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et paternelle, plus digne de son cœur que celle dont il les menace. On permet à M. Bailly, leur président, d'entrer dans la salle avec quelques membres pour y prendre les papiers et là il proteste contre les ordres arbitraires qui la tiennent fermée. Enfin il rassemble les députés dans le jeu de paume de Versailles, devenu célèbre à jamais par la courageuse résistance des premiers représentans de la nation française. On s'encourage en marchant; on se promet de ne jamais se séparer et de résister jusqu'à la mort. On arrive; on fait appeler ceux des députés qui ne sont pas instruits de ce qui se passe. Un député malade s'y fait transporter. Le peuple, qui assiége la porte, couvre ses représentans de bénédictions. Des soldats désobéissent pour venir garder l'entrée de ce nouveau sanctuaire de la liberté. Une voix s'élève; elle demande que chacun prête le serment de ne jamais se séparer, et de se rassembler par-tout jusqu'à ce que la constitution du royaume et la régénération publique soient établies. Tous le jurent, tous le signent, hors un; et le procès-verbal fait mention de cette circonstance remarquable. La cour, aveuglée, ne comprit pas que cet acte de vigueur devait renverser son ouvrage. Les préjugés qui régnaient dans cette atmosphère supérieure, y faisaient regarder avec mépris des bourgeois, des avocats, des roturiers. La dignité du peuple et de ses représentans n'était pas encore reconnue.

Il semble cependant que la cour aurait dû ouvrir les yeux sur la faute qu'elle venait de faire et changer ses dispositions. Néanmoins elle y persista: seulement le roi fit renvoyer la séance royale du 22 au 23, afin qu'on eût le temps de détruire les travées où l'assemblée nationale laissait placer un grand nombre de spectateurs. Cette petite circonstance fut une faute encore; car elle donna le temps à la majorité du clergé de se réunir aux communes. Ce jour même du 22, les députés, errant dans les rues de Versailles pour chercher un lieu propre à leurs séances, allèrent enfin se rassembler à l'église de St-Louis; et, par un heureux hasard, ce lieu ajoutait à la majesté de la réunion. Les cent quarante-neuf membres de la majorité du clergé, parmi lesquels étaient plusieurs évêques, vinrent apporter leurs pouvoirs à vérifier deux membres de la noblesse du Dauphiné en firent autant. Cette journée, moins éclatante que celle du jeu de paume, fut aussi intéressante par les discours qui furent prononcés et par l'effet réel qu'elle devait produire.

Enfin la séance royale arriva : elle eut tout l'appareil extérieur qui naguère en imposait à la multitude: mais ce n'est pas un trône d'or et un superbe dais, ni des hérauts-d'ar

mes, ni des panaches flottans qui intimident des hommes libres. La cour ignorait encore cette vérité, qu'on retrouve pourtant dans toutes les histoires. La garde nombreuse qui entourait la salle n'effraya pas les députés; elle accrut au contraire leur courage. On répéta la faute qu'on avait faite le 5 mai, de leur affecter une porte séparée, et de les laisser exposés, dans le hangar qui la précédait, à une pluie assez violente, pendant que les autres ordres prenaient leurs places distinguées enfin ils furent introduits.

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Le discours et les déclarations du roi eurent pour objet de conserver la distinction des ordres, d'annuller les fameux arrêtés de la constitution des communes en assemblée nationale, d'annoncer en trente-cinq articles les bienfaits que le roi accordait à ses peuples, et de déclarer à l'assemblée que, si elle l'abandonnait, il ferait le bien des peuples sans elle. D'ailleurs toutes les formes impératives furent employées, comme dans ces lits de justice où le roi venait semoncer le parlement. Dans ces bienfaits du roi, promis à la nation, il n'était parlé, ni de la constitution tant demandée, ni de la participation des états-généraux à la législation, ni de la responsabilité des ministres, ni de la liberté de la presse; et presque tout ce qui constitue la liberté civile et la liberté politique était oublié. Cependant les prétentions des ordres privilégiés étaient conservées, le despotisme du maître était consacré, et les étatsgénéraux abaissés sous son pouvoir. Le prince ordonnait et ne consultait pas; et tel fut l'aveuglement de ceux qui le conseillèrent, qu'ils lui firent gourmander les représentans de la nation, et casser leurs arrêtés comme si c'eût été une assemblée de notables. Enfin, et c'était le grand objet de cette séance royale, le roi ordonna aux députés de se séparer tout de suite, et de se rendre le lendemain matin dans les chambres affectées à chaque ordre pour y reprendre leurs séances.

