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de certitude à un tir que contrariaient trop souvent les influences atmosphériques (1).

« Les barbares, dit Anne Comnène, furent donc épouvantés à cause du feu lancé auquel ils n'étaient pas habitués, et qui, par sa nature, s'élevant dans les airs, retombait tantôt en bas, tantôt de côté, là où le voulait celui qui le dirigeait (2). »

M. Hase a rendu ainsi ce passage:

<< Car ils n'étaient pas accoutumés à leur feu, lequel par sa nature se porte en haut, mais qui (dans cette circonstance) était lancé sur les objets comme le voulait celui qui le faisait partir, souvent en bas et de chaque côté.

« La traduction de M. Hase, disent MM. Reinaud et Favé, s'éloigne entièrement du sens adopté par M. Lalanne. » Cela leur plaît à dire; mais je crois que le lecteur ne sera pas de leur avis. En tout cas, l'explication qu'ils donnent de ce passage est inadmissible. Suivant eux, « Anne Comnène fait seulement allusion à la propriété de la composition renfermée dans des tubes de produire une flamme qui pouvait être dirigée dans tous les sens, » et le feu grégeois (autre que les tubes de main et les pots à feu) ne serait qu'un jet de flamme et de matières incendiaires produit par une composition salpêtrée. MM. Reinaud et Favé n'auraient certainement pas émis cette opinion s'ils avaient examiné avec plus de soin le texte d'Anne Comñène, et jeté les yeux sur d'autres passages que j'ai cités. Ainsi, on conçoit assez difficilement qu'un jet de flamme puisse être lancé par des ressorts, comme le fut ici le feu grégeois. Puis, comme cette flamme ne pouvait nécessairement s'étendre qu'à une distance extrêmement rapprochée, on ne saurait expliquer les noms de météore (3), de feu ailé, de feu qui parcourt l'air aussi promptement que l'éclair (4), sous lesquels divers auteurs désignent le feu grégeois, et qui s'appliquent si bien à la fusée. Comment expliqueraient-ils le passage où Cinname raconte que les Grecs, après avoir poursuivi pendant

(1) Deus ventis tunc placidum reddidit mare. Secus enim ob ignis emissionem Græcis erat incommodum, dit Luitprand (voy. mon Mémoire, p. 12). Ce passage a été cité aussi par MM. Reinaud et Favé, mais, soit dit en passant, on n'y trouve pas l'épithète de feu magique que, suivant eux, Luitprand donne au feu grégeois.

(2) Ἐκδειματωθέντες οἱ βάρβαροι, τὸ μὲν διὰ τὸ πεμπόμενον πῦρ· οὐ γὰρ ἐθάδες ἦσαν τοιούτων σκευῶν ἢ πυρός, ἄνω μὲν φύσει τὴν φορὰν ἔχοντος, πεμπομένου δ' ἐφ ̓ ἃ βούλεται ὁ πέμπων κατά τε τὸ πρανές πολλάκις καὶ ἑκάτερα. (Alexias, lib. XI, p. 335, édit de Paris.)

(3) Voy Anne Comnène, lib. XIII, p. 383. Je ne sais pourquoi MM. Reinaud et Favé n'ont pas cité ce passage fort curieux où Anne donne une recette du feu grégeois. (4) Chronique de Nestor, t. I, p. 55.

longtemps un navire vénitien, cherchèrent inutilement à le brûler au moyen du feu grégeois ? « Car, dit-il, le feu, lancé de trop loin, ou ne parvenait pas jusqu'aux bâtiments, ou, atteignant les étoffes dont les Vénitiens avaient revêtu leur navire, était repoussé et s'éteignait en tombant dans l'eau. » On se figure difficilement un jet de flamme qui est repoussé par des étoffes et qui tombe dans l'eau.

Ainsi que nous l'avons déjà dit, les quelques autres textes grecs cités par MM. Reinaud et Favé, et qui sont tous empruntés à la tactique de Léon, n'ayant donné lieu à aucune observation, nous n'avons pas à nous en occuper. Pourquoi ces auteurs ont-ils omis des passages fort significatifs d'Anne Comnène, de Cinname, de Nicétas, de Phrantzès, etc.? Je n'en sais rien mais leurs citations étant si incomplètes, ils n'auraient pas dû annoncer dans leur préface « qu'ils avaient éclairé la question par une discussion approfondie. »

