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général par toute la France, et bientôt aussi les notaires conservèrent leurs protocoles, qui vinrent remplacer les registres de la curie, tombés en désuétude depuis si longtemps. Toutes ces causes réunies devaient nécessairement faire renoncer aux chartes lapidaires. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner, si l'on n'en rencontre aucune postérieure aux premières années du treizième siècle.

Il nous reste à faire quelques observations touchant la rédaction des actes sur pierre elle ne diffère pas de la forme ordinaire des actes contemporains; mais elle est plus brève, plus concise; on n'y trouve pas un mot inutile. Le préambule, la date et les noms des témoins y sont presque toujours omis (1). En outre, ces actes, par leur nature, n'admettaient pas l'authentication résultant des sceaux. On comprend d'ailleurs que l'inauguration de chartes aussi importantes que celles de Blois, de Crest, de Montélimart, qui intéressaient des populations entières, fût un fait assez solennel par lui-même, pour qu'on pût omettre impunément la date, les noms des témoins et la formalité du

sceau.

Nous pensons, du reste, qu'on rédigeait sur parchemin un acte plus étendu, avec toutes les formules ordinaires à cette époque, et que la charte lapidaire n'en était qu'un résumé où l'on se contentait d'exprimer toutes les clauses essentielles. Néanmoins l'acte original était quelquefois reproduit intégralement. L'abbé Marini a publié, dans ses Papiri diplomatici, le texte d'une longue donation qui avait été gravée sur deux tables de marbre dans l'église de Sainte-Marie-Majeure, à Rome, et qui se terminait par cette phrase significative: Hoc ex authenticis scriptis relevatum pro cautela et firmitate temporum futurorum his marmoribus exaratum est (2).

Une dernière remarque, relative aux actes sur pierre et qui s'applique à toutes les inscriptions antérieures à la période dite gothique, c'est que l'écriture en est toujours composée de majuscules, capitales ou onciales, que ces caractères ne diffèrent pas sensiblement des majuscules des manuscrits, et encore moins de

(1) La charte d'Aiguebelle, l'une de celles de Crest, et celle de Montélimart sont les seules qui soient datées. Nous n'en connaissons qu'une où figurent les noms des témoins, c'est encore celle de Crest.

(2) Marini, loco supra citato.

celles des sceaux. Il y a seulement plus de lettres conjointes ou artistement enclavées les unes dans les autres ; ce qui s'explique par la nécessité de ménager l'espace. Ainsi rien ne justifie la division des écritures adoptée par les bénédictins, qui distinguent l'écriture lapidaire de l'écriture métallique et de celle des manuscrits (1).

En résumé, nous dirons que les chartes lapidaires ne s'éloignent pas beaucoup des premiers temps de la féodalité, soit en deçà, soit au delà; qu'elles concernent ordinairement des êtres moraux, tels que des communautés religieuses ou civiles; qu'elles sont rédigées, sauf la brièveté, de la même façon que des actes sur parchemin; enfin, que l'écriture dont elles se composent n'a rien de particulier, si ce n'est l'abus excessif des conjonctions et des enclavements de lettres. On va voir que l'inscription que nous publions ici pour la première fois est loin de contredire ces règles générales.

On la trouve à Pierrelatte, petite ville de l'arrondissement de Montélimart, et il n'est pas inutile de remarquer que c'est la sixième que nous connaissions dans le département de la Drôme, pays où les documents de ce genre paraissent moins rares que partout, peut-être à cause de la proximité de l'Italie. Elle est gravée en belles lettres capitales mélangées d'onciales, sur un calcaire excessivement dur, qui est incrusté sur le mur extérieur d'une maison, à gauche de la porte d'entrée (2). L'inscription était autrefois sur le même mur, à une plus grande hauteur; le propriétaire l'a fait déplacer pour qu'on pût la voir plus commodément. Nous en avions depuis longtemps une copie, mais tellement inexacte, qu'il nous avait été impossible de la déchiffrer. Ayant eu depuis occasion d'examiner l'original lui-même et d'en corriger la copie en mettant à découvert quelques lettres qui étaient ensevelies sous le mortier, nous l'avons lue sans trop de peine comme il suit:

B. TAPIAS DONAVIT CARITATI

LOCUM UNIUS ARCHE IN SUA DOMO,

(1) Nouveau Traité de Diplomatique, t. II et III. - Toute classification d'écritures qui ne procède pas uniquement de la forme générale des lettres nous semble arbitraire et inadmissible.