Il sortit. On vit s'écouler de leurs bancs tous ceux de la noblesse et une partie du clergé. Les députés des communes, immobiles et en silence sur leurs siéges, contenaient à peine l'indignation dont ils étaient remplis, en voyant la majesté de la nation si indignement outragée. Les ouvriers, commandés à cet effet, emportent à grand bruit ce trône, ces bancs, ces tabourets, appareil fastueux de la séance: mais, frappés de l'immobilité des pères de la patrie, ils s'arrêtent et suspendent leur ouvrage. Les vils agens du despotisme courent annoncer au roi ce qu'ils appellent la désobéissance de l'assemblée. On envoie le grand-maître des cérémonies, qui, s'adressant au président Vous connaissez, monsieur, lui dit-il, les intentions du roi. Le président lui répond que les représentans du peuple ne reçoivent des ordres de personne; que du reste il va

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prendre ceux de de l'assemblée. Mais le bouillant Mirabeau, prévenant la délibération, lui adressa ces fameuses paroles, que tout le monde sait par cœur; « Allez dire à ceux qui vous »envoient que nous sommes ici par la volonté du peuple, et » que nous ne quitterons nos places que par la puissance des »baïonnettes. » Quand le grand-maître des cérémonies se fut retiré, la délibération commença. M. Camus, le premier éclatant contre le despotisme de ce lit de justice appelé séance royale, attentat à la liberté des états-généraux, fit la motion à l'assemblée de persister dans ses arrêtés, qu'aucune autorité ne pouvait annuller. Plusieurs membres l'appuyèrent avec la même force: et l'abbé Sieyes, se résumant froidement au milieu de l'indignation générale : Messieurs, dit-il, vous êtes au. jourd'hui ce que vous étiez hier. L'assemblée décréta qu'elle persistait dans ses arrêtés. Et cependant, comme cet acte despotique, inspiré au roi, annonçait assez que la cour ne s'en tiendrait pas là, que la liberté personnelle des députés pouvait être violée, et que déjà des bruits en avaient couru, l'assemblée nationale déclara la personne de chaque député inviolable; que tous ceux qui oseraient attenter à leur liberté étaient infâmes, traîtres à la patrie, et coupables de crime capital, et se réserva de poursuivre tous ceux qui seraient auteurs ou exécuteurs de pareils ordres.

M. Necker fut le seul des ministres du roi qui n'assista point à cette séance, soit qu'il en prévît les funestes effets, soit qu'il fut instruit des moyens préparés pour la soutenir. On crut qu'il quitterait le ministère, dont, la veille, il avait offert sa démission. Un grand nombre de députés des communes se rendit chez lui pour l'engager à rester, lorsque la reine le fit appeler et qu'il promit au roi de ne pas quitter sa plaee. Les citoyens qui avaient suivi le roi après la séance, ceux qu'amenait une curiosité inquiète, inondaient les cours du château, la galerie, les appartemens; la crainte et le désespoir les agitaient; tout retentissait de leurs murmures. L'allégresse fut générale quand on apprit, de la bouche même de M. Necker, qu'il restait dans le ministère.

Tel fut donc l'effet de la séance royale, si contraire à celui que les ennemis dubien public en avaient attendu, que M. Necker n'en devint que plus cher au peuple et que les députés eux-mêmes se rapprochèrent de lui. Elle fit si peu d'effet sur la majorité du clergé, que celle-ci se rendit le lendemain à l'assemblée nationale, dont la séance fut aussi tranquille que s'il n'y avait jamais eu de séance royale. Le 25, la minorité de la noblesse se réunit, et les noms de ces quarante-sept membres généreux, parmi lesquels était M. le duc d'Orléans, vinrent chers à la nation. Que je les plains! disait de bonne

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foi un homme de la cour; voilà quarante-sept familles désho norées, et auxquelles personne ne voudra s'allier.

La minorité du clergé se tenait encore dans sa chambre où elle prenait quelques délibérations inutiles; la majorité de la noblesse délibérait aussi dans la sienne: mais ces fractions de pouvoirs disparaissaient devant la majesté de l'assemblée nationale; ce grand flambeau éclipsait tous les autres ; il servait de ralliement à la nation. Tout pressait donc une réunion, devenue indispensable depuis que l'autorité du despotisme avait reculé devant l'immobilité d'une poignée d'hommes libres.. Le roi écrivit aux présidens de la noblesse et du clergé pour les inviter à se réunir à l'assemblée des états-généraux, afin de s'y occuper librement de sa déclaration du 23. Le clergé obéit sans examen; mais la noblesse s'indignait d'une proposition qui lui faisait perdre tout le fruit de sa résistance, lorsque son président lui lut des fragmens d'une lettre du comte d'Artois. Il faisait entendre qu'il fallait se réunir, parce que la vie du roi était en danger. On le croit ou on feint de le croire; tout cède à ce motif, et les deux ordres se réunissent à la salle commune le 27 juin, quatre jours après la séance royale, qui avait défendu cette même réunion.

