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Mais suffit-il d'imputer des crimes pour faire des coupables? Nous pouvons repousser ces horribles accusations. Qu'il nous soit d'abord permis d'observer qu'on ne les appuie d'aucunes preuves. Quand on produiroit les pieds de quelques pigeons ou les plumes d'un poulet, sont-ce là des témoins qui puissent être admis dans quelque tribunal que ce soit? Mais les grands crimes sont les suites de la misère et du besoin, et nous recevons tous les jours de vous, à dixhuit chats que nous sommes, une subsistance abondante. Il ne nous manque rien. Egratignerions-nous la main qui nous nourrit? Plus d'une fois, sous vos yeux, vos poulets sont venus manger avec nous au même plat, sans que vous ayez apperçu de notre part le plus léger mouvement d'impatience; et si l'on vous dit que nous ne mangeons jamais de poulets lorsqu'on nous observe, que c'est la nuit que nous commettons les meurtres dont on nous accuse, nous répondrons que ce sont nos calomniateurs qui se cachent dans les ténèbres pour tramer contre nous leurs lâches complots, puisqu'ils sont réduits à nous imputer des crimes nocturnes, que dément sans cesse notre conduite de tout le jour.

Mais, disent nos ennemis, la basse-cour de Madame lui coûte 25 louis par an, il s'y élève environ deux ou trois cents poulets, elle n'en mange pas cinquante, qui lui reviennent, par sa grande économie, à 12 liv. la pièce; et que devient le reste? Nous oserons le demander, d'abord nous a-t-on donné les poulets en compte et en garde, et pouvons-nous en répondre? Au milieu de ce grand nombre d'êtres destructeurs, les hommes, tous convaincus que les poulets ne sont au monde que pour être mangés par eux, ce n'est pas sur nous que doivent porter les premiers soupçons. Il se fait tous les dimanches à la porte du Bois de Boulogne et dans les cabarets d'Auteuil cent fricassées; n'est-il pas plus que vraisemblable qu'il s'y glisse quelques-uns de vos poulets? et certes ce n'est pas de nous que les aubergistes les tiennent. Après tout, Madame, et sans prétendre faire l'apologie des voleurs de poulets, qu'il nous soit permis d'observer que quelles que soient les causes qui en diminuent un peu le nombre, elles sont dans l'ordre de la nature et salutaires pour vous-même dans leurs effets, puisqu'elles contiennent dans des limites convenables la multiplication de cette espèce, qui convertiroit bientôt votre maison toute entière en un poulaillier, et qui vous réduiroit à n'avoir plus de chemises pour avoir plus de poulets.

Quant aux pigeons, on a vu disparoître, il est vrai, plusieurs des enfans de Coco; mais il ne faut pas que votre tendresse pour lui, qui va jusqu'à lui laisser 1 Pigeon apprivoisé et favori de Madame Helvétius.

casser vos porcelaines pourvu qu'il daigne manger dans votre main, vous rende injuste envers nous. Où est la preuve que nous ayons mangé ses enfans? Lui et ses pareils s'approchent-ils jamais de nous? Toujours sur les toits, ou se tenant à distance, ne nous montrent-ils pas une défiance dont nous aurions le droit d'être blessés ? Qu'on visite tout le bûcher au printems prochain; et si l'on découvre quelque trace du meurtre, nous serons les premiers à rechercher et à livrer le coupable: mais quoi, les pigeons ne sont pas, comme nous autres pauvres chats, attachés au sol qui les a vu naître; ils peuvent voler par les airs à une autre patrie; ceux qui vous manquent, jaloux sans doute de la préférence que vous montrez à quelques-uns d'entre eux, ont été chercher l'égalité dans des colombiers républicains, plutôt que de traîner l'aile sous la domination insolente de vos pigeons favoris.

L'accusation qu'on intente contre nous d'avoir attrapé quelques-uns de vos serins, est une imposture grossière. Les mailles de leurs volière sont si petites, que lorsqu'en jouant nous essayons d'y passer nos pattes, nous avons beaucoup de peine à les en retirer. Nous nous amusons, il est vrai, quelquefois à voir de près leurs jeux innocens; mais nous n'avons pas à nous reprocher le sang d'aucun de ces jolis oiseaux.

