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sacrés. Mais, dit Bossuet, de ce prétendu pouvoir du peuple et de cette souveraineté qu'on veut lui attribuer naturellement, il n'y en a aucun acte, ni aucun vestige, et pas même le moindre soupçon dans toute l'Histoire Sainte, dans tous les écrits des prophètes, ni dans tous les livres sacrés... De sorte qu'on peut conclure qu'on ne connaissait pas ce prétendu pouvoir du peuple dans les empires que Dieu même et Jésus-Christ ont autorisés »

·(1).

Ainsi les faits démontrent que le protestantisme est devenu un principe de liberté, tandis que le catholicisme est resté un principe d'autorité qui, s'il ne légitime pas la tyrannie, l'accepte du moins. La lutte n'est pas terminée. En plein dix-neuvième siècle, il y a des gens qui rêvent la reconstruction du passé; ils cherchent à persuader aux princes que le catholicisme est le plus solide fondement de leur puissance, et que le protestantisme est une source de révolutions. S'il en est ainsi, comment se fait-il que le foyer des révolutions soit dans les pays catholiques? Les pires des révolutionnaires sont ceux qui veulent faire violence à la société, à ses tendances, à ses aspirations, en la voulant ramener à un état qui est en contradiction avec ses idées et avec ses sentiments. On ne fait pas rebrousser chemin à l'humanité; ceux qui le tentent sèment des révolutions, et ils récolteront la tempête. Il n'y a qu'un moyen de prévenir l'orage, c'est de donner satisfaction au besoin de liberté. Le protestantisme, par cela seul qu'il a en lui un principe de progrès qui assure le développement régulier de la société, prévient les secousses violentes qui agitent notre siècle; tandis que le catholicisme qui voudrait immobiliser les sociétés, ou, ce qui est tout aussi déraisonnable, ressusciter les institutions comme les croyances du passé, conduit fatalement aux révolutions.

(1) Bossuet, Ve Avertissement sur les lettres de M. Jurieu (T. XI, p. 436–151.

CHAPITRE IV.

LA RÉFORME ET L'UNITÉ CHRÉTIENNE.

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La réformation a brisé l'unité catholique comme les Barbares ont brisé l'unité romaine; c'est la race germanique qui a été l'instrument des desseins de Dieu dans l'une et l'autre révolution. Ceux qui voient l'idéal de la société dans l'unité déplorent la chute de Rome catholique, de même qu'ils maudissent les destructeurs de Rome païenne. Nous croyons que l'unité absolue ne saurait être le but de l'humanité, car elle est impossible. Il y a sans doute un mou. vement vers l'unité depuis le berceau du genre humain jusqu'à nos jours, et ce mouvement se continue encore. Mais la tendance vers l'unité n'implique pas l'absorption de ce qu'il y a d'individuel dans la création. L'individualité a sa raison d'être aussi bien que l'unité; pour mieux dire, l'individualité est le but, car l'homme a pour mission suprême de développer ses facultés intellectuelles et morales. L'unité ne doit être qu'un moyen l'association que l'on appelle État, est un milieu nécessaire aux individus pour leur perfectionment la société générale des peuples n'est également qu'un instrument d'éducation pour l'humanité. Faire du moyen le but, c'est sacrifier l'individu à l'État et les peuples au genre humain, c'est en définitive violer les desseins du créateur.

Dans l'ordre politique, cette vérité est presque devenue un axiome; la monarchie universelle a cessé d'être un idéal; on la considère plutôt, si elle pouvait se réaliser, comme le tombeau du genre humain. La République de Platon et des utopistes ses imitateurs, qui absorbe l'individu au profit de la société, a aussi cessé d'être un idéal, car elle tuerait l'individu au profit duquel la société est cependant établie. Dans l'ordre moral et religieux, l'unité a conservé plus de partisans: la vérité étant une, dit-on, pourquoi n'y aurait-il pas une seule loi religieuse pour tout le genre humain? La réponse est très-simple. Sans doute la vérité est une, mais cela

n'a pas empêché les nations de changer de religion, depuis que le monde existe. Pourquoi ces révolutions incessantes? Parce que la vérité doit se proportionner aux besoins des peuples, à leur degré de culture intellectuelle et morale. Les besoins varient, la civilisation varie; la vérité doit donc varier, de forme au moins et d'étendue. Or cette variété de besoins et de culture qui existe dans la vie de chaque peuple existe aussi à une mème époque dans la vie des divers peuples; dès lors l'unité absolue de croyances est une chimère. Pour que la religion fût une, il faudrait que toutes les nations eussent atteint un degré identique de culture intellectuelle et mcrale; cela est impossible, du moins cela est encore à l'état d'utopie. Tout ce que l'on peut prévoir, c'est que les diverses religions tendent à l'unité, en même temps que la civilisation tend à l'unité. Néanmoins la civilisation n'aboutira jamais à une unité absolue, à -raison de la diversité des races et des peuples. Il en est de même de la religion : l'humanité pourra arriver à avoir les mêmes croyances fondamentales, mais il y aura une diversité inévitable dans la conception de ces dogmes, et une diversité plus grande encore dans les détails du culte.

