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subsides pour payer des compagnies de gentilshommes et d'autres volontaires; un certain chiffre d'hommes devait être fourni, dans les villes et les campagnes, en raison du nombre de feux. On n'entendait pas que la convocation de l'arrière-ban continuât d'être un simple moyen d'imposer des tailles et des aides. Les états-généraux voulaient que l'arrière-ban ne pût être appelé qu'après une bataille et dans le cas de nécessité absolue. C'était un coup porté au système de l'ancien service féodal. Le feudataire ne pouvait plus se faire suivre de tous ses tenanciers. Le roi lui-même ne devait plus abuser de ce moyen extrême. Les milices fournies par les bonnes villes, par les communes, ne suffisant pas, n'étant d'ailleurs ni assez aguerries ni assez exercées au maniement des armes, toute l'importance devait passer dans l'armée aux soudoyers. L'emploi qu'en avaient fait les Anglais en démontrait clairement la supériorité, quand ils étaient bien réunis par compagnies, bien disciplinés. On s'attacha donc surtout à recruter de pareilles troupes. Afin d'attirer les enrôlemens, une ordonnance du roi Jean déclara que ceux qui feraient la guerre en partisans auraient l'entière propriété du butin par eux pris sur l'ennemi, sans que les lieutenans du roi, le connétable, le maître des arbalétriers pussent en réclamer une part, à moins que leurs gens n'eussent assisté à l'affaire. Diverses provinces s'engagèrent à entretenir pendant une année un nombre assez considérable d'hommes d'armes. On soumit les compagnies ȧ un contrôle plus sévère, à des montres régulières, afin que les capitaines ne se fissent pas donner la solde pour plus qu'ils n'avaient d'hommes, en faisant figurer dans ces revues des passavans ou soldats postiches, fraude dont même des princes du sang paraissent s'être rendus coupables, car on abolit la dispense dont ils jouissaient à cet égard. Les troupes entretenues par chaque province étaient exclusivement destinées à la défense de celle-ci. Il y avait en outre les compagnies soldées qui relevaient du roi, et quand Charles V se fut affranchi de la tutelle des états-généraux, il reprit la suprême direction de l'armée en se débarrassant du contrôle importun des élus.

Les capitaines furent placés sous la surveillance du connétable et des maréchaux; mais ces hommes d'armes de bonne volonté, il ne fut pas tout d'abord facile de les recruter en présence des vides que nos défaites avaient faits dans la noblesse. La trêve de Bordeaux et surtout le traité de Brétigny nous permirent de prendre à notre solde quelques-unes des compagnies qui avaient servi nos ennemis. L'Angleterre, n'ayant plus besoin de ses routiers, avait commencé à les licencier. Ce fut là la cause de nouvelles souffrances pour le pays; ces soldats sans solde ne se dispersèrent pas, ils gardèrent leur organisation et s'abattirent sur les provinces: ils y continuèrent les

déprédations auxquelles la guerre les avait accoutumés. Les compagnies devinrent de véritables bandes de brigands dans le sens actuel du mot, auquel de telles habitudes chez ceux qu'on appelait ainsi valurent sa moderne acception. Le roi de Navarre, qui déclarait la guerre au dauphin, prit à son service, dès qu'il se fut échappé, plusieurs des bandes qui avaient guerroyé pour Édouard III, surtout les routiers gascons, qui faisaient, suivant leur expression, guerre d'Anglais, et dévastaient impitoyablement la France, qu'ils appelaient leur chambre, et où ils se croyaient tout permis. Ces bandits ne respectaient pas plus leurs anciens frères d'armes et leurs compatriotes que leurs ennemis, ainsi qu'on peut le voir par ce que Froissart rapporte de Bascot de Mauléon, qu'il a mis si curieusement en scène, un vrai type de ces chevaliers d'industrie de la guerre, comme il y en avait tant alors. Charles le Mauvais dut à son tour licencier ses soudoyers après la conclusion du traité de Brétigny. Cela ne fit qu'accroître le nombre des aventuriers qui guerroyaient pour leur propre compte. Les compagnies s'étaient surtout répandues entre la Seine et la Loire; elles infestaient les routes de Paris à Orléans, à Chartres, à Vendôme, à Montargis, tandis que Robert Knolles désolait la frontière de Normandie avec ses brigands et y gagnait, nous dit Froissart, bien cent mille écus. La France fut jusqu'en 1365, jusqu'à l'époque où Charles V signait la paix avec le roi de Navarre, tantôt sur un point, tantôt sur un autre, la proie de ces soudards rompus au métier et souvent plus redoutables que des armées régulières. Il lui fut plus difficile encore de s'en délivrer que de conclure avec Édouard une paix même déplorable.

