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SENTENCES.

Nous avons donné le nom de senrencès à ces pensées ingénieuses et brillantes que l'on affecte sur-tout de placer â la fin d'une période par un goût particulier à notre siècle. Autrefois on en étoit moins curieux; aujourd'hui on s'y livre avec excès et sans bornes. C'est pourquoi je crois devoir en distinguer les différentes espèces, et dire quelque chose de l'usage qu'on en peut faire.

Les pensées brillantes ou solides les plus connues de l'antiquité sont celles que les Grecs et les Latins appellent proprement des sentences. Encore que le mot sententia soit un nom générique, il convient néanmoins plus particulièrement à celles-ci, parce qu'elles sont regardées comme autant de conseils, ou, pour mieux dire, comme autant d'arrêts en fait de moeurs. Je définis donc une sentence une pensée morale qui est universellement vraie et louable, même hors du sujet auquel on l'applique. Tantôt elle se rapporte seulement à une chose, comme celle-ci : « Rien »ne gagne tant les cours que la bonté ». Et tantôt à une personne, comme cette autre de Domitius Afer: « Un » prince qui veut tout connoître est dans la nécessité de » pardonner bien des choses. »

Je distingue trois sortes de sentences; les unes simples, comme celle que j'ai rapportée la première; les autres qui contiennent la raison de ce qu'elles disent, comme celle-ci « Dans toutes les querelles, le plus fort, » encore qu'il soit l'offensé, paroît toujours l'offenseur, par cette raison même qu'il est le plus fort. » Les autres doubles ou composées, comme: « La complaisance nous fait des amis, et la franchise des ennemis. »>

Un genre de sentences des plus remarquables est celui qui naît de la diversité de deux choses; par exemple : La mort n'est point un mal, mais les approches de la ⚫ mort sont fâcheuses. » Quelquefois on énonce une

sentence d'une manière simple et directe, comme : « L'avare » manque autant de ce qu'il a que de ce qu'il n'a pas; » et quelquefois par une figure, ce qui lui donne encore plus de force. Par exemple, quand je dis : « Est-ce donc » un si grand mal que de mourir ?» On sent bien que cette pensée est plus forte que si je disois tout simplement : « La mort n'est point un mal. »

Il en est de même quand une pensée vague et générale devient propre et particulière par l'application que l'on en fait. Ainsi, au lieu de dire en général : « Il est plus » aisé de perdre un homme que de le sauver; » Médée s'exprime plus vivement dans Ovide, en disant :

Moi qui l'ai pu sauver, je ne le pourrai perdre?

Cicéron applique ces sortes de pensées à la personne, par un tour encore plus régulier, quand il dit : « Pou»voir sauver des malheureux, comme vous le pouvez, » c'est ce qu'il y a, César et de plus grand dans le haut degré d'élévation où vous êtes, et de meilleur parmi » les excellentes qualités que nous admirons en vous ; » car il attribue à la personne de César ce qui semble appartenir aux choses.

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Quant à l'usage de ces espèces de sentences, ce qu'il y faut observer, c'est qu'elles ne soient ni trop fréquentes ni visiblement fausses, comme il arrive quand on s'imagine pouvoir les employer indifféremment partout, ou quand on regarde comme indubitable tout ce qui paroît favoriser notre cause. C'est enfin de prendre garde si elles ont bonne grace dans notre bouche ; car il ne convient pas à tout le monde de parler par sentences; il faut que l'importance des choses soit soutenue de l'autorité de la personne.

Cicéron, dans son dialogue des orateurs, a aussi donné plusieurs règles sur les sentences. Il seroit trop long de les répéter; outre qu'en général il est établi que les plus courtes sentences plaisent le plus, cependant celle-ci, quoique longue, a paru à des critiques digne d'être proposée pour exemple. Lucain s'arrête dans la rapidité de sa, narration, sur l'erreur des Gaulois, qui croyoient que les

ames

ames ne sortoient d'un corps que pour rentrer dans un autre, et dit, selon la traduction de M. de Brébeuf:

Officieux mensonge, agréable imposture!

