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DES

ERREURS DE DATE

CONTENUES

DANS LES REGISTRES DU TRÉSOR DES CHARTES.

Il y a quelques années, un de nos confrères publia dans ce Recueil un article relatif au Trésor des Chartes (1). Cette notice, que nos lecteurs n'ont sans doute point oubliée, me dispense de donner aucun détail sur la collection célèbre qui en fait l'objet. Ceux qui voudraient avoir des renseignements plus étendus peuvent d'ailleurs consulter les travaux de Dupuy (2), de Sauval (3), de Bonamy (4), ainsi que le mémoire lu récemment par M. Dessales à l'Académie des inscriptions (5). Le seul but que je me propose ici est d'éveiller l'attention sur les erreurs de date qu'ou rencontre parfois dans les Registres du Trésor, et d'en signaler quelques-unes à ceux qui peuvent être appelés à publier d'après ces Registres les actes de l'autorité royale.

Je reconnais en principe qu'on doit apporter la plus grande réserve à critiquer et corriger les textes contenus dans des Registres publics; et j'ajoute qu'au premier coup d'œil les Registres du Trésor des Chartes

(1) Tome IV de la 1re série, p. 354.

(2) Du Trésor des Chartes du Roi et de la charge de Trésorier à la suite du Traité des Droits du Roi.

(3) Histoire et recherche des antiquités de la ville de Paris, t. II. C'est la reproduction du travail de Dupuy avec quelques modifications.

(4) Mémoire historique sur le Trésor des Chartes et sur son état actuel, inséré dans le t. XXX des Mémoires de l'Académie des Inscriptions.

(5) Le Trésor des Chartes, sa création, ses gardes et leurs travaux, inséré dans le tome jer des Mémoires présentés par divers savants à l'Académie des Inscriptions.

ont un caractère d'authenticité qui semble leur mériter une entière confiance. Mais il faut se garder de pousser trop loin les conséquences de cette présomption, et l'on doit se rappeler que ces Registres n'étaient au demeurant que des copies, faites il est vrai par ordre du Roi et sous la surveillance d'un de ses officiers, mais destinées plutôt à servir de memoranda qu'à remplacer les originaux. Cette circonstance seule suffit à faire comprendre les fautes qu'ont pu commettre par ignorance ou par incurie les copistes chargés de la transcription, et qui portaient quelquefois la négligence jusqu'à laisser en blanc les noms de mois, de jour et de lieu. On eût peut-être évité bien des erreurs, si les actes du gouvernement, tels qu'Ordonnances, Edits, Lettres patentes ou Sauvegardes, eussent été régulièrement transcrits sur les Registres du Trésor au moment même de leur rédaction. Mais on sait que les choses ne se passaient point ainsi. Les actes, qui avaient un objet d'utilité générale, étaient envoyés, munis du sceau royal et du visa de la Chancellerie, à l'autorité chargée de les promulguer et d'en assurer l'exécution. Cette autorité, Parlement, Chambre des Comptes, Cour des Aides, Châtelet, Bailliage ou Sénéchaussée, conservait l'original dans ses archives, le faisait transcrire sur ses Registres particuliers, et en envoyait à tous ses agents des copies certifiées conformes. C'est ce que prouve un grand nombre de documents, où on lit que ces autorités diverses sont chargées d'envoyer des copies partout où besoin sera, et que foi est due aux vidimus comme aux originaux. C'était en effet le seul mode de publication possible à une époque où l'imprimerie ne fournissait pas le moyen de multiplier les exemplaires. Quant aux actes qui n'avaient qu'un objet spécial, et dont la teneur ne devait point être portée à la connaissance du public, les originaux en étaient directement remis par la Chancellerie aux particuliers qui les avaient obtenus.

La transcription de ces diverses sortes d'actes sur les Registres du Trésor, n'étant exigéc ni pour leur validité ni pour leur promulgation, devait nécessairement être irrégulière. Ceux qui concernaient l'intérêt public y étaient rarement copiés; il faut surtout les chercher dans les Registres des corps auxquels ils étaient adressés. On y rencontre bien plus fréquemment ceux qui statuaient sur un intérêt privé, et la raison en est simple; les particuliers ou les communautés qui possédaient les originaux, craignant qu'ils ne se perdissent ou que le temps ne les altérât, les portaient souvent au Trésor, et demandaient leur transcription sur les Registres, afin de pouvoir au besoin s'en faire délivrer des copies. On voit même, par le mot contentor, qui se lit au bas d'un grand nombre de transcriptions, que le garde du Trésor percevait un droit

pour son travail (1). Mais on comprend sans peine que cet enregistrement, en quelque sorte volontaire et souvent tardif, ne pouvait toujours offrir la garantie d'une parfaite exactitude.