A ce point de vue, rien n'est plus légitime que la réforme : elle est la manifestation du besoin d'individualité que Dieu même a mis dans la nature de l'homme. Si les protestants ont brisé l'unité catholique, c'est pour préparer une unité supérieure. Rome méconnaissait le principe de l'individualité, chez les nations aussi bien que chez les individus; rien ne le prouve mieux que le schisme grec et la chrétienté d'Orient. L'Église orthodoxe s'est toujours refusée à recevoir les Grecs et les Orientaux dans son sein; elle n'a jamais voulu reconnaître ce qu'il y a de légitime dans leurs croyances particulières; cependant il y a accord entre l'Église romaine et les églises séparées sur les dogmes fondamentaux, le dissentiment ne porte que sur des points d'une importance secondaire. C'est que Rome ne veut pas de vie individuelle: de là la nécessité du schisme et l'inanité des efforts tentés pendant des siècles pour y mettre un terme. Mais il y a aussi dans les nations européennes des différences de génie; les unes sont plus portées vers l'unité, les autres vers une existence individuelle, suivant que c'est l'élément latin ou l'élé

ment germanique qui y a la prépondérance. La réforme est une réaction du génie germanique, du génie de la diversité et de l'individualité, contre le génie absorbant de l'unité romaine; voilà pourquoi elle domine chez les nations d'origine germanique, tandis qu'elle n'a jamais eu qu'une existence précaire et débile chez les peuples de race latine. Il est vrai que c'est la force qui a étouffé la réformation dans le midi de l'Europe; mais si les armes y ont ramené les peuples dans le sein de l'Église, c'est que le protestantisme n'avait pas des racines très solides dans les esprits.

Les deux confessions qui divisent la chrétienté sont l'expression de deux besoins également légitimes, l'unité et l'individualité. Elles ont chacune quelque chose d'exclusif; si l'on peut reprocher au catholicisme d'anéantir ce qu'il y a d'individuel dans la religion, on peut dire aussi que le protestantisme détruit ce qui est tout aussi essentiel, le lien des âmes. Nous plaçons notre idéal au-dessus de l'une et de l'autre confession; il doit donner satisfaction au besoin d'unité et au besoin de liberté individuelle. Le protestantisme a préparé cet avenir religieux en brisant l'unité catholique, de même que les Barbares ont préparé l'association des nations européennes en brisant l'unité de l'empire romain. Après l'invasion des Barbares, il y eut une époque de dissolution et d'anarchie, dans laquelle personne ne voit plus un idéal pour l'humanité; de même nous ne pouvons voir l'idéal religieux de l'avenir dans le morcellement infini de la réforme le protestantisme comme la féodalité est un passage, une transition de la fausse unité à l'unité véritable. Les réformateurs ont rendu service à l'humanité, en mettant fin à une unité mensongère, à une unité qui tue la vie au lieu d'en favoriser le développement. Après que le catholicisme a échoué dans une œuvre impossible, l'unité absolue des croyances ne sera plus tentée. C'est la variété dans l'unité qui est l'idéal, pour la religion comme pour toutes les manifestations de l'esprit humain : Dieu même l'a voulu ainsi, car la variété dans l'unité est une loi de la création.

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Comment se réalisera cet idéal? Question immense dont la solution est le secret de Dieu. On peut dire avec Luther, que l'unité n'est pas nécessairement extérieure ; il y a une unité supérieure à celle de Rome, c'est l'unité des âmes. Dans les époques de barbarie,

il a fallu une Église qui eùt toutes les allures d'une puissance de ce monde : c'était pour la religion une question d'existence, et une condition sans laquelle elle n'aurait pu remplir sa mission. Mais à mesure que la civilisation se répand, l'unité extérieure devient moins nécessaire, et elle finira par être inutile. C'est donc l'unité des esprits qui constituera l'unité de l'avenir. Tout y tend: les communications merveilleuses que les inventions de la science établissent entre les peuples, et même entre les continents: les relations intellectuelles, commerciales et industrielles qui relient toutes les nations civilisées du monde et en font comme une seule nation. Mais l'unité, tout en effaçant les divisions et les haines nationales, tout en faisant même disparaître jusqu'à un certain degré l'origininalité des nations, n'absorbera jamais ce qu'il y a d'intime dans la profondeur des génies nationaux, car cette individualité vient de Dieu. De même l'unité religieuse, par cela seul qu'elle sera la communion libre des esprits, laissera aux individus l'indépendance et la liberté, sans lesquelles il n'y a point de vie.

FIN DU TOME VIII.

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