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du Christ y implantât son spiritualisme exalté. Il en résulta que le catholicisme fut toujours mêlé de sentiments païens. Croirait-on qu'au seizième siècle un lettré de Ravenne professa que tout ce que disaient les poëtes grecs et latins était la vérité, et qu'il fallait croire leurs fables de préférence aux mystères du christianisme? (1) Quand au quinzième siècle les grands génies de la Grèce et de Rome sortirent de leurs tombeaux, ils trouvèrent un écho dans les tendances de la race italienne. De là cet enthousiasme pour les lettres anciennes qui eut les apparences d'une nouvelle religion. Il en fut de l'antiquité au quinzième siècle comme de la philosophie au dixhuitième; quand une idée s'empare fortement de l'esprit d'une génération, elle prend les couleurs d'un culte, d'une religion.

Le patriotisme italien joua aussi son rôle dans ce mouvement des esprits. Au quinzième siècle, l'Italie morcelée, divisée, devint une proie facile pour les Barbares du Nord, car les Italiens s'obstinaient à qualifier de Barbares les peuples qui devaient bientôt les devancer dans la civilisation. L'étude de l'antiquité vint les consoler de leur décadence présente, en leur montrant un passé plein de gloire. Jadis l'Italie avait été la maîtresse du monde, la langue de Rome avait été celle de tout l'Occident; cette langue, oubliée ou altérée, n'en était pas moins celle de la race italienne. Quoi d'étonnant que l'enthousiasme pour la grandeur romaine soit devenu un culte chez un peuple qui brille par l'imagination? Les lettrés eurent leur apôtre dans l'illustre orateur de Rome (2). Pour eux la sainteté consista à être cicéronien, c'est-à-dire, à parler la langue de Cicéron (3). La nouvelle secte fut tout aussi orgueilleuse que la Ville Éternelle, tout aussi intolérante que l'Église s'écarter en quoi que ce soit du style de Cicéron, employer un mot dont il ne s'était pas servi, était une hérésie (*). A ce compte le christianisme même était une hérésie, ou du moins pour se concilier avec les exi

(1) Glaber Radulphus, Chronic., dans Bouquet, T. X, p. 23.

(2) Erasmi Ciceronianus (Op., T. I, p. 975) : « Ciceroni inter apostolos in Calendario meo locum dedi. »

(3) Ibid., p. 974 : « Quis non malit apud posteros celebrari Ciceronianus quam sanctus? >>

(4) Erasmi Epist. 894 (Op., T. III, P. 1, p. 1025)

gences des Cicéroniens, il devait revêtir des formes cicéroniennes. Les saints du moyen-âge n'auraient pas reconnu la religion du Christ dans le langage du cardinal Bembo. Parle-t-il de l'élévation d'un pape, il dit qu'il en est redevable aux dieux immortels; est-il question de la sainte Vierge, le prince de l'Église la désigne sous le nom de déesse; il appelle le Saint Esprit le souffle du zéphir céleste; il transforme le Fils de Dieu en Minerve sortie du front de Jupiter. Le cardinal cicéronien mêlait à ces enfantillages d'érudit un vrai dédain pour les livres sacrés; ayant un jour trouvé le pieux et savant Sadolet occupé à traduire l'Épître aux Romains : « Laisse-là ces puérilités, lui dit-il; de telles inepties ne conviennent pas à un homme grave »(1).

Le travestissement de la religion chrétiennne influa sur le fond des croyances; la forme devenant païenne, le fond aussi menaçait de devenir païen. Écoutons un orateur catholique parlant de la mort de Jésus-Christ devant le pape Jules II et les cardinaux. La moitié de son sermon roula sur les hauts faits du pontife guerrier : le prédicateur le compara à Jupiter lançant la foudre et faisant trembler la terre par un signe de sa tête. Il essaya ensuite d'exciter la pitié de ses auditeurs en leur faisant un tableau des souffrances de Jésus; mais comment aurait-il ému les autres, quand il restait froid lui-même? Puis l'orateur voulut exalter ce qu'il y avait de glorieux dans la sainte mort du Christ. Il rappela les Décius et les Curtius, qui s'étaient dévoués pour la république; il parla de tous les personnages païens à qui le salut de leur patrie avait été plus cher que la vie. Enfin il déplora l'ingratitude des hommes: JésusChrist, pour prix de ses bienfaits, est outragé par les Juifs et condamné à une mort ignominieuse! Du reste, pas un mot sur la chute de l'homme qui avait nécessité ce grand sacrifice, pas un mot sur la rédemption du genre humain la mort du Fils de Dieu est mise sur la même ligne que la mort de Socrate (2).

Érasme n'avait donc pas tort de dire que les lettrés, «< chrétiens

(4) Bayle, vo Bembus. · Burigny, Vie d'Érasme, T. I, p. 560.

(2) Erasmi Ciceronianus (Op., T. I, p. 993).

de nom et païens de cœur, préféraient les dieux d'Homère à JésusChrist» (1). Il y avait là un danger réel pour le christianisme. Un pape qui resta étranger à l'engouement général pour les lettres vit une véritable hérésie dans la prédilection des humanistes pour la civilisation ancienne : Paul II sévit contre l'académie romaine fondée par Pomponius Laetus. Les académiciens ne se contentaient pas d'abdiquer leurs noms de baptême pour s'affubler de noms romains; on les accusait de répudier le christianisme, comme un mélange d'erreurs et de mensonges. Tiraboschi, le savant historien de la littérature italienne, essaye de laver la renaissance de celle tache, au risque de compromettre l'autorité du souverain pontife("). Il est difficile de se prononcer sur la culpabilité des individus, mais il est certain que la tendance générale des humanistes d'Italie était anti-chrétienne. Un des esprits les plus enthousiastes de cette époque d'enthousiasme, Ficin atteste que l'incrédulité se produisait sous le manteau de la littérature : « Les poëtes, dit-il, traitent les mystères de fables et les philosophes les dédaignent comme des contes de vieilles femmes »(3). Les lettrés avaient soin de cacher leurs sentiments, car les bûchers étaient toujours dressés pour les hérétiques; cependant l'incrédulité éclatait parfois dans d'étranges saillies. Laurent Valla ne se contenta pas d'attaquer la donation de Constantin, il osa dire qu'il y avait dans son carquois des flèches contre le Messie même (*).

