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blables. La philosophie peut encore emprunter au catholicisme l'idée de la justification, en tant qu'il reconnaît à l'homme une part dans l'œuvre de son salut. Par cela seul que l'homme est libre, il doit faire lui-même son salut, avec l'appui et sous l'inspiration de Dieu. La justification ne s'opère pas miraculeusement par un acte de foi, comme le disent les protestants. Car le salut n'est autre chose que la perfection relative que la créature peut atteindre; or, la perfection est le résultat final du développement de nos facultés, ce qui implique une suite d'efforts et de progrès. Les catholiques ont donc raison d'enseigner que la justification est successive; le progrès qu'ils admettent dans le bien est au fond la doctrine du développement progressif de l'homme; seulement le progrès n'atteint jamais sa limite extrême : il n'y a donc pas de saints. Mais aussi le progrès n'est pas arrêté par la mort : s'il y a un purgatoire, il n'y a pas d'enfer. Comment se fait cette justification progressive? Ici encore la philosophie se rapproche du catholicisme. Ce sont les œuvres qui justifient, comme l'entendait le Christ; la perfection de l'homme consiste en effet dans l'abnégation et dans le dévouement à ses semblables.

Il est inutile d'ajouter que la philosophie rejette ce qu'il y a de superstitieux dans la doctrine chrétienne. Tout en donnant une part à l'homme dans son salut, le catholicisme enseigne que la justification se fait par l'effet miraculeux de la grâce divine; le protestantisme pousse ce dogme à bout en professant que la foi seule justifie. La vérité est que la grâce ou l'inspiration de Dieu nous aide dans le travail de notre perfectionnement; mais elle ne nous rend pas parfaits, ni justes, ni saints. Pour parler le langage théologique, la justification n'est pas le produit instantané de l'action de Dieu, elle est la tâche infinie de l'existence infinie de l'homme. L'erreur de la doctrine chrétienne tient à sa conception de la vie. La vie du chrétien est limitée à l'existence terrestre, en ce sens qu'il doit être justifié avant de mourir; à sa mort se décide la terrible question d'être ou de n'être pas. Pour les âmes religieuses, cette conviction est désolante et pleine d'angoisses. Comment l'homme peut-il avoir la conviction que, faible et coupable, il mérite le ciel, c'est-à-dire le bonheur infini? En vain fera-t-il tout ce que l'on appelle bonnes

œuvres, il sentira qu'il y a quelque chose d'imparfait même dans ses actes les plus purs, il sentira qu'il y a un abîme entre son imperfection et l'état de perfection auquel il aspire. Cependant il n'a que quelques instants pour se livrer à ce travail de perfectionnement. Pour sauver l'homme de ces angoisses, le protestantisme enseigne que la foi seule justifie, que ce n'est pas notre travail qui nous rend justes, mais le mérite infini d'un être infini. C'est trancher la difficulté par un miracle que la raison repousse. Il n'y a qu'un moyen de concilier toutes les contradictions, et de réunir dans une harmonie supérieure ce que le catholicisme et le protestantisme ont de vrai, c'est d'admettre une vie infinie et progressive.

La croyance d'une vie progressive est inconciliable avec l'idée d'un péché originel qui aurait vicié la nature au point que pour la réparer, il ait fallu l'intervention miraculeuse de Dieu. En effet, le péché est un effet de la liberté; or, la peine comme la faute ne concerne que l'individu et non l'espèce. Il est vrai que la créature étant un être fini et faillible, tout homme pèche; mais la faute varie pour chaque individu et la peine aussi. Le péché n'entraîne jamais une corruption absolue de la nature; il ne fait qu'éloigner le pécheur de Dieu. Mais, quelque coupable qu'on le suppose, l'homme reste relié à Dieu par la grâce, il conserve sa liberté; il peut donc toujours se relever; la peine même que Dieu lui inflige est l'instrument de sa renaissance. Tels sont, au point de vue de la philosophie, le péché et la rédemption. Puisque l'homme s'avance dans la voie du bien, aidé de la grâce divine qui ne l'abandonne jamais, l'intervention surnaturelle de Dieu pour sauver l'humanité n'a plus de raison d'être, et l'action surnaturelle de la grâce est tout aussi inutile. Il n'est plus question pour la créature de passer de l'imperfection à la perfection par une transition subite, il n'est plus question de salut ni de ciel, il s'agit du développement d'un être fini et limité, mais perfectible. La sainteté ou la perfection est le dernier but de l'homme. C'est un idéal qu'il n'atteindra jamais; sa mission est de s'en rapprocher sans cesse. Tout ce qu'on peut lui demander, c'est de travailler à l'œuvre de son perfectionnement: voilà sa justification.

SII. L'Église et l'homme.

No 1. L'Église invisible et l'Église extérieure. La Tradition.

Dans la doctrine catholique, l'Église est une institution divine; pour mieux dire, elle se confond avec Dieu. C'est Jésus-Christ qui l'a fondée, et il reste uni à elle, c'est son épouse mystique; il est le chef et l'Église est le corps (1). L'Église a des organes extérieurs qui sont également institués par Dieu : Jésus-Christ a délégué ses pouvoirs à saint Pierre, en le plaçant à la tête de l'Église c'est encore Jésus-Christ qui a voulu que l'Église fut un lien nécessaire entre l'homme et Dieu, en lui confiant les clefs du royaume des cieux. Enfin, c'est le Fils de Dieu qui a promis à l'Église qu'il serait toujours avec elle; elle a donc le dépôt de la vérité, elle est la vérité; infaillible, elle interprète et supplée l'Écriture. L'homme ne participe à la vie spirituelle que comme membre de l'Église; celui qui est hors de l'Église est par cela même hors de la communion de Dieu; il n'y a donc de salut pour l'homme que dans le sein de l'Église (2).

