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il ne faut pas oublier que le fabuliste français, qui eut toute la simplicité d'un enfant, et que le sévere Boileau appeloit le bon - homme, ne fut pas le poëte le plus réservé du siecle de Louis-le

Grand.

Quoi qu'il en soit, Ovide étoit d'une sobriété remarquable. Ami d'Horace, il ne buvoit guere que de l'eau; il ne chantoit ni le Falerne, ni le Cécube, ni la joie bruyante des festins, ni les désordres de l'ivresse. Il n'aimoit point le jeu. Il ne fut ni envieux ni jaloux. Aucune passion basse et cruelle ne troubla son repos et ne flétrit sa vie; aussi la satire respecta-t-elle ses mœurs et ses ouvrages. Il suffit enfin de lire ses Tristes et ses épîtres Pontiques, qui sont comme les mémoires justificatifs de sa vie, pour se convaincre qu'il avoit beaucoup de candeur, une belle ame, un cœur sensible et reconnoissant, des goûts simples, et les qualités de l'homme aimable réunies aux sentiments de l'honnête homme.

Mais lorsque la fortune sembloit le favoriser et le combler de tous ses dons; lorsque ses vers, qui faisoient les délices de Rome, étoient lus en plein théâtre et applaudis par les maîtres de l'univers; lorsque sa réputation s'étendoit jusqu'aux extrémités de l'empire, et qu'allié à plusieurs familles consulaires, il comptoit parmi ses amis tout ce que Rome avoit de plus illustre par

la naissance et par les talents; lorsqu'enfin il croyoit pouvoir se dire heureux, une disgrace éclatante, imprévue, vint le frapper au sein de la gloire, de la faveur, des plaisirs, et de l'amitié. Sans égard ni pour les talents d'un poëte qu'il avoit aimé, ni pour son âge, ni pour son dévouement à la famille des Césars, Auguste le relégua dans la Sarmatie, sur les bords du PontEuxin, aux dernieres frontieres de l'empire, chez des barbares, où la domination romaine étoit encore mal affermie.

Ovide a tracé le tableau touchant de son départ de Rome. (1)

Le jour étoit arrivé où, devant quitter ce qu'il avoit de plus cher au monde, sa patrie, sa femme, sa maison, ses amis, Ovide alloit s'éloigner de Rome pour n'y jamais rentrer.

Il ne songeoit ni aux esclaves ni aux autres personnes qui devoient l'accompagner; il ne s'occupoit point des tristes apprêts de son exil.

Sa femme, qui l'aimoit tendrement, l'embrassoit éplorée, et méloit ses larmes à celles de quelques amis fideles qui ne changerent pas avec la fortune de son mari. Leurs noms doivent être conservés: Rufus, Gallion, Celse, Brutus, Carus,

(1) Voyez la troisieme élégie du premier livre des Tristes.

remplirent avec courage un devoir dangereux. Tibulle, tu n'étois plus! Ce jour eût été le plus douloureux de ta vie. Maxime, alors absent de Rome, regretta de n'avoir pu pleurer sur le sein de son ami. Quelques autres apprirent trop tard sa disgrace; un plus grand nombre craignit d'approcher un homme que la foudre avoit frappé.

Pérille, fille de sa troisieme femme, étoit alors en Afrique avec son mari; heureuse de n'être point présente à cette séparation si douloureuse et si cruelle! La maison retentissoit de cris et de gémissements. Femmes, hommes, enfants, tout le monde pleuroit comme si Ovide fût déja descendu au cercueil.

Le silence régnoit au loin avec les ombres, et la lune s'élevoit sur l'horizon, lorsque regardant cet astre et tournant ses yeux vers le Capitole, dont le faite couvroit sa maison, Ovide s'écrie: « Divinités qui habitez ces lieux; vous, temples que je ne verrai plus; et vous, dieux puissants

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que Rome révere, je vous dis adieu pour jamais». Son épouse vouloit aussi prier les dieux, mais les sanglots étouffoient ses prieres. Les cheveux épars, dans la posture des suppliants, elle étoit prosternée devant ses dieux domestiques; tantôt accusant leur infidélité, elle se répandoit en invectives contre eux; tantôt de sa bouche tremblante elle baisoit les foyers éteints, comme si

déja les Lares eussent annoncé leur retraite d'une maison que son maître alloit abandonner.

Ovide voulut plusieurs fois se donner la mort. Sa femme et ses amis calmerent son désespoir. L'espérance retint aussi son bras. Celse le pressoit sur son sein; il relevoit son courage abattu; il mêloit ses pleurs à ses pleurs: « Ah! <«< combien de fois ce digne ami, que je supportois <«< alors impatiemment, dit Ovide, m'empêcha-t-il d'atténter à mes jours! combien de fois il me <«< dit : « La colere des dieux n'est point implaca«<ble: vis, et crois qu'elle s'appaisera. » (1)

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Irrité contre les Muses, maudissant l'art des vers, qui lui devenoit si funeste, Ovide brûla plusieurs ouvrages qu'il parut regretter dans la suite; il voulut aussi détruire ses Métamorphoses, poëme qui n'étoit pas encore terminé. Le désespoir en avoit fait le sacrifice, l'amitié le conserva; et, quoiqu'il ne paroisse pas qu'Ovide se soit occupé de le revoir dans son exil, il est devenu le premier titre de sa gloire dans la pos

térité.

Déja la nuit étoit avancée; le jour alloit paroître: Ovide hésitoit, combattu par l'amour de sa patrie, pressé par l'ordre fatal, encouragé par ses amis, qui l'exhortoient à obéir: «Voyez, s'écrioit

(1) Ex Ponto, l. I, ep. 9.

«< il, où vous voulez que j'aille, et de quels lieux. <«< il faut m'éloigner »>! Trois fois son pied touche le seuil de la porte, il le retire trois fois. Enfin il fait et reçoit les derniers adieux; il donne et reçoit les derniers embrassements. Il recommande son épouse expirante à ses amis; il leur redit vingt fois les mêmes paroles; il recommence ses plaintes, ses prieres, et ses adieux. Il regarde autour de lui; il y voit tout ce qu'il a de plus cher: « Ah! pourquoi, s'écrie-t-il, précipiter mon départ! C'est dans la Scythie qu'on me relegue, et c'est Rome que je vais quitter! Ma femme.... elle m'est ravie! Je ne reverrai plus ma femme, ma fille, mes amis, ma maison ! »

Enfin le jour commence à paroître. Un des gardes d'Auguste, chargé de le conduire dans son exil, hâte l'instant fatal. Ovide va s'arracher à cette scene de douleur et remplir son destin. Carus, pâle, troublé, sanglottant, le presse dans ses bras. Celse, Brutus, Gallion, et Rufus, lui montrent dans l'avenir l'espérance qui soutient et console les malheureux. Ovide recueille avidement les tendres paroles et les douces larmes de l'amitié. Il alloit franchir le seuil de sa maison: ses esclaves font retentir l'air de leurs cris et de leurs gémissements; ils se frappent la poitrine. Sa femme s'élance dans ses bras : « Epoux trop cher! dit-elle; non, tu ne peux ainsi te séparer

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