Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

l'intelligence, condamnés à Bruxelles au commencement du quatorzième siècle, enseignaient aussi que toutes les créatures seraient sauvées (1). Enfin celui des précurseurs de la réformation que les écrivains protestants placent le plus haut, Wessel professait sur la vie future une opinion qu'il croyait conciliable avec l'Écriture, mais qui certainement ne l'est pas avec le dogme des catholiques et des réformés. Wessel ne comprend pas que l'homme arrive subitement, comme par un miracle, de l'imperfection où nous le voyons à la perfection qui est le dernier but de sa destinée : « La loi générale de la création, dit-il, est la croissance successive, le progrès continu: l'homme seul ferait-il exception? Ne faut-il pas qu'il soit purgé de ses mauvais instincts avant de pouvoir prétendre à l'existence parfaite que l'on appelle le paradis? » Voilà ce que Wessel entend par le purgatoire. Le feu du purgatoire est un feu moral qui purifie l'âme; ce n'est pas une peine, c'est une éducation divine qui conduit à la béatitude. Aussi dans la pensée du réformateur allemand, tous les hommes doivent passer par cette purification (2). La conséquence logique de la doctrine de Wessel c'est la vie progressive et infinie.

Nous avons insisté sur le salut universel, parce que c'est cette croyance qui sépare surtout les hérésies de l'Église orthodoxe, et c'est par cette croyance que l'Église périra. Quoiqu'elle fasse, les hommes refusent de croire que le Créateur soit le bourreau de ses créatures; ils refusent de croire en un Dieu moins bon, moins charitable qu'eux-mêmes. Cependant l'Église catholique ne peut pas répudier une erreur qu'elle a enseignée pendant des siècles et qui a été l'instrument le plus puissant de sa domination; elle est fatalement condamnée à la maintenir comme vérité : c'est dire qu'elle est fatalement condamnée à périr.

(4) Baluze, Miscell., T. II, p. 277, 281, 285. Constatons en passant que la rétractation imposée par l'Église au carme qui était à la tête de la secte, ne condamne pas seulement le salut universel, elle déclare encore que les Juifs et les païens ne peuvent pas être sauvés.

(2) Ullmann, Reformatoren vor der Reformation, T. II, p. 619, ss.

CHAPITRE II.

CHRISTIANISME

PROGRESSIF.

SI. L'idée du progrès.

No 1. Hugues de Saint Victor et saint Thomas.

L'idée du progrès au moyen-âge! Cela ressemble à un paradoxe: le moyen-âge n'est-il pas essentiellement catholique, et le catholicisme n'est-il pas en opposition avec le dogme d'une religion progressive? Il est vrai que de nos jours les défenseurs de l'orthodoxie repoussent la perfectibilité dans le domaine de la religion comme une erreur de la philosophie et de la pire des philosophies, du panthéisme; mais il n'en a pas toujours été ainsi : nouvelle preuve que tout change dans ce monde, même la religion qui se prétend immuable. L'idée du progrès est née avec le christianisme; les néocatholiques qui la combattent avec tant de passion, ne se doutent pas qu'ils reculent jusqu'au paganisme; l'antiquité païenne était réellement immobile, au moins par ses croyances, car elle professait que l'humanité tourne éternellement dans le même cercle. C'est la parole du Christ qui a mis fin à cette désolante doctrine, en inaugurant un nouvel âge où l'immobilité fait place à un progrès incessant.

Les Pères de l'Église avaient conscience de l'immense révolution qui s'opéra par la prédication évangélique. Aux partisans du passé, païens ou juifs, qui invoquaient la tradition ou l'immobilité, ils opposèrent hardiment la loi universelle de la création, d'après laquelle tout change et se perfectionne. Il est vrai que, dominés par le dogme de la révélation, ils déclarèrent que le progrès s'arrêtait à Jésus-Christ: mais les plus aventureux osèrent franchir cette barrière divine et proclamer, en s'inspirant de quelques paroles pro

phétiques, que le christianisme n'était pas le dernier mot de Dieu. Il y avait donc deux mouvements dans la chrétienté primitive. Les uns, c'était le grand nombre, admettaient le progrès pour le passé, mais non pour l'avenir; les autres, c'étaient plutôt des hérétiques, croyaient à une série infinie de révélations divines. Ces tendances se retrouvent au moyen-âge, mais avec des nuances nouvelles qui prouvent que l'esprit humain ne se repose jamais. Les scolastiques, bien qu'ils s'appuyent toujours sur l'autorité des Pères, dépassent les Pères et donnent la main à la philosophie moderne. C'est précisément ce lien entre le dogme du progrès et la philosophie qui effraye les catholiques du dix-neuvième siècle; ils répudient une vérité qui trouve ses plus chauds partisans dans un camp ennemi de l'Église; mais en reniant l'idée du progrès, ils ne s'aperçoivent pas qu'ils renient leur propre tradition.

De tous les pères de l'Église, c'est saint Augustin qui a jeté les regards les plus profonds sur la loi du progrès. Ses écrits transmirent au moyen-âge l'idée d'un développement progressif de l'humanité. Au douzième siècle, il se trouva un penseur qui mérite d'être comparé au grand docteur du monde latin: Hugues de Saint Victor s'inspira de saint Augustin; mais tout en procédant du passé, il fit un pas vers l'avenir. Un autre théologien, dont le génie a tout embrassé, saint Thomas, enseigna aussi la loi de la perfectibilité. Les mêmes pensées se rencontrent chez des esprits d'une moindre importance, mais nous pouvons les négliger; Hugues et saint Thomas nous diront le dernier mot de la scolastique sur l'immense question qui se présente devant nous.

