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La décadence du christianisme provoqua la réforme. Le protestantisme fut une réaction de l'esprit évangélique contre les tendances de la Loi Ancienne qui s'étaient reproduites dans le catholicisme. Tandis que la religion du moyen-âge concentrait la piété dans des pratiques extérieures, les protestants rapportèrent tout à la foi en Jésus-Christ. L'Eglise aussi changea de nature; le prêtre ne fut plus l'intermédiaire nécessaire entre le croyant et Dieu, puisque le Christ était le seul Médiateur; le sacerdoce n'eut plus de règle à prescrire, plus de salut à distribuer, puisque tout s'accomplissait dans l'intérieur de l'homme et par le sacrifice tout puissant du Fils de Dieu. En brisant la puissance de l'Église, la réforme affranchit le chrétien de toute puissance humaine; en ce sens elle est une doctrine de liberté. Mais que le mot de liberté ne nous fasse pas illusion : les réformateurs ne voulaient point donner à l'homme la liberté telle que nous l'entendons aujourd'hui. Le catholicisme soumettait les fidèles à une autorité extérieure; le laïque dépendait du prêtre et la chrétienté tout entière du pape. Les réformateurs rejettent tout intermédiaire entre l'homme et Dieu; le chrétien est donc libre à l'égard des hommes quant à sa foi, mais il ne l'est pas à l'égard de Dieu; c'est au contraire parce qu'il est dans la dépendance absolue de Dieu, qu'il est indépendant de toute autorité humaine.

Ainsi la liberté chrétienne est une soumission entière à Dieu : de là le dogme fondamental de la réforme que le salut est attaché à la foi en Jésus-Christ. L'homme ne se sent jamais plus faible, plus impuissant, que lorsqu'il est seul en face de Dieu c'est l'imperfection en présence de la perfection. Si l'on ajoute à ce sentiment la conscience que le chrétien a de sa chute, de la corruption de sa nature, suite du péché originel, l'on se fera une idée du découragement, du désespoir qui saisit le fidèle, accablé du poids de sa faute. Ce n'est pas en lui-même qu'il peut trouver l'espoir du salut, car il n'est que péché et corruption. Mais il y a un mérite infini en Jésus-Christ; c'est pour nous en faire part que le Fils de Dieu a pris la forme d'esclave; nous pouvons nous l'approprier par la foi. En définitive rien dans le salut de l'homme ne vient de lui, tout vient de Dieu;

le sacrifice de Jésus-Christ est une grâce, la foi même est une grâce, la persévérance dans la foi est encore une grâce.

Telle est la doctrine de la justification par la foi. Il n'y a rien de nouveau dans ce dogme; il remonte à saint Paul, et saint Augustin en a développé toutes les conséquences, bien des siècles avant Luther et Calvin. Mais la croyance sévère de la grâce s'était modifiée insensiblement pendant le cours du moyen-âge. Prise dans sa rigueur, elle altère le principe de la liberté au point d'aboutir au fatalisme. La liberté réagit contre la grâce et conquit une place dans le système théologique du catholicisme. Mais en relevant le mérite de l'homme, l'Eglise affaiblissait l'importance de la grâce et du sacrifice de Jésus-Christ; elle ouvrait la porte au pélagianisme, et compromettait l'existence du christianisme historique. La réforme revint aux idées de saint Paul et de saint Augustin.

Le dogme de la justification était considéré au seizième siècle comme le fondement théologique de la réforme; cependant aujourd'hui les croyances sur lesquelles il repose sont répudiées par les protestants. Ils ne disent plus avec Luther que la liberté est un mot vide de sens; ils ne croient plus avec Calvin à la puissance absolue de Dieu qui prédestine les uns au salut, les autres à la damnation. C'est dire que la justification était moins un principe qu'une arme de guerre. C'était un excellent moyen de ranimer le sentiment religieux, car moins on accorde au mérite de l'homme, plus la foi devient nécessaire. D'autre part, en rapportant le salut à Dieu, les réformateurs ruinaient la domination de l'Église, car l'Église dominait les fidèles par son intervention dans les œuvres méritoires, condition nécessaire du salut. Disposant du ciel, elle disposait par cela même de la terre. La réforme lui enleva les clefs du ciel, pour les restituer au Christ.

Quelle que soit l'importance du dogme de la justification, l'on se tromperait en y voyant l'essence de la réforme; il n'en est qu'un élément transitoire. Toutes les révolutions ont une arme de guerre. Tant que dure le combat, l'arme se confond facilement avec le but providentiel qu'elles poursuivent, souvent à leur insu. Mais les germes d'avenir déposés dans ces grandes tourmentes des peuples ne tardent pas à se développer; alors ce qui semblait être le but

n'apparait plus que comme un moyen, et il se trouve que le vrai but, tel que l'histoire le découvre, est parfois opposé aux vues des auteurs de la révolution. Il en fut ainsi de la réforme. Les protestants ont abandonné la doctrine augustinienne sur la grâce, parce que la fausseté s'en révéla quand Calvin l'enseigna dans toute sa rigueur et avec toutes ses conséquences. S'il était vrai, comme le disait Luther, que la justification fùt toute la réforme, il faudrait dire qu'elle n'a plus de raison d'être, car catholiques et protestants sont bien près de s'entendre sur la foi et les œuvres. Mais la vraie mission de la réforme n'était pas de ressusciter les dogmes professés par saint Paul et saint Augustin; elle était plutôt de faire un pas hors du christianisme historique. Luther et Calvin auraient crié à la calomnie, si on leur avait dit que leur réformation tendait vers une religion plus parfaite que le christianisme; cependant l'histoire atteste que tel est le dernier résultat du protestantisme.