(2) Rue Paillerès, no 395, maison Cler, près l'horloge de la ville.

OMNI TEMPORE, CONCEDENTIBUS ET AI
DFIRMANTIBUS (1) DOMINIS SUIS; CON

DICIONE TALI, UT VENDI NEC ALIENARI LOCUS SUPRADICTUS
POSSIT.

Voilà un acte de donation complet, bien que conçu en peu de mots, comme doivent l'être toutes les chartes lapidaires: il contient les noms du donateur et du donataire, la désignation et la situation de la chose donnée, la confirmation par les seigneurs supérieurs, enfin les clauses du contrat, qui consistent dans la défense expresse d'aliéner. L'acte n'est pas daté; nous essayerons d'en déterminer l'âge d'une manière approximative, à l'aide des éléments paléographiques, que nous regrettons de ne pouvoir mettre sous les yeux de nos lecteurs. A défaut de fac-simile, voici la description exacte et détaillée de l'écriture.

Les lettres capitales d'une forme assez pure dominent: les seules onciales qu'on remarque sont l'E, dont les branches arrondies sout parfaitement ouvertes, l'h, qui se rapproche de la forme minuscule, I'm, dont les deux premiers jambages se réunissent pour former un O et le troisième se relève en manière de crochet, l'n, presque minuscule, et le T, dont les contours sont extrêmement variés. Il est bon d'observer que toutes ces lettres se présentent dans l'inscription, tantôt sous la forme arrondie des onciales, tantôt sous la figure rectangulaire des capitales romaines. Les A, toujours majuscules, sont ordinairement surmontés d'un trait horizontal; leur traverse est tantôt droite, tantôt composée d'une ligne brisée; quelques-uns en manquent tout à fait. Les abréviations proprement dites sont rares; mais les conjonctions de lettres sont très-nombreuses, et plusieurs caractères affectent une forme monogrammatique ou sont emprisonnés les uns dans les autres. Les mots sont peu distincts, bien qu'ils soient le plus souvent séparés par des points. En un mot, l'aspect général de l'écriture et l'examen des détails dénotent le onzième siècle ou le commencement du douzième. Ce qui confirme cette opinion, c'est la comparaison de notre inscription avec la première des chartes lapidaires de Blois, dont les béné

(1) Il est difficile de se rendre compte de l'orthographe bizarre du mot aidfirmantibus, dont la lecture n'est pas douteuse, et qui est là pour affirmantibus ou confirmantibus. Un accident de gravure a peut-être défiguré la première syllabe du mot.

dictins ont donné le fac-simile dans le Nouveau traité de diplomatique (1). L'emploi très-fréquent des conjonctions et des enclavements de lettres caractérise ces deux écritures, qui ont entre elles une ressemblance frappante. On peut donc conjecturer, sans trop s'écarter de la vérité, que notre charte a été gravée vers 1100.

Passons maintenant à l'explication du texte. Il n'y a nulle remarque à faire sur le nom du donateur Tapias, qui est précédé d'un B, lettre initiale d'un prénom, tel que Bertrand ou autre. Quant au donataire, c'est sans contredit la Charité, c'est-à-dire, l'Hôtel-Dieu de Pierrelatte, On peut voir dans le Glossaire de du Cange que le mot Caritas a désigné de bonne heure, pendant le moyen àge, un établissement public destiné à recevoir les pauvres et les malades (2). Ajoutons que la tradition locale rapporte qu'il y avait un hospice à l'endroit même où l'on voit aujourd'hui l'inscription de Pierrelatte.

