Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

servait sa grâce pour quelques élus, au lieu de sauver tous les hommes ('). Il y en avait qui ne voulaient croire qu'à ce qu'ils voyaient; ils disaient : « Qui a vu l'enfer, le purgatoire et le paradis? est-ce que jamais quelqu'un en est revenu? » C'était nier la foi, puisque la foi a pour objet les choses invisibles; aussi rien n'échappait aux moqueries de ces esprits forts (2). Gerson révèle un fait encore plus étrange; l'incrédulité envahissait le clergé, les prélats se moquaient de la théologie. Le mal était si grand que le chancelier proposa d'établir un inquisiteur de la foi pour le réprimer (3).

L'incrédulité de ceux qui étaient les gardiens de la foi surprend au premier abord, cependant elle s'explique facilement. Cicéron dit que deux augures ne pouvaient se regarder sans rire. Nous ne mettons pas le christianisme et le paganisme sur la même ligne, mais il y a dans la religion chrétienne tant de croyances qui choquent la raison, il y avait surtout au moyen-âge tant de superstitions et ces superstitions étaient si ouvertement exploitées par le clergé, que l'incrédulité devait gagner les clercs, comme elle avait gagné les augures. Est-ce que ceux qui fabriquaient des miracles pouvaient encore croire aux miracles? et s'ils ne croyaient plus aux miracles, pouvaient-ils croire à une révélation basée sur des miracles? On comprend donc que dès le treizième siècle des accusations d'incrédulité aient été portées contre le chef même de la chrétienté. Dans une enquête faite en 1310 par le pape Clément sur la mémoire de Boniface VIII, des prêtres déposèrent qu'ils avaient entendu Benoît Cajetan, étant cardinal, discuter avec un clerc, en présence de plusieurs personnes, quelle était la meilleure loi, celle des chrétiens, des Juifs ou des Sarrasins, et que le cardinal avait fini par s'écrier : « Bah! qu'est-ce que toutes ces religions? Inventions des hommes ! Il ne se faut mettre en peine que de ce monde, puisqu'il n'y a point d'autre vie que la présente. »> Un abbé déposa que le cardinal Cajetan avait dit : « Que le pain n'était

(1) Gerson, Sermon français (Op., T. III, p. 1585).

(2) Gerson, Serm. (ib., p. 1569-1596).

(5) Gerson, Serm. (ib., p. 1301). — Id., Epist. (Op., T. I, p. 124).

pas changé dans le sacrement de l'eucharistie, qu'il était faux que le corps de Jésus-Christ fût présent, qu'il n'y avait pas de résurrection, pas de vie future, que tel était le sentiment de tous les hommes instruis, qu'il n'y avait que les ignorants et les simples qui pensaient autrement.» Même en présence des laïques, le cardinal Cajetan, devenu pape, se moquait de la divinité du Christ, et traitait de sots ceux qui croyaient au paradis et à l'enfer (1).

Dira-t-on que ces accusations sont des calomnies dictées par la haine? Au quinzième siècle, les mêmes imputations furent renouvelées en plein concile contre Jean XXIII; on lui reprocha de nier l'immortalité de l'âme, et de vivre comme un païen (2). Dira-t-on encore que c'est de la calomnie? Il est certain que dès le treizième siècle, Rome, la gardienne de la foi, exerçait une funeste influence sur la foi «Tel qui va bon chrétien à la cour pontificale, dit Rutebeuf, en revient faux pharisien »(3). De là le proverbe allemand, que, plus on est près de Rome, plus on est impie ('). Les témoignages abondent pour prouver l'incrédulité du haut clergé. Au quatorzième siècle, Pétrarque, clerc lui-même et qui vécut dans l'intimité des grands ecclésiastiques, dit qu'à la cour du pape on traitait de vaine fable l'espérance d'une vie future, et de niaiserie la résurrection et le jugement dernier (5). A mesure que l'on approche de la réformation, l'incrédulité va croissant. Jérôme Savonarole, l'ardent prédicateur de Florence, nous apprend que des cardinaux et des évêques passaient pour nier Dieu et se moquer de la foi chrétienne (6). Pic de la Mirandole parle d'un pape qui ne croyait pas à l'immortalité de l'âme, et d'un autre qui ne croyait pas en Dieu (7). Veut-on avoir une preuve de la décadence de la foi chrétienne? dit Machiavel; l'on n'a qu'à considérer que les peuples qui

