votre décou<< ragement survenait, ce serait en vue, non de l'exi« guité, mais de la sublimité du problème1! >>

Evitez, de toutes vos forces, ce découragement! Gardez fidèlement le dépôt des études sérieuses! Croyez, avec nous, que l'exploration du passé, la connaissance du présent, la méditation sur l'avenir constituent, non pas plusieurs sciences, mais plusieurs aspects indivisibles de l'unité de la science! En cultivant votre intelligence, ayez surtout pour but de lui donner l'activité qui cherche à construire! Écoutez ces belles paroles de saint Bernard: « Lucere et ardere perfec« tum est... Sunt quidam qui sciunt ut sciant, et est «< curiositas; sunt quidam qui sciunt ut sciantur, et « est vanitas; sunt quidam qui sciunt ut lucrentur, et « est cupiditas; sunt quidam qui sciunt ut ÆDIFICENT, « et est CHARITAS! »

• Premiers Essais de philosophie, pag. 8.

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