Nous ne nous défendrons pas de même d'avoir mangé autant de moineaux, de merles et de grives, que nous en avons pu attraper: mais ici nous avons pour nous vos Abbés mêmes, nos plus cruels ennemis: ils se plaignent sans cesse du dégât de cerises que les moineaux font, disent-ils, à leur préjudice. Le Sieur Abbé M. montre une haine ardente contre les grives et les merles, qui dépouillent vos treilles de raisins, ainsi que lui. Mais il nous semble, trèsillustre Dame, qu'il vaudroit autant que vos raisins fussent mangés par des merles que par des Abbés, et qu'en vain ferons-nous la chasse à ces pillards ailés si vous toléréz chez vous d'autres voleurs à deux pieds sans plumes qui y font encore de plus grands dégâts.

Nous savons qu'on nous accuse aussi de manger les rossignols qui ne volent rien, et qui chantent, dit-on, fort agréablement. Il se peut en effet que nous en ayons croqué quelques-uns, dans l'ignorance où nous étions de votre affection particulière pour eux; mais leur plumage terne et gris ressemble beaucoup à celui des moineaux, et nous ne nous connoissons pas assez en musique pour distinguer le ramage des uns et des autres. et des autres. Un chat de M. Piccini' nous a dit, que quand on ne savoit que miauler on ne pouvoit pas juger de l'art du chant, et cette

VOL. III.

1

Compositeur Italien.

2 U

maxime suffit à notre justification. Cependant nous mettrons désormais le plus grand soin à distinguer les Gluckistes,' qui sont, nous a-t-il dit, les moineaux, des Piccinistes, qui sont les rossignols. Nous vous supplions seulement de nous pardonner les erreurs où nous pourrions tomber en dénichant quelque couvée de Piccinistes, qu'il est impossible de reconnoître lorsqu'ils sont sans plumes, et qu'ils n'ont pas encore appris à chanter.

La dernière imputation que nous repousserons, très-illustre Dame, est celle qu'on tire contre nous du grand nombre de souris dont votre maison est infestée. Elles font, dit-on, un dégât horrible dans votre sucre et vos confitures; elles rongent les livres de vos savans, et jusqu'aux mules de Mademoiselle Luillier' dans le tems même qu'elle marche. On prétend que les chats n'étant créés et mis au monde par la Providence, (qui veille avec une égale bonté sur les chats et les souris,) que pour manger les souris, quand ils ne remplissent pas leur destination, on n'a rien de mieux à faire que de les noyer.

Certainement, très-illustre Dame, il vous est aisé de reconnoître le langage de l'intérêt personnel dans la bouche de nos accusateurs. Le Sieur Cabanis,' qui fait chez vous une consommation énorme de confitures et qui va sans cesse dérobant des morceaux de sucre lorsqu'il croit n'être pas vu, a ses raisons pour vous faire regarder comme un crime capital la gourmandise de quelques souris qui écornent un pain, ou entament avant lui un pot de gelée de groseilles: mais il montre une âme encore plus atroce qu'intéressée lorsqu'il nous juge dignes de mort parceque nous n'empêchons pas ces petites bêtes de faire la millième partie d'un dégât que lui-même, tout grand qu'il est, fait sans discrétion comme sans remords: et pousseroit-il plus loin sa barbarie envers nous si, comme lui et les souris, nous étions nous-mêmes des animaux sucro-phages et confituri-vores? N'est-il pas manifeste que sa gourmandise seule lui inspire des sentimens si cruels, et pourriez-vous leur donner entrée dans votre cœur?

Pour les livres du Sieur Abbé de la Roche et de cet autre savant, dont nous avons lu tout-à-l'heure le discours à l'Académie enveloppant un mou de veau que vous avez eu la bonté de nous faire donner, quel est donc le grand mal que les souris mangent un peu de leurs bouquins? à quoi leurs servent toutes leurs lectures? Depuis qu'ils vivent auprès de vous, ne doivent-ils pas s'être pleinement convaincus de l'inutilité du savoir? Ils vous voient bonne, sans le secours d'aucun Traité de Morale; aimable sans avoir lu l'Art de Plaire de notre

'Gluck, compositeur Allemand.

2 Vieille femme-de-chambre de Madame H.

3 Ani de Madame H. demeurant chez elle.

4 L'Abbé Morellet.

historiographe Moncrief, et heureuse sans connoître le Traité du Bonheur du malheureux Maupertuis; en même tems qu'ils sont les témoins journaliers de votre profonde ignorance. Ils savent beaucoup de choses, mais ils ignorent l'art que vous savez si bien de vous passer de rien savoir. Votre orthographe n'est pas beaucoup meilleure que la nôtre, et votre écriture ne vaut pas mieux que notre griffonage. Vous écrivez boneure pour bonheur; mais vous possédez la chose sans savoir comment son nom s'écrit; enfin, ce bonheur même qu'ils ne savent pas puiser dans leurs livres, du haut de votre ignorance vous le répandez sur eux. Les souris ne leur font donc pas un si grand tort.

