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que la grandeur et souveraineté leur apporte, dont ils leur sont peculiers.

les douze premlers Cesars et tant d'autres après eux. Mais pource que peu croient cecy et se

Les mœurs ordinaires des grands sont orgueil laissent decevoir à la belle mine, je veux plus indomptable :

.... Durus et veri insolens, Ad recta flecti regius non vult tumor 1.

Violence trop licentieuse :

Id esse regni maximum pignus putant,
Si quicquid aliis non licet solis licet...
Quod non potest vult posse qui nimium potest.

Leur mot favori est : Quod libet licet. Souspeçon, jalousie : Suapte natura, potentiæ anxii, voire jusques à leurs enfans: Suspectus semper invisusque dominantibus quisquis proximus destinatur.... adeo ut displiceant etiam civilia filiorum ingenia 5, d'où vient qu'ils sont souvent en allarme et en crainte : Ingenia regum prona ad formidinem 6.

Les advantages des roys et princes souverains par dessus le peuple, qui semblent si grands et esclatans, sont en verité bien legers et quasi imaginaires; mais ils sont bien payés par des grands, vrays et solides desadvantages et incommodités. Le nom et tiltre de souverain, la monstre et le dehors est beau, plaisant et ambitieux; mais la charge et le dedans est dur, difficile et bien espineux. Il y a de l'honneur, mais peu ou point de repos et de joye; c'est une publique et honorable servitude, une noble misere, une riche captivité, aureæ et fulgidæ compedes, clara miseria 7. Tesmoin ce qu'en ont dict et faict Auguste, Marc Aurele, Pertinax, Diocletian, et la fin qu'ont faict presque tous

(1) L'orgueil des rois repousse durement la vérité et dédaigne de suivre même les conscils les plus salutaires. SÉN. Hippolytus, Act. 1, sc. II, v. 155.

(2) Ils pensent que le plus grand avantage de la royauté est qu'il leur soit permis ce qui n'est pas permis aux autres... — Celui qui peut trop veut pouvoir ce qu'il ne peut pas. SÉN. Agamemnon, act. II, sc. II, v. 271. IDEM, Hippolytus, act. I, SC. II, v. 214.

(3) Ce qui plalt est permis. Spartian. Caracalla, vers la fin. (4) Par leur nature, ils sont soupçonneux et jaloux de leur puissance. TAG. Annal. liv. IV, c. 12.

(5) Tout proche parent d'un souverain, et qui est destiné à lui succéder, lui est par là même suspect et odieux...—Et c'est pour cela que les enfants d'un caractère agréable au peuple sont ceux qui leur déplaisent le plus. TAC. Hist. liv. 1, c. 21. — Annal. liv. II, c. 82.

(6) Les esprits des rois sont très portés à la crainte. TAC. Hist. liv. IV, c. 83.

(7) Chaines dorées et brillantes, illustre misère.

particulierement cotter les incommodités et miseres qui accompagnent les souverains.

Premierement, la difficulté grande de bien jouer leur roole et s'acquitter de leur charge; car que doibt-ce estre que de reigler tant de gens, puis qu'à reigler soy-mesme il y a tant de difficultés? Il est bien plus aisé et plus plaisant de suyvre que de guider, n'avoir à tenir qu'une voye toute tracée que la tracer, à obéir qu'à commander et respondre de soy seul que

des autres encores :

Ut satius multo jam sit parere quietum
Quam regere imperio res velle 1...

Joinct qu'il semble requis que celuy qui commande soit meilleur que ceux à qui il commande, ce disoit un grand commandeur, Cyrus. Ceste difficulté se monstre par la rareté, tant peu sont tels qu'ils doibvent estre. Vespasien a esté seul, dict Tacite, de ses predecesseurs qui s'est rendu meilleur 2; et selon le dire d'un ancien, tous les bons princes se pourroient bien graver en un anneau3.

