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homme (1). A un brillant exorde succédait le tableau des vertus du défunt. Inutile de dire que, semblable aux panégyristes de tous les temps, l'écrivain, dans le feu de l'enthousiasme, n'épargnait aucune louange à son héros. Mais, à quelque degré de perfection qu'il fût parvenu, il était toujours resté homme, et, comme tel, sujet aux faiblesses de l'humanité. Cette réflexion servait de transition pour réclamer en sa faveur les prières des fidèles. Car telle était la conclusion obligée de toutes ces lettres. Cette encyclique se transcrivait en tête d'une longue bande de parchemin qui s'enroulait sur un cylindre. Puis on la confiait à un messager qui la suspendait à son cou pendant le voyage (2). On donnait à ce messager le nom de porte-rouleau (3).

Alors le courrier se mettait en route; il allait d'église en église, de monastère en monastère. Partout on l'accueillait avec bienveillance. A son approche, les religieux s'empressaient autour de lui. D'où venait-il? Qui était-il? Que contenait son rouleau ? Pourquoi promenait-il ainsi ses pas errants (4)? Telles étaient les questions auxquelles il lui fallait répondre. La cu

(1) De là ces vers de Baudri de Bourgueil :

In rotulo multi cum sollicitudine quadam,
Dicendi seriem semper metantur ab Adam;
At dum pro primi plasmati crimine plorant, etc.

(Ap. Duch., Script. Fr., t. IV, p. 251.)

Il est curieux de rapprocher de ce texte le vers suivant:

Profluit ex Adam quod vester pertulit Adam,

inscrit par le même Baudri (ibid., p. 288) sur le rouleau d'un abbé nommé Adam.
(2)
Inde cutis colli teritur præ pondere rolli

Rolligeri collum nequit ultra tollere rollum.

(Rotulus de S. Brunone, tit. n° 178.)

(3) Rotuliger, rotulifer, rolliger, roliger, rollifer, rotliger, rotlifer, breviger, brevigerulus, tomifer, rotularius. Tous ces mots sont dans du Cange, sauf tomifer, qu'on trouve dans les Preuves de l'Hist. de Marmoutier par D. Martène, t. I, no 45 (Ms. Résidu de S. Germ., paq. 96, no 5).—Le porte-rouleau est aussi désigné sous les noms génériques de veredus, gerus, gerulus, bajulus. — Des statuts publiés dans le Monast. anglic. (t. VI, part. II, p. *xci) l'appellent portitor brevium.

(4)

Proxima castra petens, vestrorum funera deflens,

Accessit rotulus non sine re querulus.

Tomiferum fratres ut conspiciunt venientem,

Qui vestros apices fert nimium lugubres,

Unde domo quærunt, vel qui gerus, unde rotulus,

Unde vel errantes proferat unde pedes.

(Ex Rotulo Gauzberti, ap. D. Martène, Hist. de Marmout., loc. cit.)

riosité satisfaite, il déroulait son lugubre parchemin. Dès que l'abbé ou le prieur en avait achevé la lecture, le maillet (tabula) ou la cloche appelait les religieux à l'église, où l'on priait pour le mort (1). Le porte-rouleau n'était pas oublié. D'après les statuts du couvent (2), et quelquefois les recommandations de l'encyclique (3), on lui servait à boire et à manger, de peur qu'il ne tombât en défaillance sur la route, ou que, découragé par de mauvaises réceptions, il n'abandonnât l'entreprise. Il recevait aussi quelquefois un peu d'argent. A Bourgueil, on lui donnait un denier (4); à Saint-Germain des Prés, l'abbé et l'aumônier lui remettaient chacun deux deniers, et le chantre se chargeait de sa nourriture (5).

Restait l'affaire importante, c'est-à-dire, la réponse à la lettre dont il était porteur.

Dans les premiers temps, cette réponse n'indiquait que le nom de l'église, les prières qu'elle avait accordées au défunt, et la liste des frères pour lesquels on réclamait des prières en retour. Sur quelques rouleaux on ajoutait la date de l'arrivée du courrier. C'était à son retour un moyen de contrôler sa fidélité (6). Cette réponse, ne contenant guère que le nom de l'église

(1) V. Gall. chr. nova, t. IV, Instr., col. 237; t. VII, Instr., col. 278; t. VIII, Instr., col. 360. Hist. de l'abb. de S. Germ. des Pr., p. 107, note a.

(2) Hist. de l'église de Meaux, t. II, p. 200. - Hist. de l'abb. de S. Germ. des Pr., pièces justif., p. clxx.— « Portitori brevium obitum nostrorum detur panis regularis et potus. » Monast. angl., t. VI, part. II, p. *xcj.

