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Déjà aux XII et XIe siècles, les habitants de l'Ile-de-France avaient modifié, dans certains mots, ce « oi en oé »; cette manière de dire se retrouve encore dans les campagnes des environs de Paris, où l'on dit la « foé pour la foi et le roé pour le roi ». Quand Marie de Médicis vint en France, elle prononça, avec son accent italien : « Français et Anglais, avait chantait, promenait »>; les courtisans l'imitèrent, puis le peuple imita les courtisans. Enfin, le langage a été changé. Et comme l'écriture n'est que la représentation du langage, il convient, me paraît-il, que nous écrivions: Français, Anglais, il avait, il chantait. Voilà toute l'histoire du oi

transformé en ai.

1656. AGATHOMPHILE de Châlons, a eu l'idée un jour de tourner en vers burlesques toutes les règles de Despautère. Le livre a pour titre : « La porte française en vers burlesques, ouverte par Agathomphile ». On sait que ce Despautère, qui vivait encore au commencement du XVIe siècle, était le grammairien latin à la mode.

En examinant ce livre, on peut s'assurer qu'on n'expliquait pas mieux, de ce temps-là, le génie latin dans les grammaires latines, que nos professeurs d'aujourd'hui expliquent le génie français avec des grammaires françaises ; cela console un peu.

C'est cependant sur ce même Despautère que Sylvius a calqué sa grammaire française, qui est encore l'idole de bon nombre d'autoritaires français. - Un

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jour que M. Bobinet faisait réciter au fils de la comtesse d'Escarbagnas la première règle de la grammaire latine : « Omne viro soli quod convenit esto virile », cette chaste mère s'écria: « Mon Dieu ! ce Despautère-là est un insolent, et je vous prie d'enseigner à mon fils du latin plus honnête que celui-là ».

Et lorsqu'à chaque instant, dans notre grammaire française, on parle de sexes, à propos d'un pied ou d'une main, ne vient-on pas éveiller dans l'esprit des jeunes personnes des idées dangereuses, d'autant plus qu'elles sont inexplicables;..... car, en vérité, il n'y a pas plus de sexes dans l'étude de la langue française qu'il y a des yeux, un nez et une bouche dans la lune. Un homme parle, une femme parle, mais les mots homme et femme ne sont ni måle ni femelle.

1659. Laurent CHIFLET. La première édition de sa « Grammaire » parut à Anvers, et fut reproduite ensuite à Paris en 1677 par Claude Audinet. C'est le premier ouvrage qui ait eu une forme grammaticale. Il faut croire que cette forme est heureuse puisque depuis lors elle a été copiée, non-seulement en France, mais encore dans les pays étrangers Elle n'est pas uniquement suivie pour la langue française mais aussi pour les langues étrangères. L'auteur commence par expliquer les voyelles et les consonnes, puis les parties du discours le nom, l'article, le pronom, le verbe, le participe, l'adverbe, la préposition, la conjonction et l'interjection.

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Chiflet, pour son époque, a été un homme supérieur. Ce n'est pas à dire que tout soit exact dans ce livre; mais enfin on ne fait guère mieux aujourd'hui pour nos écoles, après deux cent vingt-cinq années d'études nouvelles. Chiflet a eu déjà des milliers de copistes, et il en aura encore. Ainsi on fait depuis lors répéter dans les écoles, cette phrase stéréotypée « La grammaire est l'art de parler et d'écrire correctement », ce qui a pu être vrai au milieu du XVIIe siècle, mais qui ne l'est plus aujourd'hui. —

On sait que Grammaire est un terme par lequel on entend plusieurs choses; il y a la grammaire classique, il y a un vocabulaire qu'on appelle une grammaire, et il y a la Grammaire proprement dite, « le grand art d'expliquer le langage et l'écriture », science qui était peu développée au XVIIe siècle.

1660. PORT-ROYAL. S'il y a un nom connu en Grammaire, c'est surtout celui que nous venons de citer. Pour bien faire comprendre ce que c'est que la Grammaire dite « raisonnée », je suis forcé d'entrer d'abord dans quelques détails.

Port-Royal est le nom d'une abbaye de religieuses de Cîteaux il y avait un manoir près de Chevreuse, à deux myriamètres de Paris; c'était ce qu'on appelait le Port-Royal des Champs. L'autre bâtiment, au faubourg Saint-Jacques, était le Port-Royal de Paris. Cette institution datait de l'an 1204. Dans le XVII siècle, cet endroit devint une maison de retraite pour les esprits supérieurs; on y vit des ecclésias

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tiques et des laïques, des hommes de robe et d'épée, des philosophes, des médecins et même des femmes. Madame de Sévigné, qui y a probablement séjourné, dit que c'était un désert affreux. C'est là que se rencontrèrent, vers 1642, Antoine Arnauld, après son exclusion de la Faculté de théologie, et don Claude Lancelot, après les persécutions qu'il eut à supporter. Alors, pour rompre sans doute la monotonie de la retraite, ils composèrent : « Une nouvelle Méthode pour apprendre le Latin; Le Jardin des Racines Grecques; La Grammaire générale et raisonnée de la langue française » ; et ensuite des Méthodes pour apprendre le Plain-Chant, l'Italien, l'Espagnol. Ces différents ouvrages prirent le nom de PortRoyal. C'est ainsi que la « Grammaire raisonnée » qui, dit-on, appartient à Lancelot seul, a pris ce

nom.

Le public confond trop souvent le mérite d'un livre avec son entourage. Il est évident que l'ouvrage qui nous occupe est original; mais est-ce à dire qu'il est pour cela un modèle à suivre; nous ne le pensons pas.

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Voici ce que nous avons remarqué de bien dans Port-Royal Tout ce que l'on pourroit faire de plus raisonnable, seroit de retrancher les lettres qui ne servent de rien ni à la prononciation, ni au sens, ni à l'analogie des Langues, comme on a déjà commencé de faire; et conservant celles qui sont utiles, y mettre des petites marques qui fissent voir qu'elles ne se prononcent point, ou qui fissent connoître les

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diverses prononciations d'une même lettre. Un point au dedans ou au dessous de la lettre, pourroit servir pour le premier usage, comme « temps ». Le « C » a déjà sa cédille dont on pourroit se servir devant l'«e» et devant l'« i » aussi bien que devant les autres voyelles. Le « g » dont la queue ne seroit pas toute fermée, pourroit marquer le son qu'il a devant l'« i». Ce qui ne soit dit que pour exemple ».

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Quant à tout le reste, il est d'une faiblesse extrême; il y a même un principe qui nous paraît excessivement dangereux; c'est quand l'auteur avance qu'il n'existe qu'un seul verbe dans la langue française: ÊTRE; sous prétexte que tous les verbes peuvent être remplacés par ce mot. Au lieu de dire: Je chante, on dirait: Je suis chantant; au lieu de dire : Je brûle mes papiers, une femme dirait: Je suis brûlant... ou brûlante. Cela nous semble être un subterfuge bien hardi pour faire valoir un système.

Il y a un fait qui n'échappera pas au lecteur: PortRoyal annonce une grammaire générale pour le Français, le Latin, le Grec et l'Hébreu, et il raisonne tout cela dans un in-douze de 150 pages. Il a fallu les critiques de Duclos, et plus tard celles de Fromant, pour lui donner l'importance d'une grammaire. Duclos a jugé Port-Royal en quelques mots : « On est étonné de trouver à la fois tant de raison et de préjugés ». Cela n'empêche pas que nous avons, encore de nos jours, des libraires qui publient des grammaires d'après Port-Royal; pourquoi pas d'après Sylvius?

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