Une idée singulière qui tient aux croyances de l'époque, nous montre combien la foi dans la divinité du Christ était affaiblie. L'astrologie avait une grande vogue; quand la religion s'en va, la superstition prend sa place. On croyait que les astres gouvernaient toutes choses, et par suite que toutes choses étaient changeantes comme la face du ciel. La religion seule était-elle immuable au milieu de la mobilité universelle? Il n'y avait aucune raison de le croire,

(1) Erasmi Op., T. I, p. 972, 998, 999. Cf. Epist. 207 (Op., T. III, 1, p. 189); Epist. 899, p. 1021.

(2) Tiraboschi, Storia della letteratura italiana, T. VI, P. 4, p. 109, 112. (3) Ficinus, Epistol. lib. VIII, T. I, p. 899.

(4) Bayle, au mot Laurent Valla.

une fois le principe admis. Les astrologues enseignaient que la pla nète de Jupiter produisait les diverses religions par sa conjonction avec les autres planètes. Comme on ne connaissait que six planètes outre Jupiter, il ne pouvait y avoir que six religions; le christianisme, qui était la cinquième, devait faire place à une sixième qui régnerait sous l'Ante-Christ (1). Ainsi le christianisme cessait d'ètre une vérité révélée et immuable, pour être soumis à l'influence des astres! On poussa l'irrévérence jusqu'à tirer son horoscope, et l'on trouva qu'il touchait à sa fin: « les miracles cessent, dit Pomponace, il ne s'en fait plus que de mensongers, la consommation approche» (). Cette doctrine qui avilit la religion ne s'explique que par le déclin de l'esprit religieux. A entendre Pomponace, la foi est une affaire d'imagination; c'est pour cela qu'elle a tant d'empire sur les peuples dans leur enfance. Le philosophe italien admet aussi que les révélateurs peuvent très-légitimement tromper les hommes (3). Nous voilà à la conception dégradante du dix-huitième siècle, qui considère la religion comme une invention du sacerdoce pour exploiter la crédulité humaine.

L'on voit à quoi aboutit le paganisme des lettrés italiens. Il ne faut pas prendre au pied de la lettre ce qu'Érasme et après lui les historiens de la renaissance disent du retour des humanistes à la religion d'Homère. Le danger n'était pas dans le polythéisme, mais dans l'incrédulité. Antérieure à la renaissance, l'incrédulité prit une extension dangereuse, sous l'influence de l'antiquité ressuscitée. La liberté d'esprit, nourrie par la littérature ancienne, se tourna contre la religion du moyen-âge. Ce mouvement continue jusque dans les temps modernes; aujourd'hui encore la plupart des lettrés sont païens, en ce sens du moins qu'ils sont hors du christianisme. Mais le côté négatif de la renaissance ne doit pas être pris pour son essence. Là où l'enthousiasme transporte des générations entières, l'on peut être sûr qu'il y a autre chose que

(1) J. Pici Mirandulæ, de Astrol., V, 17 (Op., T. I, p. 391).

(2) Pomponat., De incantat. 12, p. 286.

(3) Pomponat., De incantat. 4, p. 51, ss.; de immortal. 14, p. 103, ss.

:

l'incrédulité, car l'esprit humain ne vit pas de négations, il vit de foi. Au dix-huitième siècle, l'on croirait que l'humanité va se faire athée; il n'en est rien la fraternité, l'égalité et la liberté deviennent une religion nouvelle. Au quinzième siècle, l'on croirait que l'humanité retourne aux autels de Jupiter; loin de là, elle aspire à une religion plus large que l'étroite orthodoxie du moyen-âge. Ce sont ces aspirations vers l'avenir qui font la gloire de la renais

sance.

CHAPITRE V.

LA RENAISSANCE ET L'AVENIR.

Les grands hommes sont ceux qui ont les yeux tournés vers l'avenir et qui entraînent les peuples dans cette voie; de même les révolutions qui marquent dans les annales de l'humanité sont celles qui font faire au genre humain un pas en avant. Telle fut la réformation, bien qu'elle prétendit revenir au christianisme primitif; telle fut aussi la renaissance, malgré son admiration excessive pour l'antiquité païenne. Quel est le trait caractéristique de la renaissance, au point de vue religieux? Le cercle des idées et des sentiments s'élargit. Il est vrai que la plupart des humanistes se croient catholiques, mais leur catholicisme diffère du tout au tout d'avec le sombre catholicisme du moyen-âge, et d'avec le catholicisme factice du dix-neuvième siècle. Malgré ses prétentions à l'universalité, le catholicisme est une religion étroite; il réprouve toutes les autres formes religieuses, et par suite il damne les hommes et les peuples qui sont en-dehors de l'Église. Au quinzième siècle, l'on est tout étonné de rencontrer des sentiments plus humains. Une Église exclusive n'est possible qu'aussi longtemps que les hommes vivent

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