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monopole du transport des marchandises dans toute la partie de la Seine qui traversait le duché, et, en dernier lieu, tenaient de Louis VII le privilége de remonter le fleuve, avec des bateaux vides, jusqu'au Pec (1). Outre la cordouannerie et les produits des tanneries de Rouen, les mariniers apportaient encore du sel, provenant surtout des riches salines de Touques (2); du hareng salé, frais et saur, et d'autres salaisons (3). Cette dernière industrie était alors florissante dans notre province (4); c'est donc à tort que certains auteurs ont prétendu que nous la devons à la Hollande. Il est seulement vrai de dire que les procédés de salaison ont été très-perfectionnés dans ce pays à une époque assez ancienne.

La grande étendue des forêts de la Normandie permettait aussi d'exploiter le fer qu'elle renferme. Les forges les plus importantes de la province étaient celles de Ferrières-Saint-Hilaire, près Bernai (5), lesquelles remontent au onzième siècle; mais il y en avait beaucoup d'autres, puisque l'on compte jusqu'à treize villages appelés Ferrières, et trois localités du nom de Forgel, dans les cinq départements normands. Notre fer était estimé ; je le trouve mentionné, au treizième siècle, concurremment avec le fer du Berri, dans les coutumes commerciales d'Orléans, dites pelites coutumes. Les cartulaires témoignent aussi de cette industrie. Ainsi, il est question, dans le cartulaire de Foucarmont, d'une redevance de vingt esperdites de fer (6). Ce mot est le même que l'espordius de du Cange, et l'esporduite dont il est question dans un conte normand, appelé le fabliau de la Dent. Du Cange a traduit par épaulières, et Méon par gueuse. Je crois que Méon a raison (7).

En échange de toutes ces marchandises, nos mariniers recevaient les vins de l'Ile-de-France et de la Bourgogne (8), qu'ils exportaient particulièrement en Angleterre, car ils s'étaient fait donner, depuis 1174 environ, le monopole du transport (9).

(1) Chéruel, Hist. de Rouen, t. I, p. 33 et s.

(2) Cf. Accord des marchands de Rouen avec ceux de Paris, pour le commerce du sel (Arch. du roy. K, 978), Bibl. de l'Éc. des Ch., t. I, prem. série, p. 538

(3) Cf. Ordonnances, t. XII, p. 287; Legrand d'Aussy, Vie privée des Français, t. 11, p. 78 et suiv.

(4) Charte de 1170, dans le Magasin encyclopédique, t. XIV (1797, t. 11).

(5) Ord. Vital, édit. le Prevost, t. 1, p. 180, note.

(6) Bibl. publ. de la ville de Rouen, cartul. de Foucarmont, fol. 121, vo.

(7) Fabliaux et contes, t. I, p. 161, v. 181 et note.

(8) Magni rot. scacc. Norm., édit. précitée, pp. 22, 47, 116, etc.

(9) Chéruel, Hist. de Rouen, t 1, p. 247.

Ils prenaient, en retour, des cuirs bruts, en grande quantité (1), du plomb (2) et du sel (3). N'oublions pas de dire que le Poitou et la Guyenne nous envoyaient aussi leurs vins et recherchaient nos blés (4). L'Appendix ad Sigebertum a conservé le souvenir d'une grande tempête arrivée en 1177, et qui étant venue fondre sur une véritable flotte, chargée pour la Normandie de vins du Poitou, fit sombrer plus de trente navires (5). Enfin les épiceries avaient pénétré par toute la Normandie dès le commencement du douzième siècle, puisque les habitants de Pont-Audemer, assiégés par Henri Ier, en 1123, avaient enfoui, de crainte du pillage, leur or, leur argent, leurs habits précieux, le poivre, le gingembre, etc. (6). Dans tout ceci, il n'y avait pas matière à échanges pour nos Génois aussi leur attention ne dut-elle se fixer que sur des toiles, à fort bon marché, appelées Rouen, qui convenaient parfaitement aux marchands d'Alger, de Bone, de Bougie et de Tunis, avec lesquels Gênes faisait de grandes affaires. Nous voyons, en effet, qu'au treizième siècle, les commerçants de la puissante république ligurienne faisaient acheter beaucoup de toiles dans nos fabriques (7).