J'ai donc lieu de m'étonner que dans un récent article du Journal des Savants (1), un illustre chimiste, M. Chevreul, rendant compte de l'ouvrage de MM. Reinaud et Favé, ait, d'après leur dire, porté un jugement sur mon travail qu'il n'a certainement jamais lu ou même vu. Citant seulement la traduction donnée par M. Hase de deux des passages mentionnés plus haut (traduction qui, on l'a vu, ne diffère guère de la mienne), et ne se doutant pas que je me suis appuyé sur une dizaine d'autres textes grecs omis par MM. Reinaud et Favé, il s'est cru autorisé à dire : « M. Lalanne pense que les grands tubes étaient nos fusées de guerre incendiaires. Nous pensons avec MM. Reinaud et Favé que rien ne prouve cette opinion. » Adopter ainsi sans examen l'opinion d'autrui, et trancher d'un seul mot une question d'érudition à laquelle on est complétement étranger, c'est un procédé qui me semble assez peu convenable pour un membre de l'Institut, et surtout pour un rédacteur du Journal des Savants (2).

(1) Mars 1847, p. 140 et suiv. M. Chevreul, qui combat sur plusieurs points les assertions de MM. Reinaud et Favé, aurait dû, ce me semble, relever leur erreur relativement à l'efficacité particulière du vinaigre pour éteindre le feu grégeois. En effet, comme le vinaigre n'est que de l'eau contenant un vingtième de son poids d'acide acétique, sa composition chimique, ainsi que l'a fort bien dit M. Thénard, ne pouvait le rendre plus propre que l'eau à éteindre un feu quelconque. J'ai démontré d'ailleurs (voy. mon Mémoire, p. 15 et 38) que le feu grégeois n'était nullement inextinguible.

(2) On pourrait relever quelques erreurs de dates dans l'article de M. Chevreul. Ainsi, p. 144, on lit : « Dès les premières croisades, de 1064 à 1099.» — La première croisade eut lieu en 1096, et Jérusalem ne fut prise qu'en 1099.-Ailleurs, p. 148, il met en 1240 la croisade de saint Louis, qui ne débarqua en Égypte qu'en 1249.

MM. Reinaud et Favé, dans leur examen des historiens des croisades, ont adopté sans critique les récits des chroniqueurs; et ils admettent que le feu grégeois a été employé par les Arabes dès la fin du onzième siècle, tandis que, suivant moi, il ne le fut qu'en 1218. Je me rangerai à leur avis lorsqu'ils m'auront expliqué comment les descriptions des chroniqueurs latins ou arabes antérieurs à cette dernière date, loin de rappeler une seule des descriptions données par les auteurs byzantins, et, par exemple, le phénomène si nouveau et si caractéristique de la détonation, sont au contraire identiques avec celles des compositions et des projectiles incendiaires usités de toute antiquité et mentionnés par Énée le Tacticien, Thucydide, Procope, Ammien Marcellin, etc.; comment, au contraire, à partir de 1218, les récits d'Olivier l'Écolâtre et de Joinville offrent une si complète analogie avec ceux des historiens du Bas-Empire. Quant au siége de Saint-Jean d'Acre en particulier, malgré les textes arabes cités par MM. Reinaud et Favé, je déclare toujours persister dans mon opinion, conforme de tout point à celle qu'un savant orientaliste, Renaudot, a exprimée en ces termes dans une vie manuscrite de Saladin : « Il est certain que le feu d'artifice, qui est proprement appelé feu grégeois, feu de mer ou feu liquide, dont la composition se trouve dans les historiens grecs ou latins, était fort différent de celui dont les Orientaux commencèrent alors à se servir (1). »

La discussion relative à Joinville soulève encore une difficulté. Il n'est question dans les historiens byzantins que de trois espèces de feux grégeois, qui, suivant MM. Reinaud et Favé, n'ont aucun rapport avec la fusée. Néanmoins ils reconnaissent l'emploi de la fusée dans les projectiles dont parle Joinville. Or, de deux choses l'une: ou le feu grégeois décrit par le chroniqueur est, comme je le pense, identique avec les projectiles mentionnés par les Grecs, ou il en diffère. Dans le premier cas, mes assertions sont pleinement justifiées, et les objections qui m'ont été adressées tombent d'elles-mêmes. Dans le second, MM. Reinaud et Favé seront forcés de déclarer, ce qu'ils n'ont pas fait et ce qu'ils ne feront certainement pas, que Joinville s'est trompé, et que les Arabes ne se sont pas servis du feu grégeois lors de la croisade de saint Louis. Malgré leur argumentation relativement aux textes grecs cités plus haut, on se figurerait à tort que MM. Reinaud et Favé sont arrivés à des conclusions contraires aux miennes. En effet, ils disent à la page 110: « Les fusées volantes ne constituaient pas exclusivement le feu grégeois, comme M. Lalanne l'a cru. » Ils admettent donc ce que j'ai été le pre

