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fin, car toutes ses actions y répugnent; l'autre dit : Il s'éloigne de sa fin quand il fait ces actions basses. Deux choses instruisent l'homme de toute sa nature : l'instinct et l'expérience..

XI.

Je sens que je peux n'avoir point été : car le moi consiste dans ma pensée; donc moi qui pense n'aurois point été, si ma mère eût été tuée avant que j'eusse été animé. Donc je ne suis pas un être nécessaire. Je ne suis pas aussi éternel, ni infini; mais je vois bien qu'il y a dans la nature un être nécessaire, éternel, infini.

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VANITÉ DE L'HOMME; EFFETS DE L'AMOUR-PROPRE.

I.

Nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être : nous voulons vivre dans l'idée des autres d'une vie imaginaire; et nous nous efforçons pour cela de paroître. Nous travaillons incessamment à embellir et à conserver cet être imaginaire, et nous négligeons le véritable. Et si nous avons ou la tranquillité, ou la générosité, ou la fidélité, nous nous empressons de le faire savoir, afin d'attacher ces vertus à cet être d'imagination : nous les détacherions plutôt de nous pour les y joindre; et nous serions

volontiers poltrons pour acquérir la réputation d'être vaillants. Grande marque du néant de notre propre être, de n'être pas satisfait de l'un sans l'autre, et de renoncer souvent à l'un pour l'autre ! Car qui ne mourroit pour conserver son honneur, celui-là seroit infâme. La douceur de la gloire est si grande, qu'à quelque chose qu'on l'attache, même à la mort, on l'aime.

II.

L'orgueil contre-pèse toutes nos misères. Car ou il les cache; ou, s'il les découvre, il se glorifie de les connoître. Il nous tient d'une possession si naturelle au milieu de nos misères et de nos erreurs, que nous perdons même la vie avec joie, pourvu qu'on en parle.

III.

La vanité est si ancrée dans le cœur de l'homme, qu'un goujat, un marmiton, un crocheteur se vante et veut avoir ses admirateurs et les philosophes mêmes en veulent Ceux qui écrivent contre la gloire veulent avoir la gloire d'avoir bien écrit; et ceux qui le lisent veulent avoir la gloire de l'avoir lu et moi qui écris ceci, j'ai peut-être cette envie; et peut-être que ceux qui le liront l'auront aussi.

IV.

Malgré la vue de toutes nos misères qui nous touchent et qui nous tiennent à la gorge, nous

avons un instinct que nous ne pouvons réprimer, qui nous élève.

V.

Nous sommes si présomptueux, que nous voudrions être connus de toute la terre, et même des gens qui viendront quand nous ne serons plus; et nous sommes si vains, que l'estime de cinq ou six personnes qui nous environnent nous amuse

et nous contente.

VI.

La curiosité n'est que vanité. Le plus souvent on ne veut savoir que pour en parler. On ne voyageroit pas sur la mer pour ne jamais en rien dire, et pour le seul plaisir de voir, sans espérance de s'en entretenir jamais avec personne.

VII.

d'être estimé dans les villes

On ne se soucie pas où l'on ne fait que passer; mais quand on doit demeurer un peu de temps on s'en soucie. Combien de temps faut-il? Un temps proportionné à notre durée vaine et chétive.

VIII.

La nature de l'amour-propre et de ce moi humain est de n'aimer que soi, et de ne considérer que soi. Mais que fera-t-il? Il ne sauroit empêcher que cet objet qu'il aime ne soit plein de défauts et de misères : il veut être grand, et il se voit petit:

que

il veut être heureux, et il se voit misérable : il veut être parfait, et il se voit plein d'imperfections : il veut être l'objet de l'amour et de l'estime des hommes, et il voit que ses défauts ne méritent leur aversion et leur mépris. Cet embarras où il se trouve produit en lui la plus injuste et la plus criminelle passion qu'il soit possible de s'imaginer. Car il conçoit une haine mortelle contre cette vérité qui le reprend et qui le convainc de ses défauts. Il désireroit de l'anéantir; et ne pouvant la détruire en elle-même, il la détruit, autant qu'il peut, dans sa connoissance et dans celle des autres ; c'est-à-dire, qu'il met toute son application à couvrir ses défauts, et aux autres, et à soimême, et qu'il ne peut souffrir qu'on les lui fasse voir, ni qu'on les voie.

C'est sans doute un mal que d'être plein de défauts; mais c'est encore un plus grand mal que d'en être plein, et de ne point vouloir les reconnoître, puisque c'est y ajouter encore celui d'une illusion volontaire. Nous ne voulons pas que les autres nous trompent; nous ne trouvons pas juste qu'ils veuillent être estimés de nous plus qu'ils ne méritent : il n'est donc pas juste aussi que nous les trømpions, et que nous voulions qu'ils nous estiment plus que nous ne méritons.

Ainsi, lorsqu'ils ne nous découvrent que des imperfections et des vices que nous avons en effet, il est visible qu'ils ne nous font point de tort, puisque ce ne sont pas eux qui en sont cause; et qu'ils nous font un bien, puisqu'ils nous aident à

nous délivrer d'un mal qui est l'ignorance de ces imperfections. Nous ne devons pas être fâchés qu'ils les connoissent, étant juste, et qu'ils nous connoissent pour ce que nous sommes, et qu'ils nous méprisent, si nous sommes méprisables.

Voilà les sentiments qui naîtroient d'un cœur qui seroit plein d'équité et de justice. Que devonsnous donc dire du nôtre en y voyant une disposition toute contraire? Car n'est-il pas vrai que nous haïssons la vérité et ceux qui nous la disent; et que nous aimons qu'ils se trompent à notre avantage, et que nous voulons être estimés d'eux, autres que nous ne sommes en effet?

En voici une preuve qui me fait horreur. La religion catholique n'oblige pas à découvrir ses péchés indifféremment à tout le monde : elle souffre qu'on demeure caché à tous les autres hommes; mais elle en excepte un seul, à qui elle commande de découvrir le fond de son cœur, et de se faire voir tel qu'on est. Il n'y a que ce seul homme au monde qu'elle nous ordonne de dèsabuser, et elle l'oblige à un secret inviolable, qui fait que cette connoissance est dans lui comme si elle n'y étoit pas. Peut-on s'imaginer rien de plus charitable et de plus doux? Et néanmoins la corruption de l'homme est telle, qu'il trouve encore de la dureté dans cette loi; et c'est une des principales raisons qui a fait révolter contre l'Eglise une grande partie de Europe.

Que le cœur de l'homme est injuste et déraisonnable, pour trouver mauvais qu'on l'oblige de

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