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noient la consulter, trouvoient rarement dans ces feuilles éparses ce qu'ils désiroient d'apprendre: presque tous se retiroient mécontens; et, suivant l'expression de Virgile, ils haïssoient l'antre de la Sybille.

Ce n'est ici qu'une allégorie, sous laquelle on a représenté les Auteurs des feuilles périodiques. Ils notent au fond de leur cabinet les événemens, les écrits et les hommes leurs feuilles se dispersent personne ne prend soin de les rassembler. La plupart de ceux qui lisent leurs noms sur ces tablettes de la critique, croient avoir le droit de s'en offenser, et ils haïssent l'antre de la Sybille.

Si quelqu'un révoquoit en doute mon interprétation de cette fable, je lui ferois observer que Varron a compté jusqu'à dix Sybilles. L'une, dit-il, s'occupoit de philosophie : c'étoit celle de Samos. Une autre prédisoit les événemens politiques : c'étoit celle d'Erithrie. La Delphique rendoit ses oracles pour les poëtes et la Phrygienne, pour les théâtres. Ne reconnoit-on pas clairement dans cette diversité d'occupations attribuées aux Sybilles, les divers journaux philosophiques, politiques et littéraires? Ce qui achève enfin de dévoiler le sens de cet emblême, c'est un dernier trait; et j'es père que nos journalistes me pardonneront de

le remarquer : aucune des Sybilles n'eut droit à l'immortalité.

Le Sénat de Rome fit recueillir tout ce qu'on pût trouver de feuilles sibyllinnes. Mais comme il y en avoit de peu de valeur, quelques senateurs furent chargés d'en faire un choix judicieux. lls en tirèrent un recueil de maximes de religion, de politique et de morale. Il fut déposé au Capitole ; et il devint comme un oracle toujours subsistant au milieu de Rome.

J'ai pensé qu'il étoit possible d'extraire aussi de nos feuilles périodiques un recueil de mémoires utiles sur l'état actuel de la religion, de la morale et de la littérature en France, et au commencement du dix-neuvième siècle. Je les ai rassemblés sous le titre du SPECTATEUR FRANÇAIS AU 19°. SIÈCLE; c'est annoncer que j'ai pris Addisson pour modèle.

D'autres avant moi ont essayé de composer un ouvrage semblable au sien. Mais, soit qu'ils aient manqué de talens, ou qu'ils n'aient pas su, comme lui, s'associer des coopérateurs habiles, leurs tentatives ont échoué. Peut-être faut-il en accuser aussi l'extrême flexibilité du caractère français, qui reçoit au sein de la société comme une empreinte commune. Un spectateur est inutile, lorsque le spectacle est uniforme, et que chacun le voit des mêmes yeux.

J'ai un double avantage sur mes prédécesseurs. D'un côté, je me sers de plusieurs hommes de lettres justement estimés; je n'emploie de leur travail, que ce que le public a déjà consacré par son suffrage; je n'y mets rien de moi et j'évite ainsi ce qui nuit le plus à la perfection d'un ouvrage, l'amour-propre de l'auteur. D'un autre côté, le moment présent est une époque unique en France dans l'histoire de l'opinion, cette reine de l'univers. Son règne est divisé pour la première fois; et s'il m'étoit permis de personnifier le dix-neuvième siècle, je dirois, qu'il est en naissant placé, comme l'Hercule de la Fable, entre deux routes qui s'ouvrent devant lui. Suivra-t-il celle qui conduisit les contemporains de Louis XIV au comble de la gloire; ou celle qui, nous cachant sous des fleurs nouvelles d'antiques précipices, nous a jetés à la fin du dix-huitième siècle dans un abîme où la religion, les mœurs et les lettres auroient péri sans un miracle de la Providence: voilà ce qu'il importe d'observer: et c'est l'instant où un Spectateur n'est point inutile. Il peut, conime les Magistrats de la Calabre, après une éruption du Vésuve, élever une colonne, où il gravera pour la postérité, la leçon du danger :

Cavete, posteri; vestra res agitur.

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J'ai souvent réfléchi aux progrès des vertus et des lumières, qui sembloient devoir illustrer le dernier siècle. Tout avoit été perfectionné par les grands hommes, qui avoient éclairé la France sous Louis XIV. La religion, enseignée par Bossuet, étoit pratiquée sans aucun mélange de superstition et d'erreur; la morale étoit prêchée aux habitans des campagnes, comme aux princes et aux rois; l'éducation étoit dirigée par les Rollin et les Jouvency; une subordination naturelle des esprits comme des rangs, tenoit chacun à sa place; chacun obéissoit aux lois de l'Etat, comme il étoit fidèle aux maximes de l'honneur; le vice lui-même étoit forcé de rendre à la vertu l'hommage de l'hypocrisie; personne n'osoit altérer la considération publique attachée à la régularité des mœurs, et un écrivain eût été inconsolable, s'il eût donné le plus petit ridicule à la moindre des vertus. Quelle perfection de goût régnoit dans les lettres! Quels modèles dans tous les genres! La route étoit tracée; il étoit impossible de s'égarer, à moins que de le vouloir : il ne falloit que marcher; et jamais une aussi belle carrière ne fut ouverte à la PERFECTIBILITÉ du genre humain.

« Dormez votre sommeil, Grands du monde, » s'écrioit à cette époque, le plus grand des

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» orateurs, et demeurez dans votre poussière. >> Ah! si quelques générations; que dis-je ? >> si quelques années après votre mort, vous re>> veniez hommes oubliés, au milieu du monde, » vous vous hâteriez de rentrer dans vos tom>> beaux, pour ne pas voir votre nom terni

» votre mémoire abolie, et votre prévoyance >> trompée dans vos amis, dans vos créatures, » et plus encore dans vos héritiers et dans vos » enfans. Est-ce là le fruit du travail dont vous >> vous êtes consumés sous le soleil. » Lorsque ce Père de l'Eglise, au dix-septième siècle, s'exprimoit ainsi, de quelle douleur n'eût-il pas été pénétré lui-même, si une voix sacrée lui eût adressé ces mots : « Vous aussi, Oracle » de la foi, dormez votre sommeil. Que ver>> riez-vous dans votre patrie! L'hérésie rem» placée par l'incrédulité ; et l'incrédulité elle» même dégradée jusqu'à l'athéisme. Est-ce » là le prix de vos travaux! Vous aviez cru ne » laisser aucun prétexte à l'obstination, qui » nioit la vérité de la Foi; et deux générations » seront à peine écoulées, que le patriarche des » nouveaux sophistes affectera de révoquer en » doute votre propre Foi. >>

La même prédiction eût également menacé les solitaires de Port-Royal, les membres de l'Université de Paris, et les compagnons des

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