Nostro

(3) « Cursorem præterea nostrum... reficite lassum, operite nudum et itineris ei quantulumcumque addite supplementum, notatisque diebus remittite illum in viam pacis.» Encycl. du comte de Besalu, ap. Marcam Hispan., col. 1024. rotulario subvenite... ne penuria victus ab incœpto deficiat. » Enc. de Math. abbesse de Caen, ap. Mab., Annales, t. V, p. 689. - «Gerulum caritative suscipiatis cibo potuque.... » Enc. de l'abbé de S. Guillain, Gall. chr. nova, t. III, Instr., col. 17. (4) « Nummi mercede carebit. » V. infra.

(5) « Sciendum est quod quoties Roligeri abbatis defuncti vel abbatissæ alicujus venerint debent habere iv den., ab abbate II, et ab eleemosinario 11, et cantor debet roligero ministrare. » (Hist. de l'abb. de S. Germ. des Pr., pièces justificatives, pp. clxx, clxxi.

(6) « Vestrorum æque dirigi vocabula mortuorum, diemque adventus præsentis cursoris ad vos venientis per monimenta kalendarum significari, ne fallaciæ suæ prestigiis nobis possit mentiri. » (Encycl. de Hruolf, vers 850, Chron. centul., 1. III, c. ix, ap. Spicil., éd. in-fol., t. II, p. 316.) — Cf. le passage précité de l'encyc. du comte de Besalu. Dans les rouleaux qui nous sont parvenus, cette précaution n'a pas été prise. Au quatorzième siècle, cet usage était encore en vigueur; témoin ce texte: « Diem, si placet, quo Joh. de Ycio rotulifer noster vestræ applicuerit ecclesiæ,

qui l'écrivait, était alors justement appelée titre (1). Cette qualification lui demeura, même après qu'elle eut cessé d'être en rapport avec les développements qu'elle prit successivement. Bientôt, en effet, au nom de l'abbaye furent ajoutées quelques phrases de condoléance. Un certain poëte s'avisa de les mettre en vers. L'essai fit fortune. Tous les beaux esprits du temps rivalisèrent d'empressement. Ce fut à qui inscrirait sur ces albums funèbres la pièce la plus piquante, la mieux tournée, et quelquefois seulement la plus bizarre. Si l'abbaye comptait parmi ses membres plusieurs poëtes, chacun d'eux donnait son morceau (2). Parfois même l'écolier à peine initié aux règles de la versification, avait l'honneur d'inscrire sur le rouleau son modeste distique (3). Dans ce cas, on lui ménageait l'indulgence du lecteur, en avertissant que c'était l'œuvre d'un enfant. Le sujet ne semblait guère comporter tous ces jeux d'esprit. Mais, dès le temps d'Horace, les poëtes ne croyaient-ils pas leur liberté sans bornes? Veut-on juger des écarts auxquels ils s'abandonnèrent à cette occasion; qu'on lise la pièce suivante, inspirée par la mort de saint Bruno, l'un des plus austères réformateurs de la

præsenti rotulo dignemini exarare. » (Encycl. de Jean de Marigny, abbé de S. Étienne de Dijon, datée du 1er mai 1392, ap. Fyot, Hist. de S. Estienne de Dijon, preuves, n° 265.

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(1) V. du Cange, vo Titulus, 6. Les critiques modernes les appellent titres funèbres.

(2) V. sur le rouleau de S. Bruno les titres de N. D. de Reims, nos 52, 56; N. D. de Laon, 66, 67; Saint-Hilaire de Poitiers, 100, 101; N. D. d'York, 133, 134, etc. — Sur celui de Saint-Vital, les nos 11, 46, 65, etc.

(3) Sur le rouleau du B. Vital, au titre de S. Germain à Auxerre, on lit:

u

VERSVS PVERILES.

Abas Vitalis, tibi sit lax, vita perhennis;

Nam, dum vixisti, vestes escamque dedisti.

On y trouve aussi, au titre de la cathédrale de Salisbury (no 184), des Versus pueriles. J'en extrais les suivants :

O flos, Vitalis, monacorum gloria, mortem

Nocte dieque tuam lugent monachique parentes.

S

Abas Vitalis tibi sit laux, vita perhennis

Nam, dum vixisti, vestes escamque dedisti.

L'on voit que l'écolier de Salisbury a volé les deux vers de celui d'Auxerre. L'incertitude dans l'orthographe vient de ce que ces lignes sont transcrites par les enfants eux-mêmes. Le titre no 26 du rouleau de l'abbesse de Caen était intitulé: Vox scolarium ejusdem urbis (Bathoniensis).

discipline monastique, que virent briller la fin du onzième siècle et les commencements du suivant. Je traduis littéralement :

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« Je rends grâces à Dieu de ce que votre abbé avait autant « de vertus que peut en énumérer la langue d'un docte ami. « Aussi le poids du rôle a-t-il meurtri la peau du porte-rouleau. « Son cou ne peut plus soutenir ce rôle où sont inscrites tant « et de si grandes choses. N'y voit-on pas, en effet, la cour « du maître du tonnerre, le soleil avec la lune, les révolutions « des étoiles, la lumière, le ciel, l'air, la terre, la mer, le Tartare, des torrents de soufre, et des tourbillons d'une noire « et fétide fumée ? Quelle région du royaume de Pluton n'a-t-on « rattachée au sort de Bruno? Ample était la surface du par

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chemin, et maintenant à peine y reste-t-il un petit coin en « blanc. C'est qu'il contient et le sort et le destin, et l'en« semble de toutes les créatures, et le Créateur avec sa glorieuse « éternité sans mesure dans le temps (3).