La présence d'un document dans les Registres du Trésor ne dispense done pas d'un examen scrupuleux celui qui veut le publier d'après ees Registres. Il doit surtout faire porter sa critique sur la date, car les erreurs de date sont à la fois les plus faciles à commettre et les plus graves pour la vérité historique. Je vais signaler quelques-unes de ces erreurs commises par les copistes du Trésor; j'ai choisi mes exemples parmi les Ordonnances des Rois de France de la troisième race, parce que cette collection est une de celles qui ont le plus emprunté aux Registres dont il s'agit.

1165. Lettres de Louis VII, vidimées successivement par Louis X en 1315, Philippe VI en 1345 et Jean II en 1351, qui défendent de faire dans la ville de Paris des prises de matelas et de coussins pour le Roi. Elles portent dans le Registre 80 du Trésor la date de millesimo DucenTESIMO sexagesimo quinto, de sorte que l'éditeur du tome II des Ordonnances les avait d'abord attribuées à saint Louis (2); plus tard il reconnut et rectifia son erreur, en trouvant dans les archives de l'Hôtel de ville de Paris l'original, qui était daté de l'an millesimo CENTESIMO sexagesimo quinto (3).

1279. Lettres de Philippe III, vidimées par Jean II en 1350, qui accordent des priviléges aux habitants d'Aigues-Mortes. Elles portent dans le Registre 80 du Trésor la date de millesimo septuagesimo nono, et Secousse, éditeur du tome IV des Ordonnances, les attribua en conséquence à Philippe Ier, en faisant remarquer combien leur ancienneté et la rareté des documents de cette nature à une époque aussi reculée les rendaient précieuses (4). Mais D. Vaissette s'éleva contre l'attribution de ces Lettres à Philippe Ier (5); à défaut de preuves matérielles, il invoquait des considérations historiques décisives: 1° à la suite de l'année de l'incarnation se trouve dans les lettres en question l'année du règne du Roi, regni vero nostri anno NONÓ: or l'année 1079 ne tombe point sur la neuvième année du règne de Philippe Ier, puisque ce prince monta sur le trône en 1059; 2° aucun des grands Officiers de la Couronne, qui les ont contre-signées, ne vivait dans le onzième siècle;

(1) Du Cange, vo Contentor.

(2) Ordonnances, t. II, p. 434.

(3) Ordonnances, t. IV, p. 268.

(4) Ordonnances, t. IV, p. 41.

(5) Histoire du Languedoc, t. III, p. 593,

3o Philippe Ier n'a jamais possédé aucun domaine dans le Languedoc, ni exercé aucun acte d'autorité dans cette province; 4° enfin la ville et le port d'Aigues-Mortes ne doivent leur origine qu'à saint Louis. D. Vaissette concluait donc que les priviléges accordés aux habitants de cette ville devaient être attribués à Philippe III, et qu'il fallait rétablir dans la date le mot DUCENTESIMO omis par le copiste. Secousse se rendit à ces observations; il fit même imprimer une feuille de correction, qu'il invita les possesseurs du tome IV à joindre à ce volume, et plus tard Bréquigny donna, d'après le Registre 62 du Trésor, un autre vidimus des mêmes Lettres, qui justifiait pleinement l'opinion de D. Vaissette et de Secousse (1). Ces rectifications successives ne réussirent pas complétement à détromper les savants; M. de Pastoret croyait encore à la vérité de la date de 1079, lorsqu'en 1811 et 1820 il faisait imprimer les tomes XV et XVII de la Collection des ordonnances (2), et M. Thierry semble accuser d'erreur volontaire l'éditeur du tome IV, aveuglé par sa prédilection pour l'autorité royale (3).

