Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

chez les enfans l'oubli de leurs devoirs. Les workhouses ne sont pas moins utiles comme asiles pour les malades, et nous allons voir que ce sont des critiques non point de principe, mais de détail, qu'on peut diriger contre leur organisation.

Les infirmeries des workhouses n'ont point eu pendant longtemps d'existence distincte du workhouse lui-même. Aucune disposition réglementaire spéciale n'était prise en faveur des malades, et le workhouse ne s'ouvrait devant eux qu'en vertu du principe général de l'acte de 1602, qui met à la charge de la paroisse tous ceux de ses habitans qui sont hors d'état de gagner leur vie. Longtemps ils ont été confondus dans les mêmes salles que les mendians et les vagabonds. Peu à peu, et au fur et à mesure que l'opinion publique, si puissante en Angleterre, s'est inquiétée avec plus d'exigence de l'organisation intérieure des workhouses, on leur a affecté des salles distinctes. Ce progrès considérable n'a pas tardé à paraître insuffisant, et un acte métropolitain de 1867 a imposé aux paroisses ou unions de paroisses (1) qui reconstruisent leur workhouse d'établir l'infirmerie dans un bâtiment séparé. Les prescriptions de cet acte ont été exécutées, et sur les trente paroisses ou unions de paroisses de Londres, il y en a aujourd'hui vingt-quatre qui ont déjà construit ou qui sont en train de construire des infirmeries séparées. L'acte de 1867 a donc eu pour conséquence de créer dans la ville de Londres un nombre déjà assez considérable et qui ira s'accroissant encore de véritables hôpitaux, ceux-là beaucoup moins célèbres que les hôpitaux proprement dits de Londres, et peu connus des hommes de science, qui n'ont rien à y apprendre, mais dont la visite est indispensable à qui veut se rendre compte de la distribution des secours médicaux à Londres.

L'admission dans les infirmeries des workhouses s'opère avec la plus grande facilité. Un habitant indigent d'une paroisse se sent-il envahi par quelque maladie, il n'a qu'à se présenter devant le fonctionnaire chargé de la distribution des secours (relieving officer). Celui-ci lui remet un bulletin avec lequel il va trouver le médecin des pauvres du district. Si le médecin reconnaît chez lui les symptômes de quelque maladie ou l'existence de quelque infirmité, il signe le bulletin en y inscrivant la mention du mal reconnu par lui, et avec ce bulletin portant la double signature du relieving officer et du médecin, l'indigent se présente à l'infirmerie, où il est reçu immédiatement. On ne s'inquiète point, comme on le ferait en France, de savoir si l'affection dont il souffre a un caractère aigu ou un caractère chronique, si c'est une maladie ou une infirmité,

(1) Lorsque plusieurs paroisses voisines sont trop petites ou trop pauvres pour supporter à elles seules les charges que la loi des pauvres fait peser sur elles, elles s'associent et forment ce qu'on appelle une union.

car l'infirmerie du workhouse est à la fois un hôpital et un hospice, et les affections chroniques pour lesquelles, il faut le dire, notre organisation hospitalière n'offre que des ressources insuffisantes, y trouvent un asile permanent. Aussi faut-il avoir visité les infirmeries des workhouses pour se faire une idée des misères qui travaillent la population pauvre de Londres. Il n'y a pas une de ces figures qu'on aperçoit reposant sur l'oreiller, dans le demi-sommeil de la fatigue et de la souffrance, sur laquelle on ne puisse lire la longue histoire des privations, des luttes, des angoisses qui ont conduit ces malheureux au workhouse. Chez les uns, les plus jeunes, c'est la tristesse qui paraît dominer; chez les autres, c'est l'abrutissement et l'insouciance; mais ces yeux caves, ces joues amaigries, ces teints échauffés ou livides montrent qu'ici la maladie est non pas un accident atteignant un tempérament dans sa force, mais une sorte d'état habituel, fruit de la misère et trop souvent de l'inconduite.