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La prospérité de Rouen faisait bien des envieux; elle avait surtout le malheur d'offusquer les rois de France. La comparaison entre leur royaume et la Normandie était tout à l'avantage de celle-ci. Il n'y a, pour s'en convaincre, qu'à lire le De Administratione de Suger, et à considérer quelle patience, quel courage déploya l'illustre abbé, pour arriver, dans un pays dénué de ressources, à réunir les matériaux et les ouvriers nécessaires pour la construction de sa magnifique basilique. A côté de ce duché si commerçant, le petit royaume continental des Capétiens faisait donc triste figure. Les rois de France, après avoir tenté de se frayer

(1) Cf. Depping, Hist. de Norm., t. II, pp. 437-38; Magni rot. scacc. Norm., édit. précitée, p. 119, col. 1.

(2) Bouquet, t XIV, p. 514.

(3) Madox, Hist. of Exchequer, p. 325.

(4) Cf. Magni rot. scacc. Norm., édit. précitée, p. 125, col. 2; Depping, Hist. de Norm., t. II, p. 437.

(5) D. Bouquet, t. XIII, p. 321.

(6) Simeon. Dunelm. hist., p. 250.

(7) Mém. sur le commerce de Gênes aux douzième et treizième siècles, par le P. Semini, Ms. des Arch. de Turin, cité par M. de Mas-Latrie, dans l'Aperçu des relat. comm. de l'Afrique septent. avec les États musulmans, etc., p. 12.-V. aussi Th. Lefèvre, sieur de Grand-Hamel, Disc. de la Navigation, etc., p. 56.

un chemin jusqu'à la mer, par le Ponthieu (1), avaient fini par s'avouer que Rouen seul pouvait être le port de Paris. Dès lors ils ne ménagèrent plus rien pour atteindre leur but; la guerre, la politique et l'argent, tout est mis en œuvre. Nous ne parlerons de la guerre, qui se renouvelle sans cesse, depuis 1113 jusqu'à la conquête du duché en 1204, que pour rappeler cette réflexion de l'archevêque de Rouen, Rotrou: « La France entière, s'écrie-t-il, est conjurée pour la perte des Normands (2).» La politique commence à se montrer dans l'accueil fait, en France, à saint Thomas de Cantorbéry. On voit ensuite les rois en chape, qui siégeaient à Paris, se maintenir toujours dans d'excellents rapports avec les évêques et les abbés de leur adversaire d'Angleterre. Louis VII, à la croisade, pense à se ménager la faveur des églises normandes, et il écrit aux régents de son royaume de donner à son intime ami Arnould, évêque de Lisieux, soixante muids de son meilleur vin d'Orléans (3). Le même prince gratifia le monastère de Saint-Thomas de Cantorbéry de cent muids de vin, à prendre tous les ans dans sa châtellenie de Poissy (4). Nous sommes porté à croire qu'il n'accorda aux mariniers de Rouen le privilége de remonter jusqu'au Pec avec leurs bateaux, qu'afin de s'attacher cette puissante corporation. Pour Philippe-Auguste, avant de conquérir, il acheta autant qu'il put des domaines en Normandie. En 1190 et 1195, il acquiert, de Richard de Vernon, la châtellenie de Vernon et le territoire nommé Longueville; en 1196, il force Robert, comte de Leicester, à lui céder pour rançon la châtellenie de Pacy-surEure; en 1200, Amaury, comte de Glocester, lui vend le comté d'Évreux (5). L'ardent désir du roi de posséder un port sur la basse Seine, paraît dans ses deux traités avec Jean-sans-Terre. Dans l'un, il se fait donner toute la rive gauche du fleuve; dans l'autre, il exige au moins le petit port de Quillebeuf (6). L'Anglais fit mieux encore que n'espérait Philippe; après une nouvelle rupture, il se laissa prendre Rouen sans réclamation.

(1) F. C. Louandre, Hist. d'Abbeville et du Ponthieu, t. II, p. 353 et s.
(2) Bessin, Concilia Rothom. prov., 2a pars, p. 30 (Lettre de l'année 1178.)
(3) Legrand d'Aussy, Vie privée des Fr., t. III, p. 3.

(4) Arch. du roy., J. 655, pi. 32.

(5) Cf. Ducarel, Antiq. anglo-norm., p. 217 de la traduct.; Gréard, Mém. sur le Tiers et Danger, p. 99 et s.; Depping, Hist. de Norm., t. II, p. 350.

(6) Depping, Hist. de Norm., t. 11, pp. 326 et 409.

CHARTES LAPIDAIRES

EN FRANCE.