Secondement aux voluptés et plaisirs dont on pense qu'ils ont bien meilleure part que les autres, ils y sont certes de pire condition que les privés, car, outre que ce lustre de grandeur les incommode à la jouyssance de leurs plaisirs, à cause qu'ils sont trop esclairés, et trop en butte et en eschec, ils sont contreroollés et espiés jusques à leurs pensées que l'on veust deviner et juger. Encores la grande aisance et facilité de faire ce qu'il leur plaist, tellement que tout plove soubs cux, oste le goust et l'aigre douce poincte qui doibt estre aux plaisirs; lesquels ne resjouyssent que ceux qui les goustent et rarement et avec quelque difficulté ; qui ne donne loisir d'avoir soif ne sçauroit avoir plaisir à boire ; la satieté est ennuyeuse et faict mal au cœur :

Pinguis amor nimiumque potens in tædia nobis
Vertitur et stomacho dulcis ut esca nocet.

(1) De manière qu'il vaut bien mieux obéir tranquillement que de vouloir gouverner. LUCRET. liv. V, v. 1126.

(2) Solus omnium ante se principum in melius mutatus est. TAC. Ilist. liv. 1, c. 50, in fine.

(3) In uno annulo bonos principes posse prescribi atque depingi. Voriscus, in Aureliano, c. 42.

(4) Un amour qui peut se satisfaire trop facilement se

1

Il n'est rien si empeschant, si degousté que l'abondance; voire ils sont privés de toute vraye et vive action qui ne peut estre sans quelque difficulté et resistance; ce n'est pas aller, vivre, agir à eux, c'est sommeiller et comme insensiblement glisser.

chascun fleschist soubs eux et leur donne gaigné: mais le cheval, qui n'est ny flatteur ny courtisan, met aussi bien par terre le prince que son escuyer. Plusieurs grands ont refusé des louanges et approbations offertes, disans: Je les estimerois, accepterois et m'en ressentirois, si elles partoient de gens libres qui osassent dire le contraire, et me taxer advenant

Le cinquiesme est qu'ils sont privés de la liberté d'aller et voyager par le monde1, estant comme prisonniers en leurs pays, voire dans leurs palais mesmes, comme enveloppés de gens, de parleurs et regardans, et ce par-tout où ils sont en toutes leurs actions, voire jusques à leur chaire percée, dont le roy Alphonse disoit qu'en cela les asnes estoient de meilleure condition que les roys.

Le troisiesme chef de leurs incommodités est au mariage; les mariages populaires sont plus libres et volontaires, faicts avec plus d'affec-subject de le faire. tion, de franchise et de contentement. Une raison de cecy peust estre que les populaires trouvent plus de partis de leur sorte à choisir ; les roys et princes, qui ne sont pas en foule, comme l'on sçait, n'ont pas beaucoup à choisir. Mais l'autre raison est meilleure, qui est que les peuples en leurs mariages ne regardent qu'à faire leurs affaires et s'accommoder; les mariages des princes sont souvent forcés par la necessité publique, sont pieces grandes de l'estat et outils servans au bien et repos general du monde. Les grands et souverains ne se marient pas pour eux-mesmes, mais pour le bien de l'estat, duquel ils doibvent estre plus amoureux et jaloux que de leurs femmes et de leurs enfans. A cause de quoy il faut souvent qu'ils entendent à des mariages où n'y a amour ny plaisir, et se font entre personnes qui ne se cognoissent et ne se virent jamais, et ne se portent aucune affection voire tel grand prend une grande, que, s'il estoit moindre, il ne la voudroit pas ; mais c'est pour servir au public, pour asseurer leurs estats et mettre en repos les peuples.

Le quatriesme est qu'ils n'ont aucune vraye part aux essais que les hommes font les uns contre les autres par jalousie d'honneur et de valeur, aux exercices de l'esprit ou du corps, qui est une des plus plaisantes choses qui soit au commerce des hommes. Cela vient que tout le monde leur cede, tous les espargnent et ayment mieux celer leur valeur et trahir leur gloire que de heurter et offenser celle de leur souverain, s'ils cognoissent qu'il aye affection à la victoire. C'est à la verité par force de respect les traiter desdaigneusement et injurieusement, dont disoit quelqu'un' que les enfants des princes n'apprenoient rien à droict qu'à manier chevaux, pource qu'en tout autre exercice

change en dégoût, semblable à ces aliments trop doux qui
donnent des nausées. OVID. Amor. cleg. XIV, v. 25.
(1) Carnéades.

