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mands furent obligés d'appeler les Scandinaves à leur secours. Ceux-ci arrivèrent en foule; le duché fut sauvé, mais le pays fut pillé de nouveau, et le calme ne reparut guère dans notre province que vers la fin du dixième siècle. Les relations des Normands avec le Nord devinrent, depuis cette époque, aussi multipliées que pacifiques; des traités unissaient notre duc, Richard-sans-Peur, avec Swen ou Suénon, roi de Danemark et l'un des conquérants de l'Angleterre, avec Olaf, roi de Norwége, et Lacman, roi de Suède. Vers l'an 1002, ces rois vinrent à Rouen, et ils y furent reçus avec une magnificence toute royale. Le fils de Richard Ir, du même nom que son père, entretint ces rapports; ce fut grâce à son intervention que, en 1008, après une captivité de trois ans parmi les Scandinaves, qui l'avaient enlevée, Emma, vicomtesse de Limoges, fut renvoyée libre à son mari (1). Quatre ans après, le roi détròné des Anglo-Saxons, Éthelred II, et son fils, Édouard, venaient chercher asile en Normandie, auprès de leur beau-frère et oucle, le duc Richard II.

Ainsi, on trouvait aide et protection à la cour de nos ducs. Ils accueillirent généreusement jusqu'aux comtes de Flandre, bien qu'ils fussent des voisins assez jaloux, et qu'ils descendissent du meurtrier de Guillaume Longue-Épée. On sait que le comte Arnould II, engagé dans une guerre malheureuse pour n'avoir pas voulu reconnaître la royauté de Hugues Capet, trouva un asile auprès de Richard Ier, qui le réconcilia avec le nouveau roi, et que Robert le Magnifique ramena en Flandre, en 1028, le vieux comte Baudouin IV (2).

Ces services signalés durent faciliter extrêmement l'extension du commerce rouennais en Flandre, dans cette contrée si nécessairement industrielle, qu'au lendemain, pour ainsi dire, des terribles invasions scandinaves, on y voit renaître des fabriques et un commerce considérable de cuirs tannés, de toiles et de draps (3). Mais s'il n'y a que de fortes présomptions en faveur de l'existence, aux dixième et onzième siècles, d'un commerce maritime entre Rouen et les villes flamandes, pour l'Angleterre la certitude est complète. Les lois qui portent le nom d'Ethelred II, et qui sont par conséquent antérieures à l'année 1012,

(1) Adhemar de Chab., ap. Bouquet, t. X, p. 151.

(2) Warnkœnig, Hist. de la Flandre, t. I, p. 152 et 154. (3) Id., t. II, p. 181 et suiv.

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témoignent de la faveur extrême que les Normands trouvaient en Angleterre. Elles portent que les marchands de Rouen qui amenaient, dans le royaume, du vin et du craspois (poisson à faire de l'huile) étaient exempts d'impôts (1). Nous faisions donc, tout au commencement du onzième siècle, le transit des vins de France pour l'Angleterre. Quant au commerce du craspois, c'était une très-ancienne industrie, pratiquée par tous les riverains de la partie de mer comprise entre le Rhin et la Seine, nommée mer Britannique. Le livre des miracles de saint Vaast, qui nous reporte à l'année 876, dit à ce sujet : « In Britannico mari, soliti sunt piscatores simul proficisci ad capiendum balenam (2). »

Des détails qui précèdent, il faut conclure, ce nous semble, que., par leur établissement en France, les Normands ne rendirent pas seulement la tranquillité aux contrées occidentales de l'Europe, mais encore qu'ils furent les premiers à profiter de la paix, pour relever, je dirais même pour créer le grand commerce maritime entre la France et les pays septentrionaux.

Cependant les pensées de ce peuple, nouvellement converti, s'étaient tournées vers l'Orient; et peut-être que, dans son désir de visiter les saints lieux, il entrait beaucoup de cette curiosité et de cette audace irrésistibles qui l'avaient poussé dans le monde. Quoi qu'il en soit, on vit, dès le commencement du onzième siècle, les Normands, en habit de pèlerins, se diriger vers Jérusalem. Ils y étaient déjà si connus, du temps de Richard II, c'est-à-dire avant 1028, que les moines du mont Sinaï venaient dès lors tous les ans à Rouen, recueillir les magnifiques aumônes du duc (3). Et lorsque Pierre l'Ermite appela, en 1095, tout l'Occident à la croisade, chacun sait que les Normands furent des premiers à répondre. C'étaient, du reste, de rudes pèlerins, et qui ne se faisaient pas faute, chemin faisant, de distribuer quelques bons coups d'épée. A ce titre, ils étaient renommés par tous pays, et principalement en Espagne, en Sicile et en Italie. Les Sarrasins et les Grecs les connaissaient à merveille.

