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d'André Guarna; cela doit étonner, car son œuvre « Bellum grammaticale » est une des plus curieuses et des plus méritoires que nous ayons lues. L'originalité de cet ouvrage consiste à mettre en présence les diverses parties de la grammaire et à leur faire engager une lutte générale.

Le lecteur comprendra mieux l'esprit du livre par la citation suivante :

« AMO ayant fait la revue de toutes ces troupes les conduisit dans les plaines immenses des « Conjonctions », vers un plateau dit « Copula », et traça son camp non loin de la rivière des « Disjonctives »>, nommée le fleuve « Sive ». Là il divisa ses forces en quatre grands corps ou Conjugaisons, leur assignant à chacun une position particulière. On en excepta. seulement quelques verbes familiers, à qui il fut ordonné de porter par corvée le langage des Infini tifs. Ceux-ci étaient : « Incipit, Desinit, Debet, Vult, Potest, etc., etc. » En ce moment des Verbes de la plus grande autorité faisaient leur entrée au camp: C'était « Pluit, Mingit, Fulgurat, Tonat, etc. », ayant à leur suite les cohortes choisies de leurs vassaux les plus distingués. On vit même les Gérondifs, dédaignant les noms, passer et se rendre en transfuges du côté des Verbes.

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<< Le roi POETA, informé des forces que son ennemi avait rassemblées, et craignant d'être surpris et opprimé, s'il attendait dans l'inaction l'effort d'une masse aussi imposante prit ses dispositions. Les Chefs des Pronoms, en qualité des princes de son

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CAILLOT, LEQUIEN.

sang, obéissent les premiers à son appel on voit flotter les panaches d'« Ego, Tu, Sui », tous nés près du trône, tous du sang illustre des Arsacides, marchant à la tête de « Meus, Tuus, Suus, Noster et Vester, etc., etc..... A leur troupe vinrent se joindre trois Articles, grands chercheurs d'aventures, reconnus pour être exercés aux faits d'armes par de longues suites de combats; le premier est « Hic, Hæc, Hoc; le second, Hic et Hæc; le troisième, Hic et Hæc et Hoc; portant chacun une armure étincelante d'espèces de genres, de nombres, de figures, de personnes et de cas ».

1810. Antoine CAILLOT, « est l'auteur du Dictionnaire portatif de littérature ». Il fit encore un grand nombre d'ouvrages, entr'autres : « Nouveau dictionnaire proverbial, satirique et burlesque », qui a le mérite de ne pas être trop libre, comme celui de Le Roux.

1810. Ernest LEQUIEN. Première édition d'une grammaire élémentaire qui a eu son moment de vogue, comme la grammaire de Chiflet, de PortRoyal, de Régnier-Desmarais, de Buffier, de Restaut, de Beauzée, de Lhomond, de Wailly, de l'abbé Gaultier, de Barthélemy de Grenoble, de Levizac, de Caminade, etc. Il faut bien comprendre, que ce genre de livres n'est autorisé par nos directeurs de l'enseignement, et accepté par le Public, qu'à la condition absolue qu'on suivra le sentier battu, et qu'on ne s'en écartera jamais.

ATHÉNÉE DE LA LANGUE FRANÇAISE.

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Il s'est

1811. Athénée de la Langue Française. formé à Paris, à l'instigation de Napoléon Ier, une espèce d'Académie linguistique, qui avait pour membres Arnault, conseiller, secrétaire général de l'Université impériale, membre de l'Institut et de la Légion d'honneur; Le Chevalier de Chevillard, membre du Corps Législatif, président par intérim ; Valant, directeur, et Laurenceau, secrétaire. Il y avait, comme membres honoraires, nos ambassadeurs à l'étranger.