(1) Voy. mon Mémoire, p. 32.

mier à démontrer et ce qui forme le résultat capital de mon travail, l'identité de la fusée et de l'un des feux grégeois. Mais pourquoi m'attribuent-ils par le mot exclusivement une erreur que je n'ai pas commise, ils le savent bien eux-mêmes, puisque, à la page 106, ils disent, et avec raison, que j'ai distingué trois sortes de feux grégeois?

MM. Reinaud et Favé reconnaissent encore (p. 234), « que le feu grégeois n'a jamais été perdu, et qu'il est au contraire l'origine et la base de notre poudre à canon. » C'est la thèse que j'ai toujours soutenue; nous sommes donc d'accord sur ces deux points importants: seulement, par les critiques isolées qu'ils m'ont adressées (et que j'espère avoir réduites à leur juste valeur), et par les assertions éparses çà et là dans leur livre, ils paraissent dire que ces conclusions n'ont jamais été formulées avant eux. C'est une prétention contre laquelle je dois m'élever; car ils se sont assez servis de mon travail pour savoir qu'elles y ont été pour la première fois nettement et clairement consignées cinq ans avant l'apparition de leur ouvrage. Enfin, pour résumer en deux mots une discussion que j'ai cherché à abréger autant que possible, je déclare que leurs observations, loin d'avoir aucunement modifié mon opinion, ont eu pour unique résultat de me faire persister plus que jamais dans toutes les conclusions de mon mémoire.

LUD. LALANNE.

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.

ACTA SANCTORUM octobris ex latinis et græcis aliarumque gentium monumentis, servata primigenia veterum scriptorum phrasi, collecta, digesta commentariisque et observationibus illustrata; a Josepho Vandermære et Josepho Vanhecke, societatis Jesu presbyteris theologis, nonnullis aliis ex eadem societate operam conferentibus. Tomus VII octobris quo dies XV et XVI continentur. Bruxellis, typis Alphonsi Greuse, 1845, in-fol. (prix, 90 fr.).

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Lorsque la nouvelle se répandit, il y quelques années, que la précieuse collection des Actes des Saints, entreprise en 1643 par les Bollandistes et abandonnée à l'époque de la révolution française, après avoir produit cinquante-trois volumes in-folio et fait l'honneur de plusieurs générations de savants, allait être continuée, quoiqu'on eût désespéré un demi-siècle que cela fût possible, la Bibliothèque de l'École des Chartes montra, par un article publié à cette occasion (1), l'intérêt que prenaient ses collaborateurs au projet des jésuites belges. Aujourd'hui, ce projet a commencé de se réaliser; sept ans après la circulaire où ils annonçaient la continuation des Acta Sanctorum, les nouveaux Bollandistes ont publié le volume dont nous allons faire sommairement connaître le contenu.

Ce volume, d'une exécution magnifique, contient onze cent quatrevingt-neuf pages, plus quatre-vingt-dix-neuf pages de titres, de préliminaires et de tables; total, douze cent quatre-vingt-huit pages, formant environ deux mille cinq cents colonnes, d'un format in-folio très-compacte. Il est orné de quelques dessins sur bois et d'une vingtaine de grandes gravures sur acier, précédées d'un très-beau portrait du pape Grégoire XVI, et de l'ancienne planche qui a servi de frontispice à tous les tomes de la collection.

Malgré son étendue, ce beau volume renferme seulement l'histoire des saints du 15 et du 16 octobre, ce qu'on s'explique facilement, mais non pas au plus grand avantage de l'érudition, lorsqu'on voit que six cent quatre-vingt-une pages sont consacrées au même personnage, et que ce personnage est une sainte du seizième siècle, sainte Thérèse d'Avila, dont la vie très-connue a été tant de fois écrite et imprimée. C'est une moitié du volume où la science n'a rien à faire, et où l'ouvrage est de pure édification. Nous comprenons que les Bollandistes n'oublient jamais dans leur œuvre le point de vue religieux; mais ne peuvent-ils respecter ce principe

(1) Voy. la Bibliothèque, 1re série, t. II, p. 571.

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