1323. Lettres de Charles IV, vidimées par Philippe VI en 1338, et Charles, Régent du royaume pour son père Jean II, en 1358, qui règlent le ressort de plusieurs localités (4). Elles portent dans le Registre 86 du Trésor la date du 31 août 1328; mais Secousse a fait observer avec raison que Charles IV était mort le 28 août de cette même année. D'ailleurs les Lettres dont il s'agit furent révoquées au mois de février 1323; elles doivent donc être antérieures à cette époque ; et comme Charles IV est monté sur le trône le 3 janvier 1322, on ne peut leur assigner une autre date que le 31 août 1323.

1325. Lettres de Charles IV, vidimées par Charles VI en 1407 et Charles VII en 1429, qui confirment l'établissement de foires à Montagnac (5). Elles portent dans le Registre 211 du Trésor la date du 19 juin 1300 or à cette époque c'était Philippe IV et non Charles IV qui régnait en France. Mais on trouve au registre 232 un nouveau vidimus de ces Lettres, qui rétablit leur véritable date de 1325.

1341. Lettres de Philippe VI, vidimées par Jean II en 1362, qui accordent des franchises aux marchands portugais établis à Harfleur (6). Elles portent dans le Registre 91 du Trésor la date de mai 1351 : or

(1) Ordonnances, t. XII, p. 484.

(2) Ordonnances, t. XV, p. 691, note c, et t. XVII, p. xxvш.

(3) Lettres sur l'histoire de France, Lettre XIII.

(4) Ordonnances, t. III, p. 325.

(5) Ordonnances, t. XIX, p. 629. (6) Ordonnances, t. III, p. 571.

Philippe VI était mort depuis le mois d'août 1350. Mais on trouve au Registre 80 un autre vidimus de ces Lettres, qui leur restitue la date de 1341.

1342. Lettres de Philippe VI, vidimées par Charles VI en 1390, qui confirment un règlement fait entre les bouchers et les tanneurs de la ville de Chartres (1). Elles portent dans le Registre 140 du Trésor la date de 1382, date évidemment fautive, puisqu'à cette époque le trône était occupé par Charles VI, et non par un Roi du nom de Philippe. Secousse, qui avait reconnu l'erreur sans pouvoir la rectifier, pensait qu'on devait attribuer ces Lettres à Philippe III; mais les mots proavus noster, dont Charles VI se sert dans le vidimus, prouvent qu'il s'agit de Philippe VI, et un vidimus de Charles VIII, qu'on trouve au Registre 210, donne en effet la date de 1342 (2).

1361. Lettres de Jean II, vidimées par Charles V en 1378, qui accordent des priviléges à plusieurs chapitres et communautés de la ville de Cambrai (3). Elles portent, dans le Registre 114 du Trésor, la date du 29 septembre 1367; mais comme elles sont rappelées dans d'autres Lettres du mois de mars 1361, qui les suivent immédiatement, il y a évidemment une faute qu'on doit chercher à rectifier. Je viens de montrer que les Lettres dont il s'agit sont nécessairement antérieures au mois de mars 1361; j'ajoute qu'il est plus naturel de faire porter l'erreur sur le nombre complémentaire de sept que sur celui de mil trois cent soixante, qui forme le corps principal de la date, et que le commencement de l'année 1360 doit être également fixé comme un terme qu'on ne saurait dépasser. Si l'on admet cette probabilité, et si l'on remarque: 1o que jusqu'au mois de juillet 1360, époque où le Roi sortit de prison et revint en France, les actes de l'autorité royale furent intitulés au nom du Régent; 2o qu'au mois d'octobre de cette même année le Roi se trouvait encore à Calais, comme le prouve la ratification du traité de Bretigny, on sera forcément conduit à dater du 29 septembre 1361 les Lettres qui nous occupent, et qui sont à la fois données à Paris et intitulées au nom du Roi.

1365. Lettres de Charles V, vidimées par Charles VI en 1382 et par Henri VI d'Angleterre prenant qualité de Roi de France en 1424,qui confirment la Sauvegarde royale accordée aux Quinze-Vingts de Paris (4). Elles portent, dans le Registre 173 du Trésor, la date de 1360; mais il faut

(1) Ordonnances, t. VII, p. 398.
(2) Ordonnances, t. XIX, p. 334.
(3) Ordonnances, t. VI, p. 356.
(4) Ordonnances, t XIII, p. 65.

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