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CONTROVERSE

A PROPOS

DU FEU GRÉGEOIS.

J'ai publié il y a quelques années, sur le feu grégeois, un mémoire qui a été inséré dans un recueil de l'Académie des inscriptions et belleslettres, et dont une seconde édition a été imprimée en 1845 (1). A cette dernière époque, un savant orientaliste, M. Reinaud, et un officier distingué, M. Favé, ont fait paraître sur le même sujet un livre (2) où mon travail a été l'objet de plusieurs critiques. Comme les observations qu'ils m'ont adressées semblent contredire les résultats auxquels je suis parvenu, et qu'elles n'ont pourtant aucunement modifié mon opinion, je vais essayer de leur répondre en peu de mots.

Pour mettre le lecteur au courant de la question, je dois d'abord exposer le résumé de la partie de mon mémoire relative au feu grégeois. Ce furent les Grecs du Bas-Empire qui, vers 670, ont fait usage les premiers du feu, ou pour mieux dire des feux grégeois, dont la préparation fut connue d'eux seuls pendant plusieurs siècles. J'ai donc dû commencer par étudier les écrivains byzantins, et m'attacher à décrire d'après eux la nature et les effets de ces projectiles incendiaires. J'ai réuni et comparé avec soin les nombreux passages où il en était question, et, en conservant autant que possible les expressions mêmes de ces auteurs, j'ai pu distinguer et définir ainsi les trois sortes de feux grégeois qu'ils ont mentionnées.

1o Feu lancé au moyen de tubes. - « C'était un tuyau de roseau où l'on entassait certaines matières. Pour s'en servir, on le plaçait dans un tube d'airain, et lorsque le feu était mis à l'une de ses extrémités,

(1) Essai sur le feu grégeois et sur l'introduction de la poudre à canon en Europe; Paris, imprimerie royale, 1841, in-4°. - Recherches sur le feu grégeois et sur l'introduction de la poudre à canon en Europe; Paris, Corréard, 1845, in-4°. Cette 2e édition a paru plusieurs mois avant l'ouvrage de MM. Reinaud et Favé. Il en a été rendu compte dans la Bibliothèque, t. VI, p. 465.

(2) Du feu grégeois, des feux de guerre et des origines de la poudre à canon; Paris, Dumaine, 1845, in-8°.

alors précédé de tonnerre et de fumée, par sa nature, il s'élevait dans les airs comme un météore brûlant, et atteignait le but vers lequel on le dirigeait. »

2° Cheirosiphones ou tubes de main. - Ces projectiles ne différaient du précédent que par leur longueur. Au lieu d'être lancés au moyen de tubes, ils étaient jetés avec la main.

3o Pots pleins de feu d'artifice. « C'étaient des pots fermés où dormait le feu qui éclatait subitement en éclairs et embrasait les objets qu'il atteignait. »

Les Sarrasins s'étant servis des feux grégeois pendant les croisades, j'ai fait succéder, à l'étude des écrivains byzantins, celle des historiens de ces guerres lointaines. Pour apprécier ceux-ci à leur juste valeur, j'ai eu grand soin de distinguer les témoins oculaires des chroniqueurs qui n'ont point assisté aux événements qu'ils ont racontés, et, après avoir comparé entre elles les descriptions des auteurs grecs, latins, arabes et français, je suis arrivé aux conclusions suivantes, contraires, je dois le dire, à l'opinion généralement reçue.

1o Les divers projectiles incendiaires dont les Sarrasins se servirent avant le treizième siècle, ne différaient en rien des projectiles en usage de toute antiquité. 2o Les Sarrasins employèrent pour la première fois, au siége de Damiette, en 1218, les feux grégeois, dont les effets étaient fort peu redoutables pour les hommes.

Poursuivant l'examen des auteurs postérieurs aux croisades, j'ai trouvé qu'en 1453, au siége de Constantinople, le feu grégeois avait été employé à la fois par les Grecs, les Turcs et des ingénieurs italiens et allemands, et que plusieurs années auparavant il était assez communément usité en Hollande, en France, etc. Dès lors il m'a paru impossible d'admettre que le secret de la préparation du feu grégeois, connu de diverses nations de l'Europe et de l'Asie, eût pu se perdre à une ère de progrès et de civilisation comme le quinzième siècle, surtout en songeant combien il est difficile de déraciner chez un peuple l'usage d'une arme à laquelle il est habitué. Le secret des feux grégeois ne pouvant être perdu, j'ai dû chercher quels étaient les projectiles usités aujourd'hui qui s'en rapprochent le plus. Alors, en comparant les définitions tirées des auteurs grecs avec les définitions données récemment dans des ouvrages sur l'artillerie, j'ai été amené à conclure que : 1o Les grands tubes étaient des fusées de guerre incendiaires; 2o Les cheirosiphones étaient des petites fusées ordinaires;

3o Les pots pleins de feu d'artifice étaient ce que nous nommons encore des pots à feu.