(1) Du Pui, Différend de Philippe le Bel et de Boniface VIII, p. 544-548, 550, 551 (2) Von der Hardt, Concil. Constant., T. IV, p. 197, 208, 230, ss.

(3) Rutebeuf, OEuvres, T. II, p. 73.

(4) Je näher Rom, desto böser Christ (Flacii Illyrici poemata, p. 417; Testium Veritatis, p. 1912).

(5) Petrarch. Epist. sine titulo, XXV (Op., p. 729).

(6) Gieseler, Kirchengeschichte, T. II, 4, § 153, note e, p. 470.

(7) Pici de fide (Op., T. II, p. 177).

sont les plus proches de l'Église de Rome sont ceux qui ont le moins de religion (1).

Nous venons de citer des témoignages émanés d'Italiens dont la plupart étaient sincèrement croyants. Il est plus intéressant encore de voir quelle impression Rome fit sur les étrangers qui la visitèrent dans un esprit de science ou de piété. Érasme y entendit des blasphèmes horribles sur le Christ et ses apôtres; des prêtres, officiers du pape, laissaient éclater leur impiété jusque dans la célébration de la messe (2). Hutten, le libre penseur, fut effrayé de l'incrédulité romaine; dans sa fameuse Trinité, il dit qu'il y a trois choses que Rome ne croit pas, la résurrection des morts, l'enfer et l'immortalité de l'âme; il ajoute que la religion y consiste dans l'amour de l'argent(s). Luther vit la capitale du monde catholique à une époque où sa foi dans l'Église était encore entière. Quel désenchantement pour le candide moine de Saxe! Il manqua d'être assommé par des religieux bénédictins, pour leur avoir reproché qu'ils mangeaient de la viande le vendredi; il entendit lui-même à Rome les propos sacriléges dont parle Erasme pendant que le prêtre allemand disait la messe avec onction et gravité, les clercs italiens lui disaient: « Dépêche-toi de renvoyer le Fils à sa Mère »(1). Faut-il s'étonner si plus tard le réformateur traita Rome de prostituée?

Nous n'aurions pas ces témoignages positifs qui attestent l'incrédulité des papes et des grands ecclésiastiques, que leur vie témoignerait suffisamment de leurs croyances. L'opposition entre la foi et les mœurs, dit Commines, prouve que la foi est nulle (5).

(1) Machiavelli, Discorsi, I, 12.

(2) Erasm. Epist. (Op., T. III, 2, p. 1382) : « Ibidem multos novi qui commemorabant, se dicta horrenda audisse a quibusdam sacerdotibus aulæ pontificiæ ministris, idque in ipsa Missa, tam clare, ut ea vox ad multorum aures pervenerit. »

(5) Hutten, Trias Romana << Religionem ibi quis unius pili facit? aut aliud Romæ studium, præter pecuniæ illud, quis curat?... Valde dubitem an centesimus quisque Romanensium vel mediocriter pie de religione sentiat... De pœnis inferorum vel verbum dicere inter præclaros hos Quirites, pro anili est fabula » (Op., T. III, p. 443,495, 496).

(4) Merle d'Aubigni,Histoire de la Réformation, T. I, p. 244, 248-250.

