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et où elles demeurent sans effet, par les mauvaises qualités de ce mélange.

Pour découvrir tous les sophismes et toutes les équivoques des raisonnements captieux, les logiciens ont inventé des noms barbares, qui étonnent ceux qui les entendent; et au lieu qu'on ne peut débrouiller tous les replis de ce nœud si embarrassé qu'en tirant les deux bouts que les géomètres assignent, ils en ont marqué un nombre étrange d'autres où ceux-là se trouvent compris, sans qu'ils sachent lequel est le bon.

Et ainsi, en nous montrant un nombre de chemins différents, qu'ils disent nous conduire où nous tendons, quoiqu'il n'y en ait que deux qui y mènent, et qu'il faut savoir marquer en particulier, on prétendra que la géométrie, qui les assigne certainement, ne donne que ce qu'on tenoit déjà d'eux, parce qu'ils donnoient en effet la même chose, et davantage, sans prendre garde que ce présent perdoit son prix par son abondance, et qu'il ôtoit en ajoutant.

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Rien n'est plus commun que les bonnes choses: il n'est question que de les discerner; et il est certain qu'elles sont toutes naturelles et à notre portée, et même connues de tout le monde. Mais on ne sait pas les distinguer. Ceci est universel. Ce n'est pas dans les choses extraordinaires et bizarres que se trouve l'excellence de quelque genre que ce soit. On s'élève pour y arriver, et on s'en éloigne. Il faut le plus souvent s'abaisser. Les meilleurs li

Pensées. I.

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vres sont ceux que chaque lecteur croit qu'il auroit pu faire; la nature, qui seule est bonne, est toute familière et commune.

Je ne fais donc pas de doute que ces règles, étant les véritables, ne doivent être simples, naïves, naturelles, comme elles le sont. Ce n'est pas Barbara et Baralipton qui forment le raisonnement. Il ne faut pas guinder l'esprit ; les manières tendues et pénibles le remplissent d'une sotte présomption, par une élévation étrangère et par une enflure vaine et ridicule, au lieu d'une nourriture solide et vigoureuse. L'une des raisons principales qui éloignent le plus ceux qui entrent dans ces connoissances, du véritable chemin qu'ils doivent suivre, est l'imagination qu'on prend d'abord que les bonnes choses sont inaccessibles, en leur donnant le nom de grandes, hautes, élevées, sublimes. Cela perd tout. Je voudrois les nommer basses, communes, familières : ces noms - là leur conviennent mieux; je hais les mots d'enflure.

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La première chose qui s'offre à l'homme quand il se

A

regarde, c'est son corps, c'est-à-dire, une certaine portion de matière qui lui est propre. Mais, pour comprendre ce qu'elle est, il faut qu'il la compare avec tout ce qui est au-dessus de lui et tout ce qui

est au-dessous, afin de reconnoître ses justes bornes..

Qu'il ne s'arrête donc pas à regarder simplement les objets qui l'environnent; qu'il contemple la nature entière dans sa haute et pleine majesté; qu'il considère cette éclatante lumière, mise comme une lampe éternelle pour éclairer l'univers; que la terre lui paroisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit ; et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour n'est lui-même qu'un point très délicat à l'égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre. Elle se lassera plutôt de concevoir, que la nature de fournir. Tout ce que nous voyons du monde n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle idée n'approche de l'étendue de ses espaces. Nous avons beau enfler nos conceptions, nous n'enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses. C'est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin c'est un des plus grands caractères sensibles de la toute-puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée.

Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la na ture; et que de ce que lui paroîtra ce petit cachot où il se trouve logé, c'est-à-dire, ce monde visible, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes, et soi-même, son juste prix.

Qu'est-ce que l'homme dans l'infini? Qui peut le comprendre? Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connoît les choses les plus délicates. Qu'un ciron, par exemple, lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, des jambes avec des jointures, des veines dans ses jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes; que, divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces et ses conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours. Il pensera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui faire voir là-dedans un abîme nouveau. Je veux lui peindre, non-seulement l'univers visible, mais encore tout ce qu'il est capable de concevoir de l'immensité de la nature, dans l'enceinte de cet atome imperceptible. Qu'il y voie une infinité de mondes, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible; dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné, trouvant encore dans les autres la même chose, sans fin et sans repos. Qu'il se perde dans ces merveilles aussi étonnantes par leur petitesse que les autres par leur étendue. Car qui n'admirera que notre corps, qui tantôt n'étoit pas perceptible dans l'univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit maintenant un colosse, un monde, ou plutôt un

tout, à l'égard de la dernière petitesse où l'on ne peut arriver?

Qui se considérera de la sorte s'effraiera, sans 'doute, de se voir comme suspendu dans la masse que la nature lui a donnée entre ces deux abîmes de l'infini et du néant, dont il est également éloigné. Il tremblera dans la vue de ces merveilles; et je crois que, sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption.

Car enfin, qu'est-ce que l'homme dans la nature? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout. Il es infiniment éloigné des deux extrêmes; et son être n'est pas moins distant du néant d'où il est tiré que de l'infini où il est englouti.

Son intelligence tient dans l'ordre des choses intelligibles le même rang que son corps dans l'étendue de la nature; et tout ce qu'elle peut faire, est d'apercevoir quelque apparence du milieu des choses dans un désespoir éternel d'en connoître ni le principe, ni la fin. Toutes choses sont sorties du néant, et portées jusqu'à l'infini. Qui peut suivre ces étonnantes démarches? L'auteur de ces merveilles les comprend; nul autre ne peut le

faire.

Cet état, qui tient le milieu entre les extrêmes, se trouve en toutes nos puissances. Nos sens n'aperçoivent rien d'extrême. Trop de bruit nous assourdit, trop de lumière nous éblouit, trop de distance de proximité empêchent la vue, trop de

et trop

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