Les ennemis du protestantisme, avec la clairvoyance de la haine, lui prédirent qu'il ne s'arrêterait qu'au déisme, c'est-à-dire à la négation du Christ comme Fils de Dieu, à l'abandon du christianisme comme religion miraculeusement révélée. Les faits ont donné raison à leurs prédictions. Le rationalisme, conséquence philosophique de la réforme, rejette tous les dogmes surnaturels du christianisme, par conséquent le christianisme lui-même, en tant qu'il procède du Fils de Dieu. Dès l'origine du protestantisme, l'une des innombrables sectes auxquelles il donna naissance, manifesta ces tendances. Le cours logique des choses a conduit toutes les sectes au socinianisme; pour mieux dire, le socinianisme est dépassé. Les Amis Protestants en Allemagne, les Unitairiens aux Etats-Unis n'ont plus rien de chrétien que le nom; ils forment la transition entre une religion ancienne et une religion nouvelle. Abandonnant la doctrine religieuse qui lui servait d'arme au seizième siècle, la réforme s'élance hardiment vers l'avenir, en se fiant à la raison, cette révélation permanente de Dieu dans l'humanité.

No 2. Élément social et politique de la Réforme.

La réforme est une révolution essentiellement religieuse; cependant elle a eu des conséquences sociales dont l'importance ne le cède point aux résultats du mouvement théologique. Ceci n'est pas une de ces contradictions que l'on a tant reprochées aux réformateurs. Toute religion contient en germe une conception politique; peu importe que les révélateurs en aient conscience ou non; alors même qu'ils repoussent toute pensée terrestre, comme JésusChrist, la religion qu'ils fondent n'influe pas moins sur la destinée des peuples. Cela est si vrai que les révolutions qui agitent notre siècle, ne sont autre chose que des tentatives pour réaliser dans l'ordre civil les dogmes de l'égalité et de la liberté chrétiennes. La réforme aussi, quoique les réformateurs fussent surtout préoccupés de la foi, était appelée à modifier la société; on peut dire plus, c'est que dans son principe même elle était une révolution politique autant que religieuse. Le catholicisme était devenu une institution politique; la réforme avait pour mission de réagir contre la religion du moyen-âge; elle devait donc conduire à une révolution sociale.

<< Il semble, dit Erasme, que la réforme aboutisse à défroquer quelques moines et à marier quelques prêtres; cette grande tragédie se termine par un événement comique, puisque tout finit par un mariage comme dans les comédies (1). » L'ingénieux écrivain ne s'apercevait pas qu'en voulant faire une pointe contre la réforme, il en faisait l'apologie. Le catholicisme, poussant à bout le spiritualisme chrétien, conduisit au monachisme qui devait réaliser la perfection évangélique. Luther, en prenant une femme, inaugure un nouvel ordre social. La nature, telle que Dieu l'a faite, reprend ses droits. Le mariage est saint, plus saint que le célibat, parce qu'il est l'accomplissement d'une loi divine. La vie civile aussi est sainte, car Dieu a créé les hommes pour qu'ils vivent en société, et non pour qu'ils désertent le monde en faisant de leur vie une mort. Le but

(1) Erasmi Epist.; XIX, 44.

de l'homme sur cette terre n'est pas d'anéantir son individualité, et de tuer ses facultés, mais de les développer en remplissant la mission que Dieu lui donne. Le travail dans sa plus large acception est donc saint, bien plus saint qu'une oisive contemplation ou une pauvreté volontaire. L'abdication de la volonté individuelle, qui d'un être vivant fait un cadavre, viole les desseins de Dieu; l'homme ne doit pas obéir à l'homme, mais à la loi, réalisation humaine de la volonté divine.

La conception que le catholicisme se faisait de la vie, avait pour conséquence de subordonner la vie civile à la vie religieuse, les laïques aux clercs, l'État à l'Église. Les clercs, élus de Dieu, réalisaient seuls l'idéal de la vie chrétienne; forts de leur supériorité, ils prétendirent former un pouvoir spirituel; l'Église, dépositaire de cette puissance, dominait l'État, représentant de la vie civile, au même titre que l'âme domine le corps. La réforme enleva à l'Église la base de sa domination, en mettant fin au dualisme de la vie sur lequel elle se fondait. Plus de vie spirituelle opposée à la vie temporelle, la vie est une et toute vie est sainte; plus de supériorité du prêtre sur le laïque, tout homme est prêtre; plus de puissance spirituelle, plus d'Église; chaque nation est souveraine, et la souveraineté s'exerce sur les choses spirituelles comme sur les choses temporelles; le sacerdoce n'est plus en dehors ni au-dessus de l'État, il est dans l'État.

Sur le terrain social et politique, la réforme n'est pas un retour au passé; elle marche hardiment dans les voies de l'avenir. Le moyen-âge fut une longue lutte pour fonder la domination universelle de l'Église. L'Église devait succomber, car ses prétentions violaient les lois de la création. La création est tout ensemble une et variée : l'homme est un avec ses semblables par le lien qui nous rattache tous à Dieu, et il est individuel, comme un être distinct des autres créatures : l'humanité est une par le but qui lui est assigné, et particulière par le génie individuel des diverses nations. L'unité ne peut pas s'accomplir par le sacrifice de ce qu'il y a de particulier et d'individuel; ce serait anéantir l'homme et l'humanité dans leur essence. La réforme brisa la fausse unité du catholicisme; il faut lui rendre grâces d'avoir rendu la monarchie

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