Il se présentait enfin une dernière question. Quelle était la composition des feux grégeois? Comme je savais que cette composition devait, entre autres propriétés, avoir celle de détoner, j'ai examiné les propriétés des mélanges détonants connus aujourd'hui. De cet examen, il est résulté que d'un côté les trois sortes de feux grégeois se retrouvent dans trois effets de la poudre à canon, et ne se retrouvent que là; et de l'autre, que la poudre à canon est l'unique mélange susceptible de produire à la fois chacun de ces mêmes effets. Ma dernière conclusion a donc été celle-ci : la composition des feux grégeois et celle de la poudre à canon étaient à peu près identiques.

Voilà en peu de mots le résumé de mon travail. Il me semble que pour traiter le même sujet il fallait d'abord suivre la marche que j'avais adoptée, marche à la fois si simple et si logique. MM. Reinaud et Favé n'ont pas cru devoir procéder ainsi. Au lieu de prendre le feu grégeois dès qu'il apparaît dans l'histoire, et de le suivre depuis cette époque jusqu'au quinzième siècle, ils ont commencé par s'occuper des chroniqueurs du treizième siècle, puis des premiers historiens des croisades (1), et en dernier lieu seulement des auteurs byzantins. Aussi, pour ne pas jeter dans ma discussion la confusion, conséquence de leur méthode, je vais examiner leurs différentes assertions dans l'ordre où je crois que logiquement elles auraient dû être placées.

Le troisième chapitre (qui aurait dû être le premier) est intitulé: Le feu grégeois chez les Grecs du Bas-Empire (2). Dès les premières pages, MM. Reinaud et Favé citent, en y ajoutant foi entière, une fable qu'ils ont tirée de la biographie Michaud (3), dont l'auteur l'avait probablement puisée dans son imagination. Ils prétendent que le feu grégeois était attaché par des plongeurs à la quille des vaisseaux, et ajoutent, à notre grand étonnement : « Aujourd'hui on ne connaît peutêtre pas des moyens d'incendie aussi efficaces à des distances rapprochées. » Comme à l'appui de cette assertion on ne peut alléguer aucun texte, je ne la discuterai même pas (4).

Les auteurs byzantins, qui, je le répète, doivent être consultés les premiers, renferment un assez grand nombre de passages relatifs aux

(1) Voy. le chap. II, intitulé Des effets des compositions incendiaires employées par les Arabes à la guerre.

(2) Les deux tiers de ce chapitre, 23 pages sur 32, sont occupées par un examen du Liber ignium ad comburendos hostes, de Marcus Græcus, et par une digression fort longue sur ce personnage inconnu.

(3) Art. CALLINIQUE.

(4) Voy. mon Mémoire, introduction et p. 17.

feux grégeois. Je crois avoir cité tous ceux qui peuvent offrir quelque intérêt. MM. Reinaud et Favé ne peuvent certainement pas en dire autant. Omettant soigneusement les textes qui pouvaient les embarrasser, et raisonnant comme s'ils n'existaient pas, ils se sont bornés à choisir quelques-uns de ceux que j'ai cités; puis, à la traduction que j'en avais donnée, ils ont opposé, non pas leur propre traduction, mais deux autres, dont l'une est due à un académicien du dernier siècle, Maizeroy (1), l'autre à un savant helléniste, M. Hase, et les légères différences qui existent entre ces traductions et la mienne sont les seuls arguments qu'ils ont employés pour attaquer des conclusions basées en partie sur des textes dont ils n'ont point parlé.

Pour que l'on puisse juger de la valeur de ces différences, et, par suite, de l'argumentation de MM. Reinaud et Favé, je vais mettre sous les yeux du lecteur les textes, ma traduction et celle de M. Hase, laquelle me dispense de citer celle de Maizeroy.

Les deux premiers passages sont tirés de la tactique de l'empereur Léon. « Il y a encore, dit ce prince, beaucoup de moyens de combattre...; de ce nombre est le feu d'artifice qui se lance au moyen de tubes, et qui, précédé de tonnerre et de fumée, consume les vaisseaux (2). » (Voy. mon Mémoire, première édition, p. 10.)

Voici la version de M. Hase:

« De ce nombre est le feu inventé alors, qui, avec tonnerre et fumée surgissant d'abord, est envoyé par des tubes, et qui enfume (les navires ennemis). » MM. Reinaud et Favé disent (p. 107): « En adoptant même la traduction de M. Lalanne, rien dans ce passage n'indique l'emploi de la fusée. » Cette remarque me semble sans portée ; car, comme je l'ai déjà fait observer, ce n'est pas sur un seul texte, mais sur la comparaison entre plusieurs textes (omis pour la plupart par MM. Reinaud et Favé), que j'ai appuyé mes conclusions (3).

