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société nouvelles (1). Ces modifications constituent un des grands progrès accomplis par l'espèce humaine. Les prêtres de l'Égypte disaient à Solon que les Grecs étaient des enfants; les enfants, dans les vues de la Providence, devaient surpasser leurs pères; c'est aux travaux de la race hellénique que l'Occident doit la civilisation supérieure qui le distingue du monde oriental.

$3. Progrès de la Grèce sur l'Orient. Elle brise la caste.

Le caractère distinctif de l'Orient, au point de vue du développement de l'humanité, c'est l'institution des castes. Les monarchies conquérantes brisèrent les castes, mais au profit d'un seul; le pouvoir du despote absorbe en lui les forces sociales; prêtres, guerriers, artisans, agriculteurs sont confondus dans une grande masse, tous sont les esclaves du Grand Roi; l'égalité est la servitude, l'unité le despotisme. Moïse rejeta les castes, mais il anéantit l'individualité sous la toute-puissance du Dieu unique; l'égalité exista dans le Mosaïsme, mais sans la liberté..

Il faut quitter l'Orient pour rencontrer une société organisée d'après un nouveau principe. La Grèce réalise la liberté et l'égalité, au moins dans la cité; il n'y a plus de castes de naissance; le sacerdoce, la guerre sont des fonctions; l'homme libre est l'égal de l'homme libre : l'unité fait pour la première fois son apparition dans l'ordre politique, et ce n'est plus dans la personne d'un despote, ni dans la toute-puissance divine, c'est dans le corps des citoyens qui constituent l'État. La Grèce est-elle entrée de prime abord dans ce nouvel ordre de choses, ou est-elle passée par un régime analogue à celui des castes?

L'opinion que les Grecs auraient été primitivement organisés par castes, a pour elle l'autorité de Platon (2). On ne peut pas

(1) Sur les modifications que l'esprit grec fit subir aux conceptions religieuses de l'Orient, voy. Benjamin Constant, De la Religion, V, 5.

(2) Critias, p. 112 B. Cf. Tim., p. 24 A. Ceux des écrivains modernes qui admettent que la religion grecque a ses racines en Orient, abondent dans ces idées (Fr. Schlegel, Werke, t. III, p. 208-213; comparez Benj. Constant, De la Religion, liv.V, ch. 2; Platner, Beiträge zur Kentniss des attischen Rechts, p. 1-42); mais elles ont rencontré de nombreux ad

établir par des preuves directes, l'existence d'un régime théocratique dans des temps antérieurs à toute histoire; cependant il est resté dans la société grecque des traces d'une ancienne organisation par castes. Telle est cette obscure division de l'Attique en quatre tribus, que les historiens anciens comparaient déjà aux castes égyptiennes (1); certaines familles avaient le privilége héréditaire d'exercer les fonctions sacerdotales (2); d'autres se transmettaient des connaissances spéciales, la médecine, la poésie, la sculpture (3); Aristote attribue à Minos une division en classes qu'il compare à celle des Égyptiens (4).

La Grèce est sortie de l'Orient : asiatique dans son origine, elle a dû présenter l'image du monde oriental. Cependant dans les temps historiques il n'y a plus de castes (§). Ce qui carac

versaires parmi les savants qui croient à l'autochtonie de la civilisation hellénique (Brouwer, État de la civilisation morale et religieuse des Grecs dans les siècles héroïques, t. I, p. 263 et suiv.; Tittmann, Darstellung der griechisch. Staatsverfass., p. 81-86, 567-664; Koutorga, Essai sur l'organisation de la tribu dans l'antiquité, p. 80-109),