Peut-être se rend-on encore mieux compte de l'état profondément misérable de ces cliens du workhouse, lorsqu'on examine la physionomie de ceux qui, guéris ou à peu près, quittent l'infirmerie pour faire place à d'autres. Le hasard m'a rendu ainsi témoin, pendant une de mes visites, d'un douloureux spectacle. Dans la cour d'un workhouse, un groupe de femmes en haillons plus ou moins malpropres, qui quittaient l'infirmerie, attendaient l'accomplissement des formalités nécessaires à leur sortie. Parmi elles, je remarquai une femme assez jeune, vêtue d'une robe et d'un châle noirs, encore décens, mais usés jusqu'à la corde; ses yeux, renfoncés dans leurs orbites, brillaient de l'éclat de la fièvre, ses pommettes saillantes, ses mains amaigries, trahissaient les désordres intérieurs de cette terrible maladie des pauvres, qu'on appelle en Angleterre la consomption, et qui, à en juger par son teint d'un jaune livide, paraissait se compliquer chez elle d'une maladie du foie. Pendant que je la regardais, attendant debout à la porte du bureau la délivrance de son bulletin de sortie, elle s'affaissa brusquement, et si ses voisines ne l'avaient soutenue, elle fût tombée sans connaissance sur le pavé de la cour. Laissant les femmes qui l'environnaient la faire asseoir sur une chaise et s'efforcer de la ranimer, je demandai à voir son bulletin, m'étonnant qu'on pût renvoyer de l'infirmerie une malade dont l'état paraissait aussi grave: le bulletin portait ces mots : sortie volontaire. A peine cette femme eutelle repris ses sens qu'elle demanda d'une voix faible si l'on croyait pouvoir lui trouver un cab qui consentit à la ramener chez elle pour six pence; c'était tout le contenu de sa bourse. Vainement on lui représenta le danger qu'il y avait pour elle à quitter le workhouse dans cet état en lui demandant quels motifs si pressans commandaient son départ. A tous les conseils, à toutes les

questions, elle se bornait à répondre en pleurant qu'elle voulait retourner at home. De guerre lasse, on dut appeler un cocher aux soins duquel on la recommanda; elle monta en chancelant dans la voiture, qui s'éloigna au grand trot. Qu'est-elle devenue? Je serais étonné si à peine arrivée à ce home qu'elle désirait tant revoir, elle n'avait pas dû se coucher pour mourir, et si elle ne dormait pas aujourd'hui dans la fosse commune d'un de ces lugubres cimetières qui sont, à Londres comme ailleurs, le plus sûr asile des malheureux.

Comment sont aménagées les infirmeries de ces workhouses, et quels soins y reçoivent les malades? Pour répondre avec exactitude à cette question, il faudrait en quelque sorte les décrire une à une, car elles sont loin de présenter, au point de vue de la distribution. intérieure des salles et au point de vue de la composition du personnel, l'organisation sensiblement uniforme des hôpitaux. En 1866, une enquête fut ouverte sur l'état de ces infirmeries par le bureau du gouvernement local (local government board) et les résultats de cette enquête ont été consignés dans un rapport peu flatteur qui a été distribué au parlement; mais c'est précisément depuis cette enquête qu'une inspection plus sévère a été exercée sur les infirmeries des workhouses, et que la reconstruction d'un grand nombre de ces infirmeries a été décidée. Il ne serait donc pas juste de juger de leur état présent par certains détails que l'enquête a révélés femmes couchées deux par deux, enfans quatre par quatre dans un même lit; cuvettes remplacées par des vases ayant une toute autre destination, etc... Pour donner une idée de l'organisation actuelle de ces infirmeries, je crois préférable d'en décrire deux celle qu'on peut considérer comme la mieux organisée de Londres, et celle qui peut passer pour un spécimen des plus défectueuses. On aura ainsi une idée assez exacte de l'état un peu incohérent de ces établissemens à Londres.

L'infirmerie de Chelsea est une des plus nouvellement construites; elle est indépendante comme bâtiment et comme administration du workhouse de cette paroisse populeuse avec lequel elle communique par un passage souterrain. Cette infirmerie se compose d'un long bâtiment rectangulaire, construit en briques, auquel se rattache un petit pavillon séparé, affecté aux femmes atteintes de maladies contagieuses. Au centre du bâtiment se trouvent les appartemens des employés, médecins, gardes-malades, etc... Les ailes sont formées par quatre grandes salles, dont deux au rez-de-chaussée et deux au premier, qui tiennent toute la largeur de l'hôpital et qui sont éclairées des deux côtés par d'assez larges fenêtres. Ces quatre salles contiennent environ 250 lits, presque toujours remplis. Tout à fait à l'extrémité, une cloison vitrée établit une sorte