(1) MM. Reinaud et Favé me reprochent de n'avoir pas connu cette traduction. Ils se trompent, car dans la 2o édition de mon travail j'ai cité plusieurs notes de Maizeroy. Ce reproche d'ailleurs m'étonne. Je ne vois pas pourquoi, ayant sous les yeux le texte grec, j'aurais été recourir à une traduction si défectueuse, que MM. Reinaud et Favé ont été obligés d'en demander une autre à M. Hase.

(2) Πολλὰ δὲ καὶ ἐπιτηδεύματα τοῖς παλαιοῖς καὶ δὴ καὶ τοῖς νεωτέροις ἐπενοήθη κατὰ τῶν πολεμικῶν πλοίων, καὶ τῶν ἐν αὐτοῖς πολεμούντων. Οἷον τότε ἐσκευασμένον πῦρ μετὰ βροντῆς καὶ καπνοῦ προπείρου διὰ τῶν σιφώνων πεμπόμενον, καὶ καπνίζον αὐτά. ( Tactique de Léon VI, ch. XIX, § 51; Meursius, Opp., t. VI, col. 841.)

(3) Je dois ajouter encore que, malgré toute ma déférence pour l'opinion du savant M. Hase, je persiste à traduire xaπvi¿w par consumer, ou mieux par embraser. Meursius, dans sa version latine de la Tactique de Léon, a rendu par succendit igne, ce mot que

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Qu'on se serve encore de ce feu d'une autre manière, dit ailleurs l'empereur Léon, au moyen de petits tubes qui se lancent à la main, et que les soldats auront derrière leurs boucliers. Ces petits tubes, préparés précisément de notre règne, sont appelés tubes de main. Ils devront être remplis de feu d'artifice et lancés au visage des ennemis (1). »

M. Hase a rendu ainsi ce passage, qu'il n'a pas traduit en entier :

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<< Se servir encore d'une autre manière, c'est-à-dire, de petits tubes lancés à la main, et qui sont tenus par les soldats derrière les boucliers de fer.

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Les deux traductions n'offrent entre elles aucune différence. Dans ces tubes de main, j'ai vu seulement des petites fusées, et pas autre chose, bien que MM. Reinaud et Favé paraissent croire le contraire. Quant à eux, ils y retrouvent la massue de guerre pour asperger et la lance de guerre des Arabes. Je m'étonne qu'ils aient émis une pareille opinion; car en jetant les yeux sur les figures qu'ils ont données d'après des manuscrits orientaux (2), on voit que ces deux armes étaient à peu près de la longueur des lances ordinaires. L'empereur Léon n'aurait donc pu les désigner sous le nom de μixpoi ciqwves, et il aurait été impossible aux soldats de les placer, comme il l'ordonne, derrière les boucliers.

Les autres citations tirées de la tactique de l'empereur Léon, n'ayant donné lieu à aucun commentaire de la part de MM. Reinaud et Favé, je passe au dernier texte qu'ils aient fait suivre d'observations. Il est emprunté à un récit d'une bataille navale livrée aux Pisans par l'empereur Alexis. Dans ce combat, au lieu de laisser les fusées prendre leur vol d'elles-mêmes, comme on le faisait ordinairement, les Grecs les lancèrent au moyen de ressorts (μetà otρentwv), afin de donner plus

l'on trouve avec la même acception dans l'édition du Thesaurus linguæ græcæ, à laquelle M. Hase a collaboré : פnvilw, fumum excito et è consequenti ignem accendo. D'ailleurs, en traduisant comme M. Hase, n'y aurait-il pas pleonasme à dire qu'un projectile (et on doit remarquer qu'il s'agit d'un projectile incendiaire) qui envoie de la fumée, enfume?

(1) Χρήσασθαι δὲ καὶ τῇ ἄλλῃ μεθόδῳ τῶν διὰ χειρὸς βαλλομένων μικρῶν σιφώνων ὄπισθεν τῶν σιδηρῶν σκουταρίων παρὰ τῶν στρατιωτῶν κρατουμένων, ἅπερ χειροσίφωνα λέγεται, παρὰ τῆς ἡμῶν βασιλείας ἄρτι κατασκευασμένα. Ρίψουσι γὰρ καὶ αὐτὰ τοῦ ἐσκευασμένου πυρὸς κατὰ τῶν προσώπων τῶν] πολεμίων. (Ibid., col. 844; ibid., § 57.) (2) Voyez l'Atlas joint à leur ouvrage, planche I, fig. 7 et 9. La massue de guerre se brisait sur l'ennemi. Voy. leur ouvrage, p. 41. A la, p. 185, ils disent, d'après une description chinoise, que la massue devait avoir cinq pieds.

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