Cette Académie impériale n'a fait que paraître et disparaître. La première lettre adressée aux différents membres de cette Société, a été dictée par Napoléon lui-même : « Les conquêtes des langues suivent les conquêtes des armes; mais si les idiomes, les usages et les mœurs des peuples réunis de nos jours à la France, peuvent enrichir notre langue, ces causes diverses peuvent aussi en altérer la pureté! Jamais il ne fut donc plus nécessaire d'y veiller que dans notre siècle ». L'institution aurait probablement porté les meilleurs fruits, si les événements de 1815, en abattant l'Empire, n'avaient pas naturellement anéanti cette nouvelle Académie. A propos de cette idée de Napoléon, de vulgariser la langue française, après avoir quelques années avant accaparé l'enseignement public au nom de l'État, nous ne résistons pas au désir de raconter une anecdote.

Napoléon rencontre un jour, aux Tuileries, le bibliothécaire de la rue Richelieu. Van Praedt,

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ATHÉNÉE DE LA LANGUE FRANÇAISE.

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dit-il, apportez-moi donc la liste des ouvrages linguistiques qui se trouvent à la bibliothèque. Quand Votre Majesté désire-t-elle que je lui donne cette liste? Venez demain matin. Le lendemain, le fidèle bibliothécaire se présente au cabinet de travail de l'Empereur: A la bonne heure, j'aime les hommes expéditifs ; donnez-moi le catalogue de vos livres linguistiques. Alors Van Praedt fait avancer un grand et robuste auvergnat, qui portait sur son crochet une vingtaine de registres. — Qu'estce que cela? Ce sont, Sire, les catalogues des ouvrages que vous avez demandés.

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On congédia le commissionnaire. - Ah ça! Van Praedt, expliquez-vous plus clairement, lui dit Napoléon avec bonté; à combien de volumes se réduisent, à la bibliothèque, les ouvrages de ce genre? Il y a, Sire, sur la linguistique générale, un tel monceau de livres, que seize chevaux attelés pourraient à peine les traîner. Je ne savais pas ça, fut toute la réponse de Napoléon. - Quand je lus cette anecdote, il y a longtemps, je crus que l'appréciation de Van Praedt était une fable; aujourd'hui je pense, qu'avec un peu de poésie, il a fait de l'histoire.

J'estime que le XIXe siècle produira, à lui seul, quinze cents volumes et brochures, rien que sur la grande question linguistique. Et dire cependant qu'avec tout cela il nous manque encore beaucoup de livres. Nous n'avons pas même une grammaire !

GIRAULT-DUVIVIER, ESTARAC.

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1811. Charles-Pierre GIRAULT-DUVIVIER, S'Occupa d'abord de l'éducation de ses filles, pour lesquelles il confectionna une grammaire; puis l'idée lui vint de donner à cet ouvrage un grand développement et de le publier. « La Grammaire des Grammaires », de Girault-Duvivier, a cela de particulier qu'elle réunit, sur tous les points difficiles, les opinions diverses des grammairiens. L'auteur a eu le talent d'analyser, de comparer les opinions contradictoires. Ce livre est assurément, malgré ce qu'on en a dit, une grammaire classique dans laquelle il y a parfois du bon. Nous verrons plus tard si l'on fait mieux.

1811. ESTARAC. « Grammaire française. » - Nous avons eu à chaque époque en France une grammaire en vogue, surtout depuis Port-Royal en 1660. Régnier-Desmarais a succédé à Port-Royal. Buffier a écrasé Desmarais. Restaut a détroné Buffier; Beauzée a régné en 1769. Wailly a fait oublier Beauzée. Lhomond a vécu côte à côte avec Wailly, qui a clos le xviie siècle. Levizac était à la mode au commencement du XIXe siècle. Estarac est venu ensuite, puis nous avons eu Lequien et Letellier vers 1815. Chapsal était dans son beau en 1820 et il tient encore la corde aujourd'hui. Nous ne parlons ici que de la grammaire purement classique.

Nous sommes forcés en France, avant d'apprendre les véritables règles de la langue française, de connaître la grammaire d'Etat. Vous seriez l'homme le plus savant des deux hémisphères, que

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