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<< vous n'êtes tous comme moi, au jugement de Dieu, << que des pécheurs. C'est donc uniquement devant « votre Dieu et le mien que je me sens pressé dans «< ce moment de frapper ma poitrine. Jusqu'à pré<< sent j'ai publié les justices du Très-Haut dans des temples couverts de chaume; j'ai prêché les ri<< gueurs de la pénitence à des infortunés dont la plupart manquaient de pain! j'ai annoncé aux <«< bons habitants des campagnes les vérités les plus effrayantes de ma religion: qu'ai-je fait, malheu<< reux ? j'ai contristé les pauvres, les meilleurs amis « de mon Dieu ! j'ai porté l'épouvante et la douleur << dans ces âmes simples et fidèles, que j'aurais dù plaindre et consoler ! C'est ici où mes regards << ne tombent que sur des grands, sur des riches, << sur des oppresseurs de l'humanité souffrante ou << sur des pécheurs audacieux et endurcis ; ah! c'est << ici seulement, au milieu de tant de scandales, qu'il fallait faire retentir la parole sainte dans toute << la force de son tonnerre, et placer avec moi dans «< cette chaire, d'un côté la mort qui vous menace, « et de l'autre, mon grand Dieu qui doit tous vous juger. Je tiens déjà dans ce moment votre sentence « à la main. Tremblez donc devant moi, hommes superbes et dédaigneux qui m'écoutez! l'abus inla nécessité grat de toutes les espèces de graces, « du salut, la certitude de la mort, l'incertitude de «< cette heure si effroyable pour vous, l'impénitence «< finale, le jugement dernier, le petit nombre des « élus, l'enfer, et par-dessus tout l'éternité! l'éternité! Voilà les sujets dont je viens vous entretenir, et

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<«< que j'aurais dù sans doute réserver pour vous << seuls. Eh! qu'ai-je besoin de vos suffrages qui me << damneraient peut-être sans vous sauver ? Dieu va «< vous émouvoir, tandis que son indigne ministre << vous parlera; car j'ai acquis une longue expérience << de ses miséricordes. C'est lui-même, c'est lui seul qui, dans quelques instants, va remuer le fond de << vos consciences. Frappés aussitôt d'effroi, pénétrés «< d'horreur pour vos iniquités passées, vous vien« drez vous jeter entre les bras de ma charité, en << versant des larmes de componction et de repen<< tance, et à force de remords vous me trouverez << assez éloquent *. »

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Qui ne sent, en lisant et après avoir lu un pareil exorde, combien cette éloquence de l'âme est audessus des froides prétentions du bel-esprit moderne? En s'excusant, pour ainsi dire, d'avoir prê ché sur l'enfer dans les villages, Bridaine regrettait apostoliquement d'avoir été trop menaçant ou trop sévère au milieu des pauvres et bons habitants des campagnes; il se mettait, par ce zèle courageux, à sa véritable place; il prenait hautement sur son imposant auditoire tout l'ascendant qu'il avait à craindre lui-même; il exerçait dès son début toute

* Je n'ai pas ouï dire que Bridaine écrivît tout-à-fait si bien; mais on assure qu'il était impossible de l'entendre sans émotion, et que ces mots de mort et d'éternité, prononcés par sa voix tonnante, et prolongés dans le silence d'une enceinte religieuse et dans le recueillement d'une grande assemblée, glaçaient de terreur tous les esprits. LA HARPE, Cours de Litt.

Le véhément Bridaine a déchiré plus de cœurs et fait couler plus de larmes que le savant et profond Bourdaloue, et, si j'ose le dire, que le sublime Bossuet. MARMONTEL, Éléments de Littérature.