Hugues de Saint Victor considère le progrès comme une loi universelle de la création. Le catholicisme croit à l'existence d'êtres purement spirituels, dont la perfection dépasse de beaucoup l'imperfection humaine; cependant les anges, d'après Hugues, vont toujours en se perfectionnant. Il n'admet qu'une limite à l'évolution progressive des créatures, le jugement dernier; alors toute la création se confondra en quelque sorte en Dieu et participera de son immutabilité, en même temps que de sa perfection (1). Cette loi

(1) Hugonis de Sancto Victore Summa, II, 6 : « Cognitio angelorum usque ad

régit aussi les hommes, et elle les aurait régis, même si Adam n'avait pas infecté sa postérité du péché originel ('). Il ne faut donc pas croire que la pénible marche du genre humain vers la perfection soit une suite de la chute (2). A la vérité toutes choses étaient parfaites dans le principe de la création; mais il n'en est ainsi que des œuvres sorties directement de la main du Créateur. Tout ce qui naît dans le monde une fois créé, est soumis à la condition d'un lent développement; tout part de l'imperfection pour arriver à la perfection. Cela se voit dans les plantes et les arbres, dans les animaux et dans tout ce qui a vie : c'est une loi générale, à laquelle l'homme est également soumis (3).

Voilà l'idée du progrès fondée sur la nature même de l'homme et sur l'essence de la création. Reste à en faire l'application aux diverses manifestations de la vie. Saint Thomas ne fait aucune difficulté de l'appliquer aux sciences et aux institutions civiles: « Il est naturel à la raison humaine, dit-il, de parvenir par degrés de l'imparfait au parfait. Ainsi les premiers philosophes enseignèrent des choses imparfaites, qui furent plus tard exposées d'une manière plus parfaite par ceux qui les suivirent. » Il en est de même des sciences pratiques les premières inventions furent défectueuses sous beaucoup de rapports; plus tard, on les corrigea et on les perfectionna » (1). La foi aussi est-elle progressive? Hugues de Saint Victor fait une réponse qui en apparence nie le progrès dans le domaine de la religion et qui au fond l'affirme : « Il faut distinguer, dit-il, entre la foi et l'intelligence de la foi; la foi est toujours identique, mais de même qu'elle diffère d'un individu à l'autre, suivant leur capacité intellectuelle, de même elle croit dans les divers

judicium augeri potest, quando fixi et immobiles erunt in eo quod sciunt, ut nec plus nec minus scire possint. »>

(1) Hugonis Summa, lib. I, Part. VI, c.14 :« Cognitioni, si in obedientia homo perstitisset, per subsequentem revelationem plurimum addendum fuit. »

(2) Hugonis Summa, lib. I, Part. VI, c. 26 : « Nequaquam pro vitio humanæ naturæ deputandum est, si in principio suo a perfecto inchoata per subsequentem propagationem a modico ad majora et meliora proficiat. >>

(3) Hugonis Summa, ib. : « A modico universa incipiunt, ac deinde paulatim per incrementa ordine ad perfectionem evadunt. »

(4) Summa theologica, Secunda secundæ, quæst. 97, art. 1.

âges du genre humain (1). » Dire que l'intelligence de la foi change et se développe, c'est dire que la foi elle-même va en progressant, car la foi n'existe pour nous que pour autant que nous la comprenons; la foi dont nous n'avons pas l'intelligence est pour nous comme si elle n'existait pas. Ce que Hugues de Saint Victor dit de la foi qui a précédé la venue du Christ, le prouve à l'évidence. Si la foi a toujours été la même, la croyance en Jésus-Christ a dû précéder l'Incarnation; mais où trouver cette croyance avant et même après la Loi Ancienne? « On croyait à un Dieu créateur, dit notre docteur, on espérait de lui le salut et la rédemption »(2). Suffit-il donc de croire qu'on sera sauvé, pour que l'on soit censé croire en JésusChrist? Qui ne voit que ces subtilités n'ont été imaginées que pour concilier l'immutabilité prétendue de la foi chrétienne avec les changements réels qui se font dans la foi? Saint Thomas aboutit au même résultat. Il prétend aussi que la foi a toujours été la même : il est vrai que les dogmes ont augmenté en nombre, mais peu importe, dit-il, ils préexistaient en essence, car toute la doctrine chrétienne se trouve en germe dans les croyances primitives (3). Nous demanderons s'il est bien vrai de dire que les dogmes formulés à partir du christianisme étaient connus sous la Loi Ancienne, parce qu'ils étaient renfermés implicitement dans la première révélation? C'est une nouvelle subtilité à laquelle nous répondrons par les paroles mêmes de saint Thomas. La vérité est une et immuable, cela est de toute évidence, mais à l'égard de qui? « A l'égard de Dieu seul, dit l'illustre docteur; à l'égard des hommes, il est certain qu'elle varie; en effet elle prend la couleur de notre intelligence qui est

(1) Hugonis de Sancto Victore, De Sacramentis, lib. I, Part. X, c. 6 : « Sicut in uno eodemque tempore secundum capacitatem diversorum fidem differentem agnoscimus, ita quoque per successionem temporum ab initio incrementis quibusdam auctam in ipsis fidelibus non dubitemus... Crevit itaque per tempora fides, ut major esset, sed mutata non est, ut alia esset. »

(2) Hugonis de Sancto Victore, De Sacramentis, I, 10, 7.

(3) Secunda Secundæ, quæst. 1, art. 7 : « Quantum ad substantiam articulorum fidei, non est factum eorum augmentum per temporum successionem... Sed quantum ad explicationem crevit numerus articulorum, quia quædam explicite cognita sunt a posterioribus, quæ a prioribus non cognoscebantur nisi implicite.»>

« ZurückWeiter »