(5) « S'ils avaient ferme foi, et qu'ils crussent ce que Dieu et l'Église nous

Cette parole du profond observateur s'applique à la lettre à la plupart des papes du quinzième siècle et du commencement du seizième : ils vivaient de manière, dit un contemporain, théologien distingué, qu'il était facile de voir qu'ils ne croyaient ni à la résurrection, ni au jugement dernier, ni même à une autre vie (1). Un Médicis fut assassiné dans une église, au moment de l'élévation de l'hostie, sur l'instigation d'un pape, et de complicité avec un cardinal, un archevêque et un prêtre : Voltaire demande si ces gens croyaient à la présence réelle, s'il leur restait même une ombre de foi. « De quel front un Alexandre VI, l'horreur de la terre, osait-il se dire le vicaire de Dieu? » (2)

Quand les papes étaient incrédules et que leur manque de foi éclatait publiquement dans une vie de débauches et de crimes, comment le troupeau serait-il resté croyant? « Nous autres Italiens, dit Machiavel, nous avons cette obligation à l'Église et aux prêtres, d'être devenus des impies et des scélérats » (3). L'incrédulité, quoique moindre dans les autres pays de la chrétienté, y faisait de grands ravages. Erasme dit que la plupart des chrétiens étaient pires que les Turcs : « Combien y en a-t-il entre nous, s'écrie-t-il, qui ne croient pas à la résurrection ni à l'immortalité de l'âme? Les Turcs y croient, ils sont plus près du christianisme que ces prétendus fidèles. » Ailleurs il dit qu'il y a des myriades de chrétiens dans cet état d'impiété : « Ils sont innombrables ceux qui dans leur cœur disent: il n'y a point de Dieu, et ils n'ont pas honte de vomir publiquement ces blasphèmes »(4). L'incrédulité n'est donc pas due aux philosophes du dix-huitième siècle, elle date du moyen-âge, elle est née dans le sein même de l'Église, au temps de sa domination la plus exclusive. Quelles furent les causes de cette importante révolution?

commandent, sur peine de damnation, connaissant les jours être si briefs, leurs peines d'enfer être si horribles et sans nulle fin ni rémission pour les damnés, ils ne feraient pas ce qu'ils font. »

(1) Panormitanus Abbas, dans Flacius, Test. Veritat., p. 1889.

(2) Voltaire, Essai sur les mœurs, ch. CV et CXXVIII.

(3) Machiavelli, Discorsi, I, 12.

(4) Erasmi Adagiorum Chil. IV, Cent. I, prov. 4 (Op., T. II, p. 967). Exomologesis (T. V, p. 160). — Enarratio Psalmi XIV (ib, p. 293).

[blocks in formation]

CHAPITRE II.

CAUSES DE L'INCREDULITÉ.

SI. Réaction contre l'Église et la religion.

No 1. Réaction contre la domination de l'Église.

Nulle part l'incrédulité n'est plus grande qu'en Italie, dans le voisinage et sous l'influence de celui qui s'intitule le vicaire de Dieu; il en a été ainsi au moyen-âge, il en est encore de même de nos jours. Le scepticisme du dix-huitième siècle fait place partout au besoin de croire, même chez ceux qui s'éloignent de la religion officielle. En Italie, l'incrédulité, au dire des voyageurs, est radicale et elle paraît incurable. Ce fait, singulier en apparence, se reproduit tous les jours sous nos yeux : veut-on voir un homme d'une impiété poussée jusqu'à l'athéisme, il faut le chercher parmi ceux qui ont été élevés par les Jésuites. C'est un grand enseignement, mais les hommes du passé ne profitent guère de la leçon. Dans le catholicisme, la religion se confond avec l'Église et avec certains actes extérieurs. La réaction contre l'Église et contre les actes extérieurs conduit les esprits nourris dans cette confusion à rejeter le fond avec la forme. C'est ce qui arriva au moyen-âge, époque où dominaient l'Église et le monachisme : l'opposition contre l'Église et contre les œuvres monacales aboutit à l'incrédulité. Or, la réaction était inévitable; elle se fit dans toutes les classes de la société laïque, car la domination de l'Église pesait tout ensemble sur les rois et sur les vilains. Ce qui paraissait faire la force de l'Église devint un principe de faiblesse, et la décadence de l'Église entraîna la religion dans sa ruine.

Voilà pourquoi c'est un empereur d'Allemagne qui est le chef des

« ZurückWeiter »