Le sixiesme chef de leurs miseres est qu'ils sont privés de toute amitié et société mutuelle, qui est le plus doux et le plus parfaict fruict de la vie humaine, et ne peust estre qu'entre pareils ou presque pareils. La disparité si grande les met hors du commerce des hommes; tous ces services, humilités et bas offices, leur sont rendus par ceux qui ne les peuvent refuser et ne viennent d'amitié, mais de subjection, ou pour s'agrandir ou par coustume et contenance; tesmoin que les meschants roys sont aussi bien servis, reverés que les bons, les hays que les aymés; l'on n'y cognoist rien, mesme appareil, mesme ceremonie ; dont respondit l'empereur Julien à ses courtisans qui le louoyent de sa bonne justice: Je m'enorgueillerois par adventure de ces louanges si elles estoient dictes de gens qui osassent m'accuser, et vituperer mes actions contraires, quand elles y seroient3.

Le septiesme poinct de leurs miseres, pire peut-estre que tous et plus pernicieux au public, est qu'ils ne sont pas libres aux choix des personnes, ny en la science vraye des choses. Il ne leur est permis de sçavoir au vray l'estat des affaires, ny de cognoistre, et par ainsi ny employer et appeler tels qu'ils voudroient bien, et seroit bien requis. Ils sont enfermés et assiegés de certaines gens qui sont ou de leur sang propre, ou qui, pour la grandeur de leurs maisons et offices, ou par prescription, sont si

(1) XÉNorn, Hieron.
(2) XENOrn. Hieron,

(3) AMM. MARC, lv, XXII, c. 10.

avant en authorité, force et maniement des affaires, qu'il n'est loysible, sans mettre tout au hasard, les mescontenter, reculer ou mettre en jalousie. Or ces gens là, qui couvrent et tiennent comme caché le prince, empeschent que toute la verité des choses ne luy apparoisse, et qu'autres meilleurs et plus utiles ne s'en approchent et ne soient cognus ce qu'ils sont; c'est pitié de ne voir que par les yeux et n'entendre que par les oreilles d'autruy, comme font les princes. Et ce qui acheve de tous poincts ceste misere, c'est qu'ordinairement et comme par un destin les princes et grands sont possedés par trois sortes de gens, pestes du genre humain, flatteurs, inventeurs d'imposts, delateurs, lesquels, sous beau et fauls pretexte de zele et amitié envers le prince, comme les deux premiers, ou de preud'hommie et reformation comme les derniers, gastent et ruinent et le prince et l'estat.

La huictiesme misere est qu'il sont moins libres et maistres de leurs volontés qué tous autres; car ils sont forcés en leurs procedures par mille considerations et respects, dont il faut souvent qu'ils captivent leurs desseins, desirs et volontés: In maxima fortuna minima licentia1.Et cependant, au lieu d'estre plaincts, ils sont plus rudement traités et jugés que tous autres; car l'on veust deviner leurs desseings, penetrer dedans leurs cueurs et intentions, ce que ne pouvant, abditos principis sensus et si quid occultius parat exquirere, illicitum, anceps, nec ideo assequare, et regardant les choses par autre visage, ou n'entendant assez aux affaires d'estat, requierent de leurs princes ce qui leur semble qu'ils doivent, blasment leurs actions, ne veulent souffrir d'eux ce qui est necessaire, et leur font le procès bien rudement.

Finalement il advient souvent qu'ils font une fin totalement miserable, non seulement les tyrans et usurpateurs, cela leur appartient, mais encores les vrais titulaires; tesmoins tant d'empereurs romains après Pompée le Grand et Cesar, et de nos jours Marie, Royne d'Escosse, passée par main de bourreau, et Henry troi

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siesme assassiné1, au milieu de quarante mille hommes armés, par un petit moyne, et mille tels exemples. Il semble que, comme les orages et tempestes se piquent contre l'orgueil et hauteur de nos bastiments, il y aye aussi des esprits envieux des grandeurs de ça bas:

Usque adeo res humanas vis abdita quædam
Obterit, et pulchros fasces sœvasque secures
Proculcare, ac ludibrio sibi habere videtura.