La frayeur de la mort, des frayeurs la plus dure
N'a jamais fait pâlir ces fières nations

Qui trouvent leur repos dans leurs illusions;
De là naît dans leur cœur cette bouillante envie
D'affronter une mort qui donne une autre vie,
De braver les périls, de chercher les combats,
Où l'on se voit renaître au milieu des trépas.

Les Grecs avoient grand soin de faire apprendre à leurs enfans les sentences des poètes; et cette coutume étoit fort ancienne dans la Grèce. César assure que la même chose se pratiquoit dans les Gaules. Les jeunes gens tiroient de cette sorte d'étude trois avantages considérables; elle exerçoit la mémoire, ornoit l'esprit, et formoit le cœur; ce dernier avantage étoit celui qu'on avoit principalement en vue; on vouloit inspirer de bonne heure à la jeunesse la haine du vice et l'amour de la vertu ; rien n'étoit plus propre à produire cet effet, que les sentences répandues dans les ouvrages des poètes grecs. C'est une vérité dont on conviendra, pour peu que l'on connoisse les écrits de Sophocle, d'Euripide, de Ménandre, d'Aristophane, de Pindare, d'Hésiode et d'Homère. Je ne crains point de dire que, dans les sentences dont ces beaux génies ont embelli leurs poèmes, les souverains et les sujets, les pères et les enfans, les maîtres et les serviteurs, les riches et les pauvres, et généralement tous les états de la vie, peuvent trouver de quoi s'instruire de leurs devoirs.

Il ne convient pas à tout le monde de dire des sentences, cela n'appartient qu'aux personnes de mérite et d'âge, et encore faut-il que ce soit sur des matières qu'elles connoissent, et où elles soient expérimentées. Il n'étoit permis qu'à Diogène de répondre à Alexandre, qui lui demandoit s'il avoit besoin de quelque chose : Oui, j'ai besoin que vous vous retiriez un peu pêchez de recevoir la chaleur du soleil. Il ne faut pas oublier que, quand les sentences sont Tome X.

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vous m'em

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trop fréquentes, elles se nuisent; de même que ni les semences ni les plaintes ne peuvent prendre leur juste accroissement si elles sont trop étouffées, et si elles n'ont de l'espace pour croître; il arrive aussi que ceux qui se piquent de ne dire que des sentences, ennuient au lieu de plaire. (M. de JAUCOURT.)

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Na du sentiment lorsqu'on est capable de sentir, et des sensations lorsqu'on sent en effet.

Le sentiment est la faculté que l'ame a de sentir, par le moyen des sens, la diversité des objets: la sensation est l'effet que les divers objets produisent dans l'ame par la voie des sens.

L'abondance et l'excès des plaisirs en font quelquefois perdre le sentiment: quand on ne connoît point d'autre félicité que celle de la vie présente, il ne faut travailler qu'à se procurer des sensations agréables.

Le mot de sensation ne s'emploie que par rapport aux effets que les choses corporelles ou matérielles produisent en nous: mais le mot de sentiment se dit encore par rapport au goût et à la sensibilité du cœur. Un homme d'esprit et de courage reçoit les honneurs ou souffre les injures avec des sentimens bien différens de ceux d'une bête ou d'un poltron.

Le sentiment intime que chacun de nous a de sa propre existence et de ce qu'il éprouve en lui-même, est la première source et le premier principe de toute vérité dont nous soyons susceptibles. Il n'en est point de plus immédiat, pour nous convaincre que l'objet de notre pensée existe aussi réellement que notre pensée même, puisque cet objet et notre pensée, et le sentiment intime que nous en avons, ne sont réellement que nous-mêmes qui pensons, qui existons et qui en avons le sentiment. Tout ce qu'on voudroit dire, afin de prouver ce point ou de l'éclaircir davantage, ne feroit que l'obscurcir de même que si l'on vouloit trouver quelque chose de plus clair que la lumière et aller au-delà, on ne trouveroit plus que ténèbres.

Il faut nécessairement demeurer à cette première règle, qui se discerne par elle-même dans le plus grand jour, et qui, pour cette raison, s'appelle évidence au suprême degré. Les sceptiques auroient beau objecter qu'ils doutent s'ils existent : ce seroit perdre le temps que de s'amuser à leur faire sentir leur folie, et de leur dire que s'ils doutent de tout, il est donc vrai qu'ils existent, puisqu'on ne peut

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