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S II. Attaques des laïques contre l'idée de l'Église.

La haine des laïques contre les clercs n'était pas le plus grand danger du catholicisme. Si, comme il le prétend, le droit divin eût été pour lui, le fait brutal ne l'aurait jamais emporté; les violences auraient été un martyre, et les souffrances des martyrs sont le triomphe de la foi. Mais en même temps que les barons et les vilains s'attaquaient aux biens et aux personnes, un mouvement plus dangereux se produisait dans le domaine de la pensée : l'idée même de l'Église était mise en question. Ceci était plus grave que les crimes individuels contre les clercs; il ne s'agissait plus d'une émeute, mais d'une révolution. Les réformateurs ont accompli la révolution; le moyen-âge l'a préparée. On peut distinguer dès le onzième siècle, deux courants d'idées hostiles à l'Église. L'un procède des hérésies et aboutit à Luther; l'autre procède des hommes politiques et aboutit aux légistes et à la révolution de 89. Les sectaires restent dans les limites du protestantisme; les hérétiques politiques dépassent la doctrine chrétienne.

No 1. Les Hérésies.

Les sectes du moyen-âge sont une réaction contre l'Église extérieure. Cette opposition devait les amener à attaquer le pouvoir temporel de l'Église, car c'était précisément en devenant un pouvoir temporel, qu'elle avait cessé en quelque sorte d'être un pouvoir spirituel. La papauté prétendait que Constantin avait abdiqué l'empire entre les mains de Sylvestre, en investissant les successeurs de saint Pierre de la plénitude de la souveraineté. De là datait la décadence de l'Église, au dire des hérétiques; c'est pour ce motif qu'ils poursuivaient de leur haine le malheureux Sylvestre à qui un faussaire a fait une réputation imméritée. La donation de Constantin était, au point de vue de leur doctrine, le renversement complet du christianisme évangélique. Ils croyaient avec saint Paul que tout chrétien était prêtre. Repousser la distinction des

laïques et des clercs, c'était attaquer la puissance de l'Église dans son fondement religieux. S'il n'y a pas de différence entre la vie laïque et la vie cléricale, il n'y en a pas davantage entre l'ordre temporel et l'ordre spirituel, il n'y a qu'une seule société, un seul pouvoir. Ainsi s'écroule tout l'édifice de l'Église, sa liberté et ses immunités, ses priviléges et sa domination.

L'élément politique des hérésies a été peu remarqué; il s'efface dans la gravité des dissentiments religieux qui séparent les sectes de l'Église orthodoxe. Cependant il a aussi son importance, car c'est la première manifestation de l'idée de l'État. Il y eut des hérétiques auxquels l'Église ne reproche rien que leurs attaques contre son pouvoir temporel. Dès le milieu du douzième siècle, des laïques s'élevèrent contre les excommunications: ils prétendaient que ceux qui étaient excommuniés par le clergé devaient être soumis à un tribunal séculier, qui jugerait de la légitimité de la sentence; ils disaient que donner un effet civil à l'excommunication, c'était détruire l'empire, en mettant le sacerdoce au-dessus de l'empereur. Cette doctrine tendait à subordonner l'Église à l'État, tandis qu'au moyen-âge l'État était subordonné à l'Église. La papauté eut raison de prendre l'alarme; mais ses censures ne pouvaient réprimer un mouvement qui avait son principe dans les excès mêmes des souverains pontifes.

La longue guerre du sacerdoce et de l'empire était au fond une lutte pour le pouvoir souverain; plus les papes mettaient de hauleur dans leurs prétentions, plus ils devaient blesser le sentiment d'indépendance de la société civile: tous ceux que l'intérêt n'enchaînait pas au Saint-Siége se sentaient frappés dans la personne de l'empereur. Il y eut des laïques qui dénièrent aux papes le pouvoir de frapper les princes d'interdit; à leurs yeux, les Hohenstaufen, excommuniés, poursuivis par l'Église, étaient des justes et des saints. Dans cet ordre d'idées, Frédéric II, l'ennemi mortel de Rome, devint un martyr, l'espoir de la société laïque contre les envahissements des clercs. D'abord on ne voulut pas croire à sa mort, puis on prophétisa qu'il s'élèverait de ses cendres un vengeur, un Frédéric III, qui renverserait le pape et son clergé. Cette

croyance se maintint pendant des siècles; elle acquit une nouvelle force pendant les querelles de Louis de Bavière et de Jean XXII: les hommes de toutes les classes, dit un chroniqueur, croyaient que Frédéric II reviendrait dans toute sa puissance. Les espérances que l'on attachait au retour du grand empereur caractérisent bien les passions de la société laïque : on disait que Frédéric poursuivrait l'Église avec une telle fureur, que les clercs couvriraient au besoin leur tonsure de fiente de bœuf, pour cacher leur couronne cléricale on croyait que les religieux seraient mariés ainsi que les religieuses.