A peine le traité de Brétigny avait-il été ratifié à la fin de 1360, que les routiers, comme s'ils se fussent donné rendez-vous pour aller exploiter une région de la France jusqu'alors plus épargnée, affluèrent dans la vallée du Rhône et marchèrent sur le comtat d'Avignon, ayant à leur tête deux Anglais, Jean Hawkwood et Jean Creswey, et deux Gascons, Séguin de Badefol et Robert Briquet. Les aventuriers réussirent à prendre d'assaut l'importante forteresse de Pont-Saint-Esprit, malgré l'énergique résistance de Jean Sauvain, sénéchal de Beaucaire et ancien bailli de Rouen, qui périt dans la lutte. Maîtresses du cours du Rhône, les compagnies tinrent bloqués le pape et le sacré collége, qui se voyaient exposés à mourir de faim. Innocent VI eut beau prêcher la croisade contre ces bandits, personne ne bougea, et il en fut réduit à faire remettre une somme considérable au marquis de Montferrat, à la charge de les prendre à son service. Un de leurs chefs, Hawkwood, joua ensuite un rôle important en Italie; il continua ses féroces exploits, d'abord à la solde de Barnabo Visconti, digne protecteur d'un tel capitaine, puis à celle des Florentins. Séguin de Badefol fut moins

heureux près du patron qu'il s'était donné, le roi de Navarre, et, si l'on en croit certains témoignages, Charles le Mauvais, qui convoitait ses trésors, l'aurait empoisonné. Ces aventuriers ne pardonnaient pas au pape d'avoir activement travaillé à la paix, qui faisait chômer leur industrie. Les compagnies ne passèrent pas, à beaucoup près, toutes en Italie.

Lorsqu'à la fin de 1361 et au commencement de 1362 Jean Chandos prit possession, au nom du roi d'Angleterre, des principales places du midi de la France, beaucoup de ces bandes inquiétaient encore diverses provinces du royaume, et, loin de se disperser, elles agirent de concert et formèrent une nouvelle armée d'invasion qui s'avança du côté d'Avignon. Le roi Jean se hâta de donner ordre au comte de Tancarville, son lieutenant dans le duché de Bourgogne, de marcher avec toutes ses forces contre les compagnies qui se concentraient, comme elles l'avaient fait deux années auparavant, dans la vallée du Rhône. Jacques de Bourbon, comte de la Marche, et Pierre, son fils, Louis de Forez, se joignirent à Tancarville. Malgré la leçon qu'ils avaient reçue à Poitiers, les chevaliers français, qui croyaient sans doute n'avoir affaire qu'à un ramassis de pillards, s'élancèrent contre eux inconsidérément; mais les routiers comptaient parmi eux des officiers expérimentés, ils surent prendre d'habiles dispositions. Ils remportèrent à Brignais, près de Lyon, une éclatante victoire. L'élite de notre noblesse y périt ou tomba entre les mains des vainqueurs. Cette victoire ne fit qu'accroître l'audace des aventuriers, et le pape, plus effrayé que jamais, implora le secours du roi de France. Celui-ci était l'obligé d'Innocent VI, qui lui avait prêté une forte somme pour acquitter l'échéance de sa rançon prorogée jusqu'au 17 avril 1362; il ne pouvait abandonner le saint-père dans une situation si critique. Il appela donc de Normandie le connétable Robert de Fiennes afin de donner la chasse à ces bandes, qui prirent plus de soixante forts en Mâconnais, en Forez et dans la basse Bourgogne. Elles excellaient dans la guerre de surprises, et une nuit l'une d'elles s'empara ainsi de La Charité-sur-Loire, qu'elle garda un an et demi.

Telle était la puissance des chefs de compagnies, Anglais ou Navarrais, que les capitaines du roi de France durent plusieurs fois traiter avec eux. Ils occupaient une foule de places, et malgré le traité de Brétigny ils ne consentaient à en sortir que moyennant forte composition. Quand le roi Jean put rentrer en France et s'apprêta à se rendre de Calais à Paris, cette capitale se trouvait tout entourée d'une ceinture de forteresses où s'étaient logées les compagnies anglo-navarraises pour intercepter toutes les communications. Les chefs de bandes ne permirent au roi de passer qu'après lui avoir chacun extorqué comme une seconde rançon. Dure néces

sité pour un prince qui se croyait libre ! elle arrachait à Pétrarque de mélancoliques réflexions. Les souffrances qu'éprouvait la population de notre pays l'avaient d'autant plus exaspéré que les troupes françaises ne se faisaient pas faute de dépouiller les paysans du peu qu'il leur restait.