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De tels abus affligèrent les hommes graves et religieux. Ils voulurent y mettre un terme. Voici comment s'exprime en 1100 un moine de Marmoutier, dans l'encyclique sur la mort de son abbé Bernard: Nous conjurons votre sainteté de s'abstenir de ces billevesées et de ces vers dèrisoires, qui, loin de pouvoir servir aux défunts, ne peuvent qu'attirer à leurs auteurs la malédiction éternelle. Contentez-vous de mettre les noms de vos églises, et ce que vous aurez fait pour notre père défunt, afin que nous sachions ce que nous devrons faire pour vous (4). Quelques

(1)

Reddo Deo grates, quod habebat tot bonitates,
Quot possunt dici lingua sapientis amici.

Inde cutis colli teritur præ pondere rolli,

Rolligeri collum nequit ultra tollere rollum,

Quo tot cum tantis scribuntur, et aula Tonantis,

Et sol cum luna, stellarum cursus et una

Lux, polus, aer, humus, mare, tartara, sulphura, fumus

Lividus, obscœnus fœtensque putredine plenus.

Quæ plaga Plutonis procul est a sorte Brunonis?

Ampla fuit carta, nunc parva videtur et arcta,
Qua sors, qua fatum, qua scribitur omne creatum
Atque Creatoris sine tempore tempus honoris.

(Rotulus de S. Brunone, no 178. Titulus S. Mariæ Tropeiensis ecclesiæ.) (2) « Sanctitatem vestram precamur ut versuum nænias et derisiones, quæ, potius quam prosint defuncto, facientibus accumulant damnationem, ab hac carta submoveatis, tantumque simpliciter locorum vestrorum nomina, et quid pro defuncto patre nostro et pro nobis feceritis annotetis, ut quid etiam nos pro vobis debeamus facere cognoscamus.» (Mabillon, Ann. ord. S. Ben., V, 668.)

années plus tard, les moines de Saint-Aubin d'Angers, annonçant la mort de Marbode, évêque de Rennes, et de Gérard, un de leurs frères, consignaient dans leur circulaire des recommandations analogues: Retranchez absolument, disent-ils, ces riens fastueux, ces plaisanteries puériles. Il ne faut pas jouer avec une pratique instituée dans un but d'utilité. Ce sont des prières que nous réclamons, et non des harnais oratoires qui ne servent de rien aux morts, et nuisent beaucoup aux vivants (1).

Les rouleaux qui sont parvenus jusqu'à nous sont en trèspetit nombre. Je donnerai à la fin de ce mémoire la liste de ceux qui sont arrivés à ma connaissance. L'on s'explique difficilement leur rareté. Employés en effet dès le milieu du neuvième siècle, comme on en a un exemple dans celui de Hruolf, comte et abbé de Saint-Riquier, ils étaient devenus, à la fin du onzième, d'un usage excessivement fréquent. Leur multiplicité excita même la verve d'un des plus ingénieux poëtes de cette époque :

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Que le courrier, dit Baudri de Bourgueil, ne vienne pas si souvent. Trop souvent répétées, ses paroles sont trop redoutables. Restez en vie, prélats, à la mort desquels il se promène. Le vorace vautour, le noir corbeau, le courrier empressé, « la chouette au cri lugubre, annoncent la mort, et donnent a l'idée du cadavre. C'est ainsi que toujours le rouleau nous • apprend un nouveau trépas. Qu'il se tienne donc loin de nos « couvents, où il apporte toujours la mort, toujours la tristesse. << S'il vient si souvent, nous ne lui donnerons plus son denier (2).

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(1) « Admonemus ut vanitatum vanitates et nugarum nænias penitus recidatis, ne quod utiliter nimis institutum est, notam habeat levitatis. Nos enim vota precum animabus profutura, non verborum phaleras postulamus, quæ defunctis nihil proficiunt, et vivis plurimum obesse solent. » (Martène, Thesaurus anecd., t. I, p. 355.)

(2)

Obsecro, jam parcat tam sæpe venire veredus;

Per nimios usus nimium sua verba veremur.

Vivant prælati, pro quorum morte vagatur.

Vultur edax, corvusque niger, volitansque veredus,
Necnon bubo canens dirum mortalibus omen,
Significant mortes, præsaganturque cadaver.
Sic rotulus semper mortem cujuslibet affert.
Ergo sit a nostris penitus conventibus exsul,
Qui semper mortem, qui nuntiat anxietatem.
Nam si sæpe venit, nummi mercede carebit.
(Duch., Script. Fr., t. IV, p. 253.)

III. (Deuxième série.)

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