Le document inédit que nous allons donner au public ne présenterait qu'un médiocre intérêt, s'il ne se rattachait à une classe de monuments historiques extrêmement rares de nos jours: nous voulons parler des chartes lapidaires, dont on connaît à peine trois ou quatre en France, ou une dizaine au plus, en comptant celles qui existaient au dernier siècle, et qui pour la plupart ont disparu. Qu'il nous soit donc permis de les rapprocher ici, et d'en montrer la nature en les analysant en peu de mots. Il faut mentionner au premier rang, comme la plus ancienne, la donation du fisc de Palaiseau, faite par le roi Pépin le Bref à l'église de Saint-Germain des Prés, et qui avait été gravée sur la bordure d'un cartouche de marbre carré, au milieu duquel figurait une croix ancrée (4).

Sur la terrasse de l'ancien évêché de Die, on lisait une inscription du neuvième ou dixième siècle (2), indiquant la mitoyenneté d'un mur qui séparait deux maisons. Cette notice, malheureusement très-courte, avait cela de curieux qu'elle était rédigée en langue romane du Midi.

Vers la fin du onzième siècle, Jean Ier, évèque d'Orléans, et Albert, homme casé ou vassal de l'église de Sainte-Croix, donnèrent la liberté à un serf nommé Letbert. L'acte de manumission fut inscrit sur le jambage gauche de la porte principale de la cathédrale d'Orléans (3), comme pour témoigner que l'affranchis

(1) Nouv. Traité de Diplomat., t. 1, p. 653.

(2) Antiquités ou Inscriptions des villes de Die, d'Orange, de Vaison, d'Apt et de Carpentras, par J. C. Martin; Orange, 1818, in-8°, p. 30.

(3) Annales benedict., t. V, p. 533; Symphorien Guyon, Hist. d'Orléans, t. 1,

sement avait eu lieu dans cette église, teste hac sancla ecclesia, conformément à l'ancien usage établi par les constitutions impériales (1).

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La ville de Blois offrait deux inscriptions fort intéressantes, dont nous avons à regretter aujourd'hui la perte. La première antérieure à l'an 1102, était gravée sur trois portes de la ville; elle contenait un accord par lequel le comte Étienne, de concert avec Adèle, sa femme, renonçait au droit de boutage (2) en faveur des habitants de cette ville, à condition que ceux-ci ceindraient son château d'un mur. La seconde charte, sculptée sur une grande pierre de la porte Saint-Fiacre, à l'entrée du vieux pont, était de Thibaud V, aussi comte de Blois, qui exerça le dernier les fonctions de grand sénéchal de France de 1153 à 1191, époque de sa mort (3). Par cet acte, le comte Thibaud et Alix, sa femme, abandonnent à leurs sujets différents droits qu'on devrait plutôt appeler exactions; ils se réservent la punition de certains délits ruraux, fixent la quotité des amendes, promettent de ne point altérer leur monnaie et de ne plus percevoir le droit de cornage (4). Les deux actes lapidaires de Blois se terminent, suivant l'usage, par des formules de malédiction destinées à en garantir l'accomplissement (5).

Il n'y a pas longtemps qu'on voyait encore, dans le cloître de l'abbaye d'Aiguebelle (Drôme), une inscription du douzième siècle, relatant la donation que Gontard Lupi, seigneur de Ro

p. 340 et 341. Ce dernier historien nous apprend qu'Albert tenait en fief de l'évêque d'Orléans quelques terres à Pithiviers dans le Gatinais, et qu'en cette qualité il avait souscrit à une transaction passée entre l'évêque Régnier et le chapitre de Sainte-Croix, en ces termes: Albertus de Piveriis castro casatus.

(1) Cod. Just., De his qui in ecclesiis, etc.

(2) Prestation pour le vin mis en futailles. Voy. du Cange, Gloss. verb., botagium. (3) M. Nat. de Wailly, Éléments de Paléog. t. I, p. 236.

(4) Droit levé sur les bêtes à cornes. V. du Cange, verb. Cornagium.

(5) Les pierres monumentales qui contenaient les inscriptions de Blois ont disparu au dernier siècle, par suite de la démolition des portes de la ville. Bernier, dans son Histoire de Blois ( 1682, in-4o, p. 293 et 301 ), en avait donné le fac-simile; mais il u'avait déchiffré que la première, qui a été reproduite dans le Nouveau Traité de Diplomatique, t. II, p. 654. M. Éloi Johanneau les a publiées de nouveau toutes deux, et a donné l'explication de la seconde. Nous admettons sa leçon avec les corrections proposées par MM. Quicherat et Duchalais ( Bibl. de l'École des Chartes, 1oo série, t II, p. 305 et 306 ), et par M. E. Cartier, dans la Revue Numismatique, 1846, n° 1, de janv. et févr., p. 38 et 39.

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