7

Au bruit de cette nouvelle les habitans de Versailles, si cruellement agités depuis plusieurs jours, accourent au château de toutes les parties de la ville. Les gardes étonnés se disposaient à fermer les grilles, lorsque les cris de vive le roi leur annoncent que c'est la joie qui rassemble tout ce peuple. Les flots des citoyens se succèdent, et la ville entière est entraînée l'enthousiasme dans les vastes cours du château. On demande le roi et la reine. Ils se présentent au balcon, reçoivent des bénédictions de cette foule immense, qui de là se transporte chez M. Necker, chez M. Montmorin, chez M. d'Orléans, chez M. Bailly. Le soir la ville fut illuminée, et la nuit se passa dans des réjouissances.

par

Cependant la réunion des ordres ne fit qu'aigrir davantage ceux qui avaient résolu de tout renverser plutôt que de voir continuer les états-généraux. Ils sentaient que leur règne allait finir pour faire place à celui de la loi, et que la source des déprédations et des abus allait être tarie. La fureur et l'extravagance réunies leur firent concevoir le plus barbare projet, celui de dissoudre l'assemblée nationale au prix de tout le sang qu'il en pourrait coûter. Paris les embarrassait; Paris, cette capitale immense qui n'est pas une ville, mais une nation. Depuis huit jours il était dans une agitation extrême. Le Palaisroyal était le rendez-vous de ceux des citoyens qu'occupait vivement la chose publique; il ne désemplissait ni le jour ni la nuit. A chaque heure, à chaque moment on y portait des nou

velles de Versailles, et des périls qu'avaient courus leurs députés, et de leurs succès, et de leurs craintes sur l'avenir. La famine même s'y faisait craindre; le pain y était, ainsi qu'à Versailles, d'une mauvaise qualité. Au milieu de cette angoisse générale on y apprend que des troupes arrivent de par-tout, qu'elles environnent Paris et Versailles, et que, disposées autour de ces deux villes, elles les tiennent en quelque manière bloquées. Ce sont en particulier des troupes étrangères qui sont appelées; on fait avancer à grands frais du canon des frontières; on dispose tous les préparatifs d'un camp; et c'est le général le plus rénommé de France, le maréchal de Broglie, qui doit commander l'armée destinée à combattre ou plutôt à massacrer les Francais, s'ils osent faire résistance.

Paris, dépourvu de subsistances, se voyait à la veille d'être épuisé par la famine et subjugué par l'épée; les mouvemens inévitables pour l'exécution d'un si grand dessein accroissaient encore les alarmes. A Versailles des troupes allemandes, des hussards, des canonniers, semblent rassemblés pour dissiper les états-généraux ou pour repousser tous ceux qui oseraient en protéger l'enceinte. Enfin les conspirateurs, se croyantsûrs de leurs succès, s'en vantaient hautement; et ne doutant pas qu'une populace qu'ils méprisaient ne fût aisément écrasée par des officiers généraux et par une armée de cinquante mille hommes, ils laissaient transpirer que l'assemblée nationale allait être dissoute, et plusieurs députés rebelles livrés à la rigueur des lois.

A ces mouvemens et à ces bruits la capitale entière n'eut qu'un sentiment; et ce n'était pas une populace ignorante et tumultueuse, c'était tout ce que cette ville célèbre renfermé d'hommes éclairés ou braves, de tous les états et de toutes les conditions. Le danger commun avait tout réuni. Les femmes, qui, dans les mouvemens populaires, montrent toujours le plus d'audace, encourageaient les citoyens à la défense de leur patrie. Ceux-ci, par un instinct que leur donnait le danger public et l'exaltation du patriotisme, demandent aux soldats qu'ils rencontrent s'ils auront le courage de massacrer leurs frères, leurs concitoyens, leurs parens, leurs amis. Les gardes-françaises les premiers, ces citoyens généreux, rebelles à leurs maîtres, selon le langage du despotisme, mais fidèles à la nation, jurent de ne tourner jamais leurs armes contre elle. Des militaires d'autres corps les imitent. On les comble de caresses et de présens. On voit ces soldats, qui avaient été amenés pour l'oppression de la capitale et par conséquent du royaume, se promener dans les rues en embrassant les citoyens. Ils arrivent en foule au Palais-royal,où tout le monde s'empresse de leur offrir des rafraîchissemens; et chacun

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