(1) Leges Ethelredi regis, c. 23, apud du Cange, vo Craspiscis. Il paraît que ces denrées payaient au contraire à Londres, au douzième siècle. (V. Ch. de Henri-Plantagenet, art. 21, dans Chéruel, Hist. de Rouen précitée, t. 1, p. 241 et suiv.) (2) D. Bouquet, t. VII, p. 367.

(3) Raoul Glaber, I. III, coll. du Chesne, t. IV. (Voy. l'art. de M. Lud. Lalanne sur les Pèlerinages avant les croisades, Bibl. de l'Éc. des Ch, t. II, 2o série, pag. 1 et suiv.)

Toutes ces expéditions ou pèlerinages, comme on les voudra nommer, ne se faisaient point sans profit pour le commerce. On racontait au foyer ce qu'on avait appris des usages de ces pays lointains; on en rapportait parfois les produits de leur industrie. Par exemple, nous voyons que, en 1077, Guillaume Pantol fit don à l'abbaye de Saint-Évroult de quatre grands morceaux des plus belles étoffes de soie, brochée d'or, qu'il eût rapportées de la Pouille (1). Mais pour faire toucher du doigt l'utilité commerciale de ces voyages, il faut savoir qu'à Chartres, à peu de distance de la Normandie, on n'eut d'idées précises sur le midi de l'Italie qu'au commencement du douzième siècle (2), c'est-àdire environ un siècle après que les Normands s'y furent établis. Il serait peut-être téméraire d'avancer qu'il existât des relations directes de commerce entre l'Italie et notre province au onzième siècle; mais on est du moins conduit à penser que Rouen était alors une ville fort riche, lorsqu'on voit, en 1090, après la révolte de Conan, le bourgeois Guillaume, fils d'Auger, payer pour sa rançon, à Guillaume de Breteuil, la somme énorme de 3,000 livres, ce qui ferait environ 300,000 francs aujourd'hui. L'allocution de Henri Beau-Clerc à Conan, au moment de précipiter du haut du château de Rouen ce précurseur du fameux Étienne Marcel, rend aussi témoignage de la fréquentation du port de notre ville: « Ecce Sequana, piscosum flumen, Rotomagensem murum allambit, navesque pluribus mercimoniis refertas huc quotidie devexit (3).

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Un aussi grand concours de navires et de marchandises ne peut s'expliquer que par la bonne réputation dont jouissaient déjà ceux que l'historien Dudon de Saint-Quentin appelle les marchands demeurant à Rouen (4); et, en effet, Raoul Glaber, qui vivait au commencement du onzième siècle, fait un éloge complet de leur bonne foi dans le commerce, quand il assure que c'était, parmi les Normands, une espèce de crime que de vendre une chose au delà de son prix (5).

On doit assigner encore d'autres causes à cette prospérité. Si l'on compare la Normandie avec les provinces qui l'entouraient,

(1) Ord. Vital, l. V, p 433 de l'édit. Aug. le Prevost.
(2) Guérard, Prolég. du Cartul de S. Père, p. 206.
(3) Ord. Vital, I. VIII, ap. du Chesne, p. 689 et suiv.
(4) Du Chesne, Script. rer. Normann., p. 75.
(5) L. I, c. 4, De paganorum plagis.

on reconnaîtra qu'elle avait l'avantage sur elles. Au midi et au nord, elle n'était bornée que par des États faibles ou divisés. Ainsi la Bretagne, la plus maritime de toutes les provinces voisines, était retombée dans la barbarie, et pour le Ponthieu, un historien du pays, Hariulfe, rend témoignage que de son temps, vers le milieu du onzième siècle, on n'y trouvait point de cités, mais seulement des stations fortifiées (1). Rouen, au contraire, avait été entouré de bons murs et de larges fossés dès le commencement du dixième siècle (2). C'était alors une des premières conditions pour qu'une ville prospérât, même dans son commerce; ce fut à l'ombre de ces remparts que s'établirent les premières tanneries de Rouen, qui depuis ont été si célèbres (3). On ne sait rien malheureusement sur la manière dont les bourgeois de notre ville furent gouvernés sous les ducs Richard le Bon, Richard III et Robert le Magnifique (1002 à 1035); mais tout porte à croire que ces règnes assez courts, où le pouvoir civil était d'ailleurs contrebalancé par l'autorité ecclésiastique, ont été peu oppressifs. Vint Guillaume le Conquérant, dont la politique et les victoires allaient porter si haut la destinée et les richesses des marchands de Rouen.