Tant que l'opposition contre l'Église resta à l'état de vague rèverie, elle était peu dangereuse; il n'en fut plus de même quand elle prit l'importance d'une doctrine et qu'elle trouva un organe au sein d'une nation positive par excellence. Dans le domaine du dogme, Wiclef est bien plus timide que les hérétiques du moyen-âge, tandis que sur le terrain politique, il est plus qu'un précurseur de la réformation, il est un réformateur. Mais il procède comme Henri VIII plutôt que comme Luther; c'est au parlement qu'il s'adresse, et que lui propose-t-il? La chose la plus agréable du monde pour les barons: il veut que l'État prenne les biens des clercs pour les appliquer aux charges publiques. Les arguments théologiques ne lui manquaient pas pour justifier la sécularisation : « L'Eglise, dit Wiclef, se prévaut de l'Écriture, pour réclamer les dîmes; mais la même loi de Moïse qui donne les dimes aux lévites leur défend de rien posséder dans la Terre Promise; si les clercs montrent tant de zèle à observer une partie du précepte de Moïse, pourquoi n'observent-ils pas l'autre? » Wiclef maudit la donation de Constantin : c'est un poison pour l'Église, dit-il, car les richesses du clergé sont la source de sa corruption. Jusqu'ici Wiclef est d'accord avec les sectaires du moyen-âge; il veut ramener l'Église à sa pureté primitive. Mais le réformateur anglais ne s'arrête pas au point de vue théologique : l'intérêt de l'État l'inspire autant que l'intérêt de la religion; il revendique la souveraineté de la société laïque sur les clercs. Se fondant sur l'autorité de Jésus-Christ, il soutient que la prétendue liberté de l'Église est une usurpation : « Jésus-Christ et

les apôtres obéissaient aux princes et ils recommandaient à tous les hommes de leur être soumis. Qui donc a soustrait le clergé à la juridiction royale? Ce sont les nouvelles décrétales qui ont décidé que les clercs ne payeront ni subsides ni taxes, sans l'assentiment du prêtre mondain qui trône à Rome. Cependant le pape est souvent l'ennemi de notre pays... Ainsi un prêtre étranger, et le plus orgueilleux des prêtres, est devenu le maître de l'Angleterre! » Les priviléges du clergé sont incompatibles avec la souveraineté nationale. C'est ce que Wiclef reconnaît encore: il est impossible, dit-il, qu'il y ait un Etat, si dans son sein il existe un corps puissant qui est en-dehors et au-dessus de ses lois. La conséquence qui résulte des principes de Wiclef est que l'État doit commander aux clercs comme aux laïques. Voilà bien tout le côté politique de la réformation; il appartenait à un Anglais d'en tracer le programme. Wiclef sert de lien entre les précurseurs religieux et les précurseurs politiques de la révolution du seizième siècle; il s'inspire tout ensemble des Vaudois et d'Arnauld de Bresse.

N° 3. Les hommes politiques.

1. Arnauld de Bresse et les Gibelins.

Les hérétiques dans leurs attaques contre le pouvoir temporel de l'Église partent de l'Évangile; ils ont en vue de rétablir l'Église dans sa pureté primitive bien plus que de rendre à l'État la souveraineté usurpée par le sacerdoce. A côté des sectes religieuses se produit un mouvement analogue, mais dont le but est différent; il procède des hommes qui se préoccupent de l'État plus que de la religion. L'Église les appelle les hérétiques politiques, car à ses yeux c'est une hérésie de reconnaître la souveraineté de l'État sur le clergé. Telle est la doctrine d'Arnauld de Bresse que le cardinal Baronius appelle le patriarche des hérétiques politiques. Il n'est cependant pas le premier qui ait revendiqué les droits de l'État; ses sentiments étaient partagés par tous ceux qui dans la guerre du sacerdoce et de l'empire combattaient pour les empereurs. C'est

aux papes et à leurs excès qu'il faut rapporter l'origine d'une opinion qui leur est devenue si funeste. L'État existait à peine au onzième siècle; Grégoire VII, en foulant aux pieds la majesté impériale, provoqua une vive réaction en faveur de l'empire: ce fut le germe de l'idée de l'État et de sa souveraineté. Les partisans de l'empire soutenaient que l'Église était purement spirituelle, qu'elle n'avait droit à aucun pouvoir temporel, pas même à la possession ds la térre. Arnauld de Bresse se fit l'apôtre de cette croyance.

Nous avons apprécié ailleurs cet homme hors ligne, cet esprit ardent et dévoué à ses convictions comme un martyr l'est à sa foi (1). Le pape fit jeter les cendres d'Arnauld dans le Tibre, croyant étouffer dans le sang d'un homme la dangereuse hérésie qui menaçait son pouvoir temporel; mais les sentiments qui s'étaient incarnés dans le réformateur italien existaient avant lui et ils lui survécurent; il trouvá des vengeurs dans les descendants de l'empereur qui l'avait livré au bûcher. Dès le treizième siècle, les Hohenstaufen et les Gibelins attaquèrent le fondement juridique de l'usurpation cléricale, la fameuse donation de Constantin; ils nièrent que le César romain eût donné la souveraineté à Sylvestre; l'Écriture même s'opposait, d'après eux, à ce que l'Église exerçât la puissance suprême, car Jésus-Christ dit à ses disciples qu'ils doivent rendre à César ce qui est à César. Frédéric II continua la politique de sa famille, en la couvrant da voile de la religion; à entendre l'empereur incrédule, il voulait ramener l'Église à la pureté apostolique. Les Gibelins adoptèrent ce mot d'ordre et travaillèrent à ruiner l'Église au nom de la foi.

II. Occam.

L'héroïque race des Hohenstaufen succomba dans sa guerre contre la papauté, mais la papauté succomba avec elle. Les droits revendiqués par les empereurs eurent des défenseurs sur tous les trônes; les prétentions des papes eurent un ennemi dans chaque

(1) Voyez le Tome VI de mes Études.

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