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dulgences, et l'on sera effrayé de la désastreuse influence qu'ils ont dù exercer sur la moralité des croyants. Saint Damien se plaignait déjà au onzième siècle que la commutation des pénitences en une somme d'argent ruinait la discipline(1). Qu'aurait dit le sévère anachorète, s'il avait assisté à la vente des indulgences? La conception théologique de l'indulgence est toujours restée étrangère aux masses; en achetant la rémission de leurs peines, les fidèles croyaient acheter le paradis.

Puisqu'il il y avait un moyen si facile de se laver de ses crimes et de gagner le ciel, pourquoi ne se serait-on pas abandonné à ses passions? Tel était le raisonnement des fidèles au treizième siècle, et ils raisonnaient encore ainsi au seizième ("). Un troubadour dit comme une chose très-naturelle qu'il rompra son serment et qu'il en sera quitte pour aller chercher des pardons en Syrie (5). L'abbé d'Ursperg confirme le témoignage du poëte français; il rapporte que l'on entendait dire aux plus grands criminels : « je commettrai tels forfaits qu'il me plaira, puisqu'en prenant la croix je serai lavé de tout péché, et je satisferai même pour les autres » ('). Voilà la morale des croisades et des indulgences!

Voltaire dit que « le livre des taxes a mis au jour des infamies plus ridicules et plus odieuses tout ensemble que tout ce qu'on raconte de l'insolente fourberie des prêtres de l'antiquité »(3). La flétrissure est méritée; il n'y a jamais eu de spectacle plus infâme que celui de la vente des indulgences. Cependant l'Église prétend tenir son pouvoir de Jésus-Christ; son immutabilité la condamne à enseigner encore aujourd'hui la doctrine du trésor de mérites, consacrée par un pape. Ces prétentions sont un arrêt de condamnation contre le catholicisme et contre la Révélation sur laquelle il fonde sa domination.

(1) Damiani Epist. I, 15, ad Alexandrum II.

(2) Centum gravamina Germanicæ nationis, § 3 (Fasciculus rerum expetendarum et fugiendarum, p. 355).

(3) Millot, Histoire des troubadours, T. II,

p. 240.

(4) Chronic. Urspergense, ad a. 1221 (Gieseler, T. II, 2, § 82, note d). (5) Voltaire, Essai sur les mœurs, ch. 68.

CHAPITRE II.

LES HÉRÉSIES ET LES PRÉCURSEURS DE LA RÉFORME.

SI. Les Hérésies.

No 1. Considérations générales

La réforme fut dans son essence un réveil du sentiment religieux; les catholiques le nient en vain, ce sentiment éclate dans les croyances des réformateurs, il éclate dans leur opposition contre le catholicisme romain. Le dogme de la grâce et de la justification par la foi n'est au fond qu'une protestation contre la doctrine des œuvres extérieures qui constituait toute la religion au moyen-âge. Comment, se demandaient les protestants, les œuvres pourraientelles procurer le salut? Les catholiques qui se fiaient au jeûne, à l'aumône, au pèlerinage et aux indulgences, leur semblaient des aveugles qui couraient au-devant de la damnation éternelle. En comparant la faiblesse de l'homme et l'inanité de ses mérites, avec l'immensité de la satisfaction qu'il doit à Dieu pour la mystérieuse faute dont il est solidaire, en mettant la corruption de sa nature en regard du terrible jugement de Dieu, les réformateurs désespéraient de leur salut ils ne parlent dans leurs symboles que des tourments de la conscience, de l'aveuglement des pécheurs, de la colère de Dieu et des terreurs de sa justice (1). Ce