(1) Les Égyptiens se prévalaient de cette division pour prétendre que la célèbre cité de Minerve descendait d'une colonie égyptienne (Diodor., I, 28). La signification des quatre tribus est un des points les plus obscurs de l'antiquité grecque. Les historiens anciens étaient déjà en désaccord sur l'origine des noms qui les désignaient et sur le sens de l'institution (Herod., V, 66; cf. Eurip., Jon. 1575 seqq.; Plutarch., Solon, 28; cf. Strab., VIII, p. 383, ed. Casaub.) Les savants ont vainement essayé de concilier leurs témoignages; ils ne s'accordent pas davantage entre eux. Les uns voient dans les tribus attiques un vestige de l'institution des castes (Hermann, Griech. Staatsalterthüm., t. I, SS 6. 94; Platner, Beitraege, p. 120); d'autres, des immigrations successives de diverses tribus, coexistant sur le même territoire sans qu'il y eût entre elles des relations de caste; mais ils admettent que la conquête amena la domination des vainqueurs et l'assujettissement des vaincus (Koutorga, Essai sur la tribu attique, p. 79 et suiv.; Wachsmuth, Hellen. Alterthumskunde, § 40, t. I, p. 355-357; Grote, History of Greece, t. III, p. 59 et suiv.). L'opinion de Hermann a pour elle l'autorité de Platon et des historiens anciens.

(2) Wachsmuth, Hellenische Alterthumskunde, t. II, § 138, p. 620623, donne l'énumération de ces familles sacerdotales.

(3) Hermann, § 6, note 6; Muller, Die Dorier, t. II, p. 26; Brouwer, Histoire de la civilisation morale et religieuse des Grecs, t. III, p. 218219.

(*) Arist., Polit. VII, 9, 1.

(5) Benj. Constant, De la Religion, V, 1; Schoemann, Antiquitates juris publici Graecorum, III, § 8, p. 66 seq.

térise le régime théocratique, c'est l'existence d'un sacerdoce dominant toutes les classes de la société, même les guerriers, et constituant à lui seul l'État. Le polythéisme grec a eu ses prêtres, comme toute religion; mais déjà dans les siècles héroïques ils ne forment plus une caste, pas même un ordre à part dans la société. Les brâhmanes sont les intermédiaires nécessaires entre la Divinité et les hommes; un roi ne peut s'acquitter des fonctions sacrées; Dieu seul peut créer un brâhmane (1). Dans l'Iliade, dans l'Odyssée, les rois offrent des sacrifices (2); les chefs des guerriers sont en même temps prètres et devins; l'ordre civil absorbe l'ordre religieux. Les sacerdoces héréditaires sont une rare exception, un dernier vestige peut-être d'un régime déchu; mais ils ne conservent rien de leur puissance primitive; ils sont subordonnés à l'État (3).

La caste a disparu pour faire place à la cité. Comment cet immense progrès s'est-il accompli? Un philosophe français (4) dit que le régime des castes ne s'est pas maintenu dans le monde occidental, parce que le sacerdoce n'y a pas été constitué à l'état d'ordre héréditaire. Cette explication ne fait que reculer la difficulté; pourquoi la Grèce, émanée de l'Orient, initiée à la vie intellectuelle par des colonies sacerdotales, n'a-t-elle pas eu une caste de prêtres? et si une caste pareille a existé dans le principe, pourquoi s'est-elle dissoute? D'autres écrivains ont attribué à des influences locales, accidentelles, une révolution qui a ouvert de nouvelles destinées au genre humain (5). Peut-être serait-il plus vrai de dire que les castes n'étaient pas en harmonie avec le génie de la race hellénique. L'Inde est tellement imbue de l'esprit d'iné

(1) Voyez tome I, le Livre de l'Inde.

(2) Iliad. II, 402 seq.; Odyss. III, 430 seq.

(3) Le plus grand nombre de prêtres étaient nommés, comme les magistrats, par le peuple, ou élus au sort; leurs fonctions étaient temporaires (Brouwer, Hist. de la civilis., t. III, p. 216-220), et elles ne les dispensaient pas de remplir leurs devoirs de citoyen (Plutarch. Arist., c. 5); leur ministère était une magistrature.

(*) P. Leroux, dans l'Eucyclopédie Nouvelle, au mot Castes, t. III, p. 310.