l'autorité qui appartenait à son ministère; et il préparait ainsi tous les cœurs aux terribles vérités qu'il se proposait d'annoncer. Ce ton mâle et fier avec mesure lui donnait le droit de tout dire. Plusieurs personnes dignes d'en juger ont encore présent à leur mémoire quelques traits de son sermon sur l'éternité, où il avait pris pour texte ce verset des psaumes: Annos æternos in mente habui, et qui était divisé en trois points: Il y a une éternité ; nous touchons à l'éternité; nous sommes les maitres de notre éternité. Une tradition récente nous a conservé le souvenir de l'effroi prodigieux qu'il répandait dans l'assemblée, lorsque, mêlant selon son usage des comparaisons populaires et frappantes à des conceptions sublimes, il s'écriait : « Eh! sur quoi « vous fondez-vous donc, mes frères, pour croire <«< votre dernier jour si éloigné? Est-ce sur votre jeunesse? Oui, répondez-vous: je n'ai encore que vingt ans, que trente ans. Ah! vous vous trompez « du tout au tout. Non, ce n'est pas vous qui avez vingt ou trente ans : c'est la mort qui a déjà vingt <«< ans, trente ans d'avance sur vous, trente ans de « grace que Dieu a voulu vous accorder en vous «< laissant vivre, que vous lui devez, et qui vous ont rapproché d'autant du terme où la mort doit vous << achever. Prenez-y donc garde; l'éternité marque

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déjà sur votre front l'instant fatal où elle va com<«< mencer pour vous. Eh! savez-vous ce que c'est <<< que l'éternité? C'est une pendule dont le balancier << dit et redit sans cesse ces deux mots seulement « dans le silence des tombeaux: Toujours, jamais!

jamais, toujours! et toujours! Pendant ces effroyables révolutions, un réprouvé s'écrie: Quelle << heure est-il? Et la voix d'un autre misérable lui « répond: l'éternité! » L'organe tonnant de Bridaine ajoutait dans ces occasions une nouvelle énergie à son éloquence; et l'auditoire, accablé par l'impétuosité de son action et la puissance de ses figures était alors consterné devant lui. Le silence profond qui régnait dans l'assemblée, sur-tout quand il prêchait, selon sa coutume, à l'entrée de la nuit, était interrompu de temps en temps par des soupirs longs et lugubres qui partaient à la fois de toutes les extrémités du temple dont les voûtes retentissaient enfin de cris inarticulés et de profonds gémissements. Ces accents d'une douleur sourde et étouffée se démêlaient dans le lointain, au milieu des agitations du remords qui faisait éclater bientôt son action secrète et profonde sur les consciences, par les coups soudains et redoublés dont chacun frappait alors sa poitrine. Orateurs, qui ne songez qu'à votre seule renommée, reconnaissez ici votre maître! tombez aux pieds de cet homme apostolique, et apprenez d'un missionnaire ce que c'est que la véritable éloquence! Le peuple! le peuple! voilà le véritable, le premier juge de votre talent, et, dans votre carrière, l'infaillible et suprême dispensateur de la gloire!

Bridaine trouvait dans son zèle même, l'art merveilleux de se reconcilier, de soutenir et de ranimer l'attention de la multitude pendant toute la durée de ses plus longs sermons. Il savait en varier sans

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cesse le ton et la couleur; pour mieux fixer l'intérêt de son auditoire, à la suite de ses tirades les plus véhémentes ou les plus pathétiques, il prenait toutà-coup un air calme; il changeait de marche et de route pour arriver à son but; et ce relâche apparent n'était qu'un nouveau moyen oratoire d'enfoncer plus avant et de retourner dans tous les sens le trait dont son éloquence cachait et augmentait ainsi la force, en le poussant au fond de tous les cœurs. On verra dans un moment sa théorie en action. Cette espèce de délassement de l'orateur missionnaire préparait ainsi l'auditoire, par un court intervalle de repos, au récit très adroit et très intéressant d'une allégorie parfaitement adaptée à son sujet, sans qu'on pût soupçonner jamais son intention, avant le dénouement de l'espèce de drame dont il se réservait le secret. C'était des apologues qu'il tirait d'une allusion ou d'une parabole de l'Écriture, des Voyages des Missions étrangères, de la Vie des Saints, de l'Histoire ecclésiastique, de son imagination ou de sa mémoire toujours inépuisable en ce genre si propre à piquer la curiosité des auditeurs, et dans lequel il savait être familier avec éloquence.

Je peux en citer un exemple qui ne manquait ja-” mais de produire un très grand effet dans sa conférence sur la communion indigne. Après avoir tonné avec toute la puissance de son zèle, de son talent et de son organe contre les sacrilèges, il s'arrêtait, il se séparait, pour ainsi dire, de son auditoire : il regardait fixement l'autel en levant ses deux mains

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