Bref, la condition des souverains est dure et dangereuse; leur vie, pour estre innocente, est infiniment laborieuse; si elle est meschante, ils sont à la hayne et mesdisance du monde ; et en tous les deux cas ils sont exposés à mille dangers; car plus grand est le seigneur, et moins se peut-il fier, et plus luy faut-il se fier; voilà pourquoy c'est chose comme annexée à la souveraineté d'estre trahye.

De leur debvoir au liv. III, chap. xvI.

CHAPITRE LI.

Magistrats.

Il y a grande distinction et divers degrés de magistrats tant en honneur qu'en puissance, qui sont les deux choses considerables pour les distinguer, et qui n'ont rien de commun ensemble; et souvent ceux qui sont les plus honorés ont moins de puissance, comme conseillers du privé conseil, secretaires d'estat. Aucuns n'ont que l'un des deux; autres tous les deux ; et de tous divers degrés; mais sont proprement dicts magistrats qui ont tous les deux.

Les magistrats, qui sont mitoyens entre le souverain et les particuliers, en la presence de leur souverain n'ont point puissance de commander. Comme les fleuves perdent leur nom et puissance à l'emboucheure de la mer, et les astres en la presence du soleil, ainsi toute la puissance des magistrats est tenue en souffrance en la presence du souverain; comme aussi la puissance des magistrats inferieurs et subalternes en la presence des superieurs. Entre egaux il n'y a point de puissance ou de su

(1) Le 1er août 1589, par Jacques Clément.

(2) Tant il est vrai qu'il y a une puissance secrète qui semble se jouer des choses humaines, et qui foule aux pieds les superbes faisceaux et les haches cruelles des licteurs! LUCRET. liv. V, v. 1232,

periorité, mais les uns peuvent empescher les autres par opposition et prevention.

Tous magistrats jugent, condemnent et commandent ou selon la loy, et lors leur sentence n'est qu'execution de la loy, ou selon l'equité, et tel jugement s'appelle le debvoir du magistrat.

Les magistrats ne peuvent changer ny corriger leurs jugements, si le souverain ne le permet, sur peine de fauls; ils peuvent bien revoquer leurs mandemens ou les soutenir, mais ils ne peuvent revoquer ce qu'ils ont jugé et prononcé avec cognoissance de cause.

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Du debvoir des magistrats, voyez liv. III.

CHAPITRE LII.

Legislateurs, docteurs, instructeurs.

C'est une des vanités et folies de l'homme de prescrire des loix et des reigles qui excedent l'usage et la forme humaine, comme aucuns philosophes et docteurs font. Ils proposent des images de vie relevées, ou bien si difficiles et austeres que la practique en est impossible, au moins pour long temps, voire l'essay en est dangereux à plusieurs : ce sont des peinctures

* Variante. C'est une des vanités de l'homme de prescrire des lois et des reigles qui excedent l'usage et la forme humaine; c'est la coustume des prescheurs et legislateurs de proposer des images de vie, que ny le proposant, ny les auditeurs, n'ont esperance aucune, ny bien souvent, qui plus est, la volonté de suivre. L'homme s'oblige à estre necessaire

ment en faute, et se taille à son escient de la besongne plus

s'il

qu'il ne sçauroit faire; il n'y a si homme de bien que, est examiné selon les loix et debvoir en ses actions et pensées, qui ne soit coupable de mort cent fois. La sagesse humaine n'arrive jamais au debvoir qu'elle-mesme se prescript:

en l'air, comme les republiques de Platon et de Morus, l'orateur de Ciceron, le poëte d'Horace, belles et excellentes imaginations; mais cherchez qui les mettra en usage. Le souverain et parfaict legislateur et docteur s'est bien gardé de cela, lequel et en soy-mesme, sa vie et sa doctrine, n'a point cherché ces extrava. gances et formes esloignées de la commune portée et capacité humaine, dont il appelle son joug et sa tasche douce et aisée : Jugum meum suave et onus meum leve'. Et ceux qui ont dressé leur compagnie soubs son nom ont très prudemment advisé que, bien qu'ils fassent profession singuliere de vertu, devotion, et de servir au public sur tous autres, neantmoins ils ont très peu de differences de la vie commune et civile. Or premieremeut y a en cecy de l'injustice, car il faut garder proportion entre le commandement et l'obeissance, le debvoir et le pouvoir, la reigle et l'ouvrier; et ceux-cy s'obligent et les autres à estre necessairement en faute, taillans à escient de la besongne plus qu'ils n'en sçauroient faire ; et souvent ces beaux faiseurs de reigle sont les premiers mocqueurs, car ils ne font rien, et souvent tout au rebours de ce qu'ils enjoignent aux autres, à la pharisaïque : Imponunt onera gravia, et nolunt ea digito movere 2. Ainsi font quelques medecins et theologiens; le monde vit ainsi; l'on instruit, l'on enjoinet de suivre certaines reigles et preceptes, et les hommes en tiennent d'autres, non-seulement par desreiglement de vie et de mœurs, mais souvent par opinion et jugement contraire.

Encores une autre faulte pleine d'injustice, ils sont beaucoup plus scrupuleux, exacts et rigoureux aux choses libres et accidentales

outre l'injustice qui est en cecy, c'est exposer en moquerie et qu'aux necessaires et substantielles, aux posi

risée toutes choses; il faudroit qu'il y eust plus de proportion entre le commandement et l'obeissance, le debvoir et le pouvoir. Et ces faiseurs de reigles sont les premiers moqueurs; car ils ne font rien, et souvent encore tout au rebours de ce qu'ils conseillent, les prescheurs, legislateurs, juges, medecins le monde vit ainsi; l'on instruict et l'on enjoinct de suivre les reigles et preceptes, et les hommes en tiennent un autre, non par desreiglement de vie et mœurs seulement, mais souvent par opinion et par jugement contraire. Autre chose est de parler en chaire et en chambre, donner leçon au peuple et la donner à soy-mesme; ce qui est bon et de mise à soy seroit scandaleux et abominable au commun. Mais Seneque respond à cela quoties parùm fiduciæ est in his in quibus imperas, amplius exigendum est quàm satis est, ut præstetur quantum satis est: in hoc omnis hyperbole excedit, ut ad verum mendacio veniat. liv. 1, c. 47 de l'éd. de 1601.

tives et humaines qu'aux naturelles et divines, ressemblans à ceux qui veulent bien prester, mais non payer leurs debtes, le tout à la pharisaïque, comme leur crie et reproche le grand docteur celeste; tout cela est hypocrisie et mocquerie.

(1) Mon joug est doux, et mon fardeau léger. Evang. de S. MAT. C. 11, v. 30.

(2) is imposent de lourds fardeaux et ne veulent pas sculement les remuer du doigt. S. MAT. c. 23, v. 4.

CHAPITRE LIII.

Peuple ou vulgaire.

Le peuple (nous entendons icy le vulgaire, la tourbe et lie populaire, gens, soubs quelque couvert que ce soit, de basse, servile et mechanique condition) est une bete estrange à plusieurs testes, et qui ne se peut bien descrire en peu de mots, inconstant et variable, sans arrest, non plus que les vagues de la mer; il s'esmeut, il s'accoyse, il approuve et reprouve en un instant mesme chose ; il n'y a rien plus aisé que le poussér en telle passion que l'on veut; il n'ayme la guerre pour sa fin, ny la paix pour le repos, sinon en tant que de l'un à l'autre il y a toujours du changement; la confusion luy faict desirer l'ordre, et quand il y est luy desplaist. Il court toujours d'un contraire à l'autre, de tous les temps le seul futur le repaist: hi vulgi mores, odisse præsentia, ventura cupere, præterita celebrare1.