(*) Hermann, Griech. Staatsalterth., § 6.

galité que les Parias eux-mêmes se partagent en castes, qui se renvoient le mépris dont elles sont couvertes par les classes privilégiées. Les Grecs ont à un haut degré le sentiment de la valeur personnelle; ils ne rapportent pas, comme les Indiens, l'origine des diverses classes de la société à des créations différentes et subordonnées l'une à l'autre ; ils se glorifient de leur autochthonie, ils sont enfants de la terre, c'est là leur titre de noblesse et tout homme libre y a part. La caste est dans la nature de l'Orient, l'égalité est dans le sang des peuples occidentaux. Notre explication n'est en définitive que la constatation d'un fait; mais en poussant à bout les recherches sur les origines et les causes, on arrive toujours à des mystères : « Le génie d'un peuple, dit Ballanche (1), » résulte d'un fait primitif, d'un fait mystérieux, analogue à un >> fait cosmogonique; s'il y a quelque possibilité de le signaler, il » y a impossibilité absolue de l'expliquer. »

S4. La Grèce ne parvient pas à réaliser l'unité dans la cité.

L'abolition des castes forme le progrès le plus considérable que le genre humain ait fait dans la voie de l'unité. La caste divise l'humanité en classes fondamentalement distinctes, entre lesquelles il n'y a pas d'union possible. Dans la croyance des Indiens un roi même ne peut devenir brâhmane que par l'intervention du Créateur, et vraiment il a fallu l'action divine pour faire tomber cette barrière. Lorsque les hommes cessent de se considérer comme des êtres inégaux par la volonté de Dieu, ils n'ont plus qu'un pas à faire pour concevoir l'égalité. La Grèce et Rome ont marché vers ce but, mais elles ne l'ont pas atteint. La Grèce brise la caste, mais elle maintient l'esclavage; elle organise la cité, mais la division règne dans la cité et entre les cités.

L'esclavage est lié intimément à l'organisation sociale de la Grèce. Le citoyen délibère sur les affaires publiques, il combat pour sa patrie; quand la paix lui laisse des loisirs, les fêtes religieuses, les jeux, les exercices gymnastiques réclament sa pré

(1) Palingénésie, Préface, t. III, p. 16 et suiv., édit. in-8°.

sence. Dans sa fierté aristocratique, l'homme libre se croyait une destination plus noble que celle du travail manuel : des esclaves remplissaient les fonctions matérielles de la vie. Cette organisation de la liberté a été admirée comme un idéal. Au milieu du XVIIIe siècle, le philosophe de la démocratie, examinant les conditions sous lesquelles la liberté peut se réaliser, représente la` Grèce libre avec des esclaves et s'écrie: « Quoi! la liberté ne se » maintient qu'à l'appui de la servitude? Peut-être » (1). De graves historiens ont parlé comme Rousseau des bienfaits de l'esclavage : sans la servitude, disent-ils, les Grecs n'auraient pas développé. leur riche civilisation, nécessaire aux progrès de l'humanité (2). Faut-il s'étonner, si les philosophes anciens n'ont pas douté de la légitimité de l'esclavage? A entendre le grand logicien de l'antiquité soutenir qu'il y a des hommes libres par nature et d'autres qui naissent esclaves (3), on se croirait encore dans l'Inde brâhmanique; il y a en effet dans cette conception de l'esclavage quelque chose qui rappelle la division originelle des hommes en castes fatalement séparées par la naissance. La distinction ne se bornait pas à l'homme libre et à l'esclave, elle embrassait l'humanité tout entière, que l'orgueil hellénique séparait en Grecs et Barbares, les premiers nés libres, les seconds nés esclaves. Cette théorie se traduisait en faits; les esclaves se recrutaient parmi les Barbares, et comme tels ils ne pouvaient jamais devenir les égaux des hommes libres; il y avait en eux une tache de naissance que l'affranchissement diminuait, mais n'effaçait pas les Barbares ne pouvaient pas devenir Hellènes (4). Cependant l'affranchissement était une voie ouverte par la Providence pour sortir d'une organisation sociale qui violait la nature humaine dans son essence. La possibilité de l'affranchissement distingue profondément l'esclavage des

(1) Rousseau, Contrat social, III, 16. Cette opinion était partagée par une classe de politiques qui revendiquaient avec le plus de zèle la liberté civile pour les hommes libres. Hume a réfuté cette singulière théorie (Discours politiques, X, t. 2, p. 50 et suiv.)

(3) Heeren, Ideen über die Politik. Griechen, p. 234.

(3) V. infra liv. VII, ch. 2, § 7.

(*) Petit, Leg. Attic., II, 8, 8.

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