Si l'autorité de l'Église est divine, l'homme devient l'esclave de l'homme; la liberté que la doctrine catholique lui reconnait n'est plus qu'un mot vide de sens; libre en apparence devant Dieu, il est esclave du clergé qui couvre sa domination du nom de Dieu. Affranchir l'humanité de cette servitude, telle a été la mission de la réforme. L'idée catholique de l'Église est, au dire des protestants, une idée païenne et juive. C'est au fond le système des castes; les clercs forment la caste dominante, les laïques la caste subordonnée. Le prêtre est l'intermédiaire nécessaire entre l'homme et Dieu, il est l'interprète de la vérité, l'organe des sacrements; c'est lui qui accomplit journellement le sacrifice, par lequel l'homme est

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(2) Cyprian., De unitate Ecclesiæ, o. 6 :«Habere jam non potest Deum patrem, qui ecclesiam non habet matrem. Comparez le T. V de mes Études, p. 299, s.

réconcilié sans cesse avec Dieu. Dans toutes ces relations, le laïque est un être inférieur, passif, condamné à une dépendance éternelle ('). L'idée de caste, continuent les protestants, est en opposition avec l'essence même du christianisme, l'égalité religieuse. C'est Jésus-Christ qui est notre Médiateur: il est venu nous délivrer du péché et nous enseigner la vérité; son sacrifice et son enseignement profitent directement à tout homme. L'idée de l'Église est encore en opposition avec l'essence du christianisme, en ce que le christianisme est une religion intérieure, tandis que le système catholique qui la confond avec l'Église, en fait une religion extérieure (*).

Qu'est-ce que l'Église dans la doctrine protestante? La foi justifie par la grâce du sacrifice de Jésus-Christ. Il y a donc un lien direct qui nous rattache à Dieu; dès lors la médiation d'une Église extérieure est superflue; elle ne peut être qu'un instrument de tyrannie. L'Église, essentiellement intérieure, est la communauté des saints; c'est la foi qui la constitue, et non une profession extérieure, ni une hiérarchie ecclésiastique (5). La véritable Église n'a d'autre chef que Jésus-Christ. Dans cet ordre d'idées, il n'y a plus de distinction entre les clercs et les laïques, plus de domination exercée par les prétendus organes de Dieu sur la masse des fidèles. La tradition aussi s'écroule, puisqu'il n'y a plus de corps qui en soit dépositaire. Les protestants la maintiennent à la vérité, mais en la transformant. Il y a, disent-ils, dans toute association, politique ou religieuse, un sentiment qui domine les individus; il ne lui faut pas un organe extérieur; sa force est d'autant plus grande, qu'elle est intérieure, et qu'elle agit sur les âmes par la conviction ou la foi. Voilà ce que les protestants appellent tradition (*); elle

(1) Baur, Der Gegensatz des Katholicismus, p. 391.

(2) Ibid., p. 382.

(3) Apologia Confess. Aug., IV, 5: « Ecclesia non est tantum societas externarum rerum ac rituum, sicut aliæ politiæ, sed principaliter est societas fidei et spiritûs. Bellarmin, au contraire, dit (De Ecclesia militante, c. 2):«< Ecclesia est cœtus hominum ita visibilis et palpabilis, ut est cœtus populi romani vel regnum Galliæ aut respublica Venetorum. »

-((

(4) Baur, Der Gegensatz des Katholicismus, p. 343.

interprète et supplée l'Écriture sans imposer ses décisions; l'individu reste libre de ne pas s'y soumettre, mais il s'y soumet involontairement, en ce sens que la conscience générale n'est autre chose que la voix de Dieu dans l'humanité.

No 2. Appréciation du dogme protestant.

Nous avons dit ailleurs quelle fut la nécessité historique de l'Église ('). Les protestants eux-mêmes avouent aujourd'hui qu'une Église intérieure, invisible était une utopie dans les circonstances au milieu desquelles le christianisme s'est développé. L'unité était une condition de vie et d'avenir pour la religion chrétienne, or l'unité purement spirituelle était une chimère. Il fallait un corps à l'Église : de là l'aristocratie épiscopale et plus tard la papauté. Les évêques et les papes firent remonter leur droit à Dieu. C'était un puissant moyen d'influence; mais pour agir sur les Barbares il a fallu à l'Église plus qu'une autorité divine, il lui a fallu la force que donne le pouvoir. C'est au moyen-âge que l'Église prend ce caractère extérieur qui a tant révolté les réformateurs du seizième siècle; ils ne voyaient pas dans l'ardeur de la lutte que la rude discipline de la papauté avait été nécessaire pour dompter les Barbares. La nécessité providentielle de l'Église implique-t-elle sa légitimité et sa divinité? Elle implique au contraire que son empire n'était que passager. On conçoit que l'enfant soit soumis à une règle disciplinaire, mais maintenir cette règle pour l'homme fait, c'est vouloir perpétuer l'enfance. C'est encore aller contre le but de l'Église; en effet sa domination ne se justifie qu'en tant qu'elle est nécessaire pour moraliser les hommes; or il n'y a pas de vraie moralité là où il n'y a pas de liberté; et l'Église détruit la liberté, puisque l'individu ne reçoit la vérité et ne participe au salut que par son intermédiaire; la domination de l'Église est donc en contradiction avec le principe de son institution. En détruisant l'Église, les réformateurs ont inauguré l'ère de la vraie religion et de la vraie moralité.

(4) Voyez le T. V de mes Études.

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