L'objet de la donation est la place d'une arche, locum unius arche, dans la maison du donateur lui-même. Le sens de ce passage présente quelque difficulté à cause des nombreuses significations données au mot archa ou arca dans les textes anciens (3). A-t-on voulu désigner une arcade de maison, ou bien un terrain de la contenance d'une arche (4) dépendant d'une maison? Cette dernière interprétation nous paraît moins probable que l'autre. Il nous semble qu'il s'agit ici d'un lieu concédé pour établir un comptoir ou un étal, et arca signifie, soit une arcade faisant partie d'une galerie, soit un de ces grands cintres si communs dans les villes du Midi pour former la boutique. Cluny, qui est la mieux conservée de nos villes du douzième siècle, a presque toutes ses maisons en arcades. La charte dit locum unius arche, probablement parce que la boutique était encore à faire.

La donation dont il s'agit ici est à titre perpétuel, omni tempore; et comme elle est faite à un établissement de mainmorte, elle avait besoin d'être confirmée par les seigneurs féodaux ou censiers, au préjudice desquels l'objet donné sortait du commerce.

(1) T. II, p. 654.

(2) Du Cange, Gloss. med. et infim. latinit., v° Caritas, no 6.

(3) Du Cange. Archa pro arca in suis variis notionibus haud raro reperitur scriptum.

(4) Ibid, no 8, Arca, modus agri, a forma quadrata forte sic dictus.

Cette confirmation est, en effet, formellement exprimée; mais onne nomme point ceux de qui relevait en fief ou en çensive le terrain aliéné, et tout ce que nous pouvons dire à cet égard, c'est qu'au milieu du treizième siècle la seigneurie de la ville de Pierrelatte avait encore plusieurs maîtres, et dépendait en partie de la principauté d'Orange (1). Les mots dominis suis pourraient aussi se rapporter à des seigneurs d'un ordre différent, et dans ce cas l'objet de la donation aurait fait partie d'un arrière-fief ou d'une arrière-censive.

Enfin, le lieu donné à l'hospice de Pierrelatte est déclaré inaliénable. Cette clause est naturelle et assez commune; car, dans les donations, aux généreux sentiments qui les inspirent, il se mêle le plus souvent un peu de vanité : les donateurs sont bien aises d'attacher un caractère de perpétuité à leurs bienfaits. C'est sans doute dans ce but, et aussi pour exciter et encourager la charité des fidèles envers un établissement pieux, que la charte de donation dont il s'agit fut gravée sur une pierre, qui dut être exposée à la vue du public sur les murs de l'hospice. Malgré tous ces soins, l'objet donné a changé bien des fois de maîtres; le nom du donateur est tombé dans l'oubli le plus profond; et si la charte a survécu, on en avait perdu le vrai sens. Quelques personnes instruites, peu familiarisées avec les monuments écrits du moyen àge, y voyaient un souvenir de la domination romaine, et faisaient de grands efforts d'imagination pour l'interpréter à ce point de vue. En un mot, l'inscription de Pierrelatte n'était plus dans le pays qu'une énigme curieuse peut-être, mais inexpliquée.

(1) En 1253, les seigneurs de Pierrelatte étaient Dragonet de Montauban, Dragonet de Mont dragon, Hugues Porcellet et le doyen d'Usez. Ces feudataires relevaient du comte de Toulouse à qui l'empereur d'Allemagne avait cédé ses droits de suzeraineté sur Pierrelatte. Dans la seconde moitié du treizième siècle, le pape, qui avait succédé aux droits souverains des anciens comtes de Toulouse dans le Comtat-Venaissin, fit confisquer, faute de foi et hommage, la portion de seigneurie que le prince d'Orange possédait sur le château et le territoire de Pierrelatte. Polyptyque ms. d'Alfonse, comte de Poitiers et de Toulouse.

A. DELOYE.

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