Quant aux mules de Mademoiselle Luillier, pour peu qu'elle voulût aller moins lentement, les souris ne lui mangeroient pas les pieds; et il est étrange qu'on nous condamne à la mort parceque votre femme-de-chambre n'a guères plus de mouvement qu'un limaçon.

Ces raisons si fortes ne sont pas encore les seules qui peuvent nous excuser envers vous des dégâts que les souris font dans votre maison.

Ah! très-illustre Dame, en quelle conscience peut-on se plaindre de ce que nous ne prenons pas vos souris, lorsque vous avez sans cesse auprès de vous deux monstres altérés de notre sang, qui ne nous permettent pas d'approcher de votre chère personne comme la reconnoissance et le devoir nous y porteroient? deux chiens, c'est tout dire; animaux nourris dans la haine des chats, dont les aboiemens continuels nous remplissent de terreur. Comment ose-t-on nous reprocher de nous tenir éloignés des lieux où règnent ces animaux féroces, en qui la nature a mis l'aversion pour notre race et la force pour la détruire? Encore, si nous n'avions affaire qu'à des chiens François; leur haine ne seroit pas si active, leur ferocité seroit moindre; mais vous êtes toujours accompagnée d'un bull-dog que vous avez fait venir d'Angleterre, (au mépris des sages dispositions de M. le Contrôleur Général) et qui nous hait doublement, comme chats d'abord, et de plus comme chats François. Nous voyons, sous nos yeux, tous les jours les cruels effets de sa rage dans la queue dépouillée de notre frère Le Noir. Notre zèle pour votre service, et même le goût que nous avons pour les souris nous conduiroit à la chasse dans vos appartemens, si nous n'en étions pas bannis par ces ennemis redoutables que vous en avez rendus les maîtres. Qu'on cesse donc de nous reprocher les désordres que causent chez vous les souris, puisqu'on nous met dans l'impossibilité de les réprimer.

Hélas! ils ne sont plus ces tems heureux où l'illustre chat Pompon régnoit dans ces mêmes lieux, dormoit sur vos genoux, et reposoit sur votre couche;

où cette Zémire,' aujourd'hui si ardente à nous chasser de chez vous, et qui entre en fureur au seul mot de chat, faisoit humblement sa cour au favori dont elle occupe aujourd'hui la place. Alors nous marchions la queue levée dans toute la maison. Feu M. Pompon daignoit quelquefois partager avec le dernier d'entre nous les lapins que Sa Majesté lui envoyoit de sa chasse, et à l'ombre du crédit de cet illustre favori nous jouissions de quelque paix et de quelque bonheur. Cet heureux tems n'est plus ! Nous vivons sous un règne de chien, et nous regrettons sans cesse le chat sous l'empire duquel nous avons coulé de si beaux jours! Aussi allons-nous toutes les nuits arroser de nos pleurs le pied du cyprès que couvre sa tombe.

Ah! très-illustre Dame, que le souvenir du chat que vous avez tant aimé, vous touche au moins de quelque pitié pour nous. Nous ne sommes pas à la vérité de sa race, puisqu'il fut voué dès sa jeunesse à la chasteté ; mais nous sommes de son espèce. Ses mânes, errans encore dans ces lieux, vous demandent la révocation de l'ordre sanguinaire qui menace nos jours nous employerons tous ceux que vous conserverez à vous miauler notre vive reconnoissance, et nous la transmettrons aux cœurs de nos enfans et des enfans de nos enfans.

[Translation.]

AN HUMBLE PETITION,

PRESENTED TO MADAME HELVETIUS BY HER CATS.

MOST ILLUSTRIOUS AND EXCELLENT LADY,

A TERRIBLE piece of news has just reached us to interrupt the happiness we enjoyed in your poultry-yard and wood-yard. We learn, that in consequence of certain calumnious representations on the part of our enemies your Abbés, a sentence of proscription has been issued against us, and that by means of a diabolical invention, we are all to be seized, put into a cask, rolled down to the river, and abandoned to the mercy of the waters. At the moment in which we are drawing up this our humble request, we hear the strokes of the hammer and hatchet from the hands of your coachman, who is employed to frame the instrument of our destruction.

But, most illustrious lady, shall we be condemned without being heard? and shall we be the only creatures among so many fed and nourished by you, who do not find your bosom alive to justice and compassion?-We see your beneficent hand every day feeding two or three hundred

I Petite chienne.

2 The Abbés Morellet and La Roche.

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