Leger à croire, recueillir et ramasser toutes nouvelles, surtout les fascheuses, tenant tous rapports pour veritables et asseurés : avec un sifflet ou sonnette de nouveauté, l'on assemble comme les mouches au son du bassin.

Sans jugement, raison, discretion: son jugement et sa sagesse, trois dez et l'adventure; il juge brusquement et à l'estourdie de toute choses, et tout par opinion, ou par coustume, ou par plus grand nombre, allant à la file comme les moutons qui courent après ceux qui vont devant, et non par raison et verité. Plebi non judicium, non veritas: ex opinione multa, ex veritate pauca judicat.

Envieux et malicieux, ennemy des gens de bien, contempteur de vertu, regardant de mauvais œil le bonheur d'autruy, favorisant au plus foible et au plus meschant, et voulant mal aux gens d'honneur, sans sçavoir pourquoy, sinon pource que sont gens d'honneur, et que l'on en parle fort et en bien.

Peu loyal et veritable, amplifiant le bruict, encherissant sur la verité, et faisant tousjours

(1) Hair le présent, désirer l'avenir, vanter le passé, tel est le caractère habituel du peuple.

(2) Ni la raison ni la vérité ne sont rien sur le peuple (plebs). -Il prononce le plus souvent d'après ses préjugés, rarement d'après une véritable conviction. TAT. Hist. liv. I, c. 32. CIC. pro Roscio, n. 39.

MORAL,

les choses plus grandes qu'elles ne sont, sans foy ny tenue. La foy d'un peuple et la pensée d'un enfant sont de mesme durée, qui change non-seulement selon que les interests changent, mais aussi selon la difference des bruicts que chasque heure du jour peut apporter.

Mutin, ne demandant que nouveauté et remuement; seditieux, ennemy de paix et de repos: Ingenio mobili, seditiosum, discordiosum, cupidum rerum novarum, quieti et otio adversum1, sur-tout quand il rencontre un chef; car lors ne plus ne moins que la mer, bonace de nature, ronfle, escume et faict rage agitée de la fureur des vents: ainsi le peuple s'enfle, se hausse et se rend indomptable; ostez-luy les chefs, le voilà abattu, effarouché, et demeure tout planté d'effroy : Sine rectore præceps, pavidus, socors: nil ausura plebs principibus amotis 2.

Soustient et favorise les brouillons et remueurs de mesnage; il estime modestie poltronnerie, prudence lourdise; au contraire, il donne à l'impetuosité bouillante le nom de valeur et de force; prefere ceux qui ont la teste chaude et les mains fretillantes à ceux qui ont le sens rassis, qui poisent les affaires, les vanteurs et babillards aux simples et retenus.

Ne se soucie du public ny de l'honneste, mais seulement du particulier, et se picque sordidement pour le profit: Privata cuique stimulatio, vile decus publicum3.

Tousjours gronde et murmure contre l'estat., tout bouffi de mesdisance et propos insolens contre ceux qui gouvernent et commandent. Les petits et pouvres n'ont autre plaisir que de mesdire des grands et des riches, non avec raison, mais par envie, ne sont jamais contens de leurs gouverneurs et de l'estat present *.

Mais il n'a que le bec, langues qui ne cessent, esprits qui ne bougent, monstre duquel toutes les parties ne sont que langues, qui de tout parle et rien ne sçait, qui tout regarde et

(1) D'un esprit mobile, séditieux, querelleur, partisan de toutes nouveautés, ennemi du repos et de la paix. SALL. Bell. Jugurth. c. 45.

(2) Lorsqu'il n'a personne qui le dirige, il reste irrésolu, timide, inactif. Otez les chefs au peuple, il n'osera rien. TAC. Hist. liv. VI, c. 37.—Annal. liv. 1, c. 55.

(3) L'intérêt particulier est tout ce qui l'excite; l'intérêt public est nul. TAC. Hist. liv. I, in fine.

(4) Rerum novarum cupidine et odio præsentivm. TAG. Hist. liv. II, c. 8, in fine.

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