de salle de convalescence pour les malades qui peuvent se lever. Les lits, beaucoup plus étroits que nos lits d'hôpital, sont assez serrés les uns contre les autres. Il n'y a cependant aucune odeur, grâce au procédé énergique de ventilation qui est usité en Angleterre, et qui consiste à tenir ouverte pendant presque toute la journée la partie supérieure des fenêtres. En somme l'installation, très simple, comme on le voit, de cette infirmerie, sans présenter aucune particularité digne d'éloges, ne prête pas non plus à la critique. Le côté faible, c'est l'insuffisance du personnel. L'infirmerie n'a qu'un unique médecin, qui est en même temps chirurgien, directeur et économe. C'est en effet un principe dans l'administration de ces établissemens de ne pas séparer, comme en France, la partie administrative de la partie médicale, et de concentrer toute l'autorité en même temps que toute la responsabilité entre les mêmes mains. On comprend que ce médecin-chirurgien- économe, aux prises avec ses deux cent cinquante malades, soit littéralement accablé sous le poids de sa besogne. Lorsque j'ai visité l'infirmerie de Chelsea il était environ quatre heures du soir. C'est à peine si le médecin, qui est cependant un jeune homme plein d'activité et d'entrain, avait terminé sa visite quotidienne. Il est vrai que parmi ses malades il compte un très grand nombre de chroniques. Mais si les chroniques ont moins fréquemment besoin des secours du médecin, ils sont, non moins fréquemment que les malades atteints d'affections aiguës, obligés d'invoquer l'assistance de leurs gardesmalades. Or le personnel des gardes-malades est aussi insuffisant que le personnel médical. Il n'y a pour toute l'infirmerie que cinq nurses (c'est le nom qu'on leur donne), dont quatre pour le jour et une pour la nuit. Chaque nurse a donc pendant le jour la charge d'une salle d'environ soixante malades, et, non moins que le médecin, elle est dans l'impossibilité d'accomplir sa tâche d'une façon satisfaisante. On va voir cependant que sous le rapport du personnel, aussi bien que sous le rapport de l'installation, l'infirmerie de Chelsea est une des plus favorisées de Londres.

L'infirmerie de l'Union d' Holborn est située dans Gray's Inn Lane, c'est-à-dire dans un des quartiers les plus populeux de Londres. C'est un ancien bâtiment qui n'avait pas été primitivement disposé pour cet usage et dont les cours sont privées d'air et de lumière. Cette infirmerie est moins exclusivement consacrée aux malades proprement dits que celle de Chelsea; elle contient en plus grand nombre des infirmes et des imbéciles (1). Aussi la maison est-elle bondée depuis le rez-de-chaussée jusqu'aux combles. Elle abrite

(1) D'après l'enquête de 1866, la proportion des maladies chroniques, par rapport aux maladies aiguës, serait environ de moitié.

près de 500 malades de toute nature, répartis en vingt-six salles d'inégale grandeur, auxquelles on arrive par un véritable dédale d'escaliers et de corridors. De ces vingt-six salles, il n'y en a pas une seule dont l'installation ne soit défectueuse et qui ne contienne un plus grand nombre de lits que ne le permettent les règles de l'hygiène la plus élémentaire. Ces lits sont bas, étroits, serrés les uns contre les autres, séparés en deux rangées entre lesquelles subsiste à peine l'espace d'un étroit passage. Les salles sont insuffisamment éclairées par d'étroites fenêtres, et, lorsque le jour baisse, il y a des recoins tellement obscurs qu'on pourrait les croire inoccupés, si un gémissement ou une toux déchirante ne venait vous révéler l'existence d'un être humain. Ces salles servent aussi de lieu de réunion aux convalescens et aux infirmes qui ne sont point obligés de garder le lit. Ils se rassemblent près de la cheminée et causent plus ou moins bruyamment, sans égard aux souffrances de ceux qui les entourent. Lorsque j'ai visité l'infirmerie de Gray's Inn, près d'un groupe ainsi réuni, un homme, un vieillard, se mourait. Assis sur son séant, il appuyait sa poitrine contre une table grossière qu'on avait approchée de son lit, et, la tête cachée entre ses mains, il tirait péniblement du fond de ses entrailles une respiration entrecoupée. Les convulsions de son râle n'interrompaient pas la conversation de ses compagnons de salle, qui, assis devant la cheminée, presque auprès de son lit, tournaient de temps en temps la tête pour jeter sur lui un regard de curiosité insouciante. Certes l'aspect de la mort, et surtout de la mort à l'hôpital, n'est jamais gai; mais je n'ai rien vu de plus triste que le spectacle de cette agonie en public. Je ne pouvais m'empêcher de regretter pour ce malheureux les rideaux de notre lit d'hôpital, qui permettent au mourant d'assurer au moins la solitude de sa dernière heure, et ces emblèmes de la foi chrétienne adossés à la muraille vers lesquels il n'a qu'à tourner ses regards pour soulager par l'espérance les angoisses de sa pensée. Certes les petits autels que la dévotion de nos sœurs enjolive de statuettes et de fleurs en papier ne sont pas l'expression la plus élevée de la religion, et j'aimerais mieux qu'on mît tout simplement sous les yeux des malades l'image du Dieu crucifié; mais rien n'est plus triste que ces murailles froides et nues des hôpitaux anglais, qui dans les infirmeries des workhouses suintent en quelque sorte la misère et n'entretiennent les nouveau-venus que des souffrances de ceux qui les ont précédés, sans y joindre une pensée de consolation et d'espérance.

J'ai parlé tout à l'heure de l'insuffisance du personnel à l'infirmerie de Chelsea. Que dire à ce point de vue de l'infirmerie de Gray's Inn? Pour ces 500 malades, il n'y a qu'un médecin; encore ne réside-t-il pas dans l'infirmerie, où il ne vient faire qu'une visite

« ZurückWeiter »