Guillaume, qui se sentait fortement de sa double origine, employa tout son crédit à servir sa cupidité et son besoin de domination Il ne faut pas trop s'en plaindre, puisque la sûreté des campagnes de la Normandie et les libertés rouennaises viennent de là. Pour faire observer la paix de Dieu, introduite dans la province, au plus tard, en 1046 (4), Guillaume commença par vaincre deux fois ses barons, d'abord au Val des Dunes et puis à Mortemer (1045). Mais ce n'était pas assez pour le nouveau duc; il sut encore appliquer leur activité aussi bien que leurs revenus à son plus beau profit et à sa plus grande gloire. Dans cette superbe flotte de quatorze cents navires, qui partit, en 1066, de l'embouchure de la Dive pour la conquête de l'Angleterre, sept cent quatre-vingt-un vaisseaux avaient été construits aux frais des principaux seigneurs laïques et ecclésiastiques du duché (5).

(1) F. C. Louandre, Hist. d'Abbeville et du Ponthieu, t. II, p. 336.

(2) Chéruel, Hist. de Rouen précitée, t. I, p. xl.

(3) Rech. hist. sur Rouen, par M. Ch. Richard, Porte Martinville, p. 24.

(4) Ceci est prouvé par un passage du Cartulaire de Préaux, cité pour la première fois par M. Aug. le Prevost, dans son édit. d'Ord. Vital, t. II, p. 316, note. (5) Ord. Vital, édit. le Prevost, t. II, p. 125, note.

Si l'établissement de Guillaume en Angleterre mit le comble au renom des Normands, ce fut aussi une excellente opération commerciale. Nous avons dit tout à l'heure que, dès le temps d'Ethelred II, les marchands rouennais jouissaient de divers priviléges en Angleterre. Sous le règne d'Édouard le Confesseur, qui avait été élevé en Normandie, ils étaient encore mieux accueillis ; ils avaient à Londres un port qui leur était spécialement destiné, et qui se nommait Dunegate (1). Après la conquête, il va sans dire que les Normands y furent encore mieux traités. Les priviléges commerciaux restèrent pourtant réciproques entre les deux peuples. Mais les troubles qui suivirent notre arrivée donnèrent par le fait de grands avantages à notre commerce sur celui des Anglais. Orderic Vital fait observer que, en 1070, les marchés de l'Angleterre étaient encombrés de trafiquants et de denrées françaises (2).

Après s'être montré un conquérant, Guillaume parut en législateur. Ses lois étaient favorables à la navigation; elles statuaient, par exemple, que celui qui jetait à la mer les choses d'autrui, en cas de nécessité, était exempt de toute réparation (3); en 1080, notre duc revint en Normandie, pour y continuer ses travaux législatifs. Par ses ordres, les plus riches bourgeois furent appelés, peut-être pour la première fois, à comparaître devant leur souverain, et à lui exposer leurs besoins. Ils se présentèrent à Lillebonne, avec les députés des deux autres ordres, devant Guillaume, qui, agissant en maître dans cette assemblée, entendit les plaintes et rendit des décrets. Il défendit de troubler en quoi que ce fut les marchands dans leur commerce, et cette injonction fut si ponctuellement observée qu'on pouvait, dit la Chronique saxonne, voyager en Normandie avec la ceinture pleine d'or, sans crainte d'aucune vexation (4). Ce qui se passa entre le prince et ses sujets, relativement à la fabrication des monnaies, est trop caractéristique pour ne pas être rapporté. Par une exception fort rare en ce temps, le duc était le seul dans tout le duché qui fît battre monnaie; il était done aisé de s'entendre pour en fixer irrévocablement le titre. A la prière des députés

(1) Chéruel, Hist. de Rouen précitée, t. I, p. 245 (Ch. de Henri Plantagenet).
(2) Orderic Vital, 1. VI, ap. du Chesne, Script, rer. Normann., p. 520.
(3) Leges Guill. Conq., art. 38.

(4) Chron. sax. ap. D. Bouquet, t. XIII, p. 51.

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