Les états-généraux se plaignaient vivement de la licence des troupes, contre laquelle sévissait quelquefois le parlement. Des ordonnances défendirent aux gens d'armes, sous peine de la corde, de prendre ni de piller le blé, le vin et les autres denrées. Les populations furent autorisées à résister au pillage et à demander main-forte aux juges voisins; mais ces mesures ne semblent pas avoir eu grand effet; les moyens manquaient pour les rendre efficaces. Édouard III et Charles le Mauvais ne faisaient, bien entendu, rien de leur côté pour empêcher des déprédations qui servaient leurs desseins. Le roi d'Angleterre partageait quelquefois avec eux le profit, tout en paraissant demeurer étranger à leurs actes. Quand la guerre était suspendue entre la France et l'un des deux alliés, Édouard III et Charles le Mauvais, les mêmes bandes continuaient à guerroyer pour le compte de l'autre. Ainsi, après la trêve de Bordeaux, les compagnies firent la guerre au nom du roi de Navarre, et quand la trêve fut expirée, la paix de Pontoise conclue, ils la firent au nom du roi d'Angleterre. Charles le Mauvais en effet n'avait pas été plutôt enlevé par Jean de Picquigny de sa prison d'Arleux, qu'il était venu soutenir la révolte des Parisiens, et tout en prêtant son appui aux rebelles qui soudoyèrent d'abord quelques bandes anglo-navarraises, il s'entendit avec Édouard, dont les émeutiers de la capitale faisaient les affaires. M. Luce a mis en relief, par un document de première importance qu'il a découvert, la trahison de Charles le Mauvais, qui s'abouchait avec l'Anglais dans l'espérance visible de le jouer ensuite et de s'approprier la couronne revendiquée par Édouard. Il fallait au roi de Navarre, pour pouvoir accomplir ses projets, se rendre maître de Paris. Étienne Marcel, qui s'était mis dans cette ville à la tête de la révolte et avait tout à redouter du régent, dont il n'espérait plus le pardon, était entré dans cette odieuse trame. Sa fin tragique, arrivée dans la nuit du 31 juillet 1358, l'empêcha, comme on sait, d'ouvrir les portes de la capitale au complice des Anglais et vint anéantir les espérances de ce félon vassal. Dès le lendemain, Charles le Mauvais, que cet événement avait rendu plus modeste dans ses prétentions, invita ses plénipotentiaires à faire enfin aboutir les négociations pendantes depuis plus d'un mois et à signer un traité, en se soumettant aux conditions dictées par Édouard. Ce traité, daté du 1er août et destiné évidemment à demeurer secret, consacrait le démembrement de la France au profit des deux contractans.

Le roi d'Angleterre se faisait naturellement la part du lion: il s'adjugeait le royaume de France proprement dit; le roi de Navarre avait pour sa part le comté de Champagne et de Brie. Comme les plénipotentiaires ne purent s'entendre au sujet de la Normandie, du bailliage d'Amiens et du comté de Chartres, le traité porta que les deux souverains décideraient eux-mêmes de la possession de ces provinces à leur première entrevue. La France était donc à deux doigts de sa perte, et la nation le comprenait. Après le désastre de Poitiers, le patriotisme s'était réveillé dans la population rurale. Les résistances locales s'organisaient, et ce fut un simple paysan de Longuœil-Sainte-Marie, non loin de Compiègne, Guillaume l'Aloue, qui fit le premier prendre les armes aux gens de la campagne. Les vilains n'entendaient pas se battre, comme les compagnies, pour s'approprier du butin : ce qu'ils voulaient, c'était délivrer le territoire; ils ne faisaient pas en conséquence quartier aux Anglais qui tombaient entre leurs mains et refusaient de les prendre à rançon; ils mettaient une sorte de point d'honneur à ne recevoir aucun noble dans leurs rangs. Guillaume l'Aloue perdit la vie dans un combat où ses paysans tuèrent plus de cent ennemis entre lesquels vingt-quatre chevaliers, mais il laissa un valet, le grand Ferré, dont le nom est resté longtemps populaire et qui se chargea de venger son maître, qu'il surpassait encore en force et en bravoure. Là où la disposition des lieux, où quelque fortification fournissait un point d'appui à la défense, les habitans des bourgs et des villages résistaient avec une rare intrépidité. Quand, en 1359, le dauphin fut réduit à faire raser les forteresses du Parisis, qui n'étaient pas en état de tenir contre les agressions de l'ennemi, les habitans de plusieurs localités, de Chambly, de Ris, de Villejuif et autres villages, retranchés dans leurs églises, repoussaient toutes ses attaques. Les pertes si terribles éprouvées par la chevalerie à Poitiers et cette résistance patriotique firent comprendre la nécessité de ne plus dédaigner le secours des vilains. On encouragea l'exercice de l'arc, qui avait été négligé, et il ne tarda pas à se former dans nos villes des compagnies d'archers capables de tenir tête aux tireurs anglais. Sous le successeur de Charles V, on continua d'abord dans cette voie, où nous étions entrés, hélas! trop tard. Une ordonnance de 1394 prescrivit que, dans tout le royaume, le peuple ne pût plus s'adonner à d'autres jeux qu'à ceux de l'arc ou de l'arbalète. « Et c'était admirable, écrit le religieux de SaintDenis, de voir l'aptitude du peuple pour cet exercice; tous s'en mêlaient, jusqu'aux enfans. » J. Juvénal des Ursins ajoute: « En peu de temps les archers de France furent tellement duits à l'arc qu'ils surmontèrent à bien tirer les Anglais; » mais cette connaissance du maniement d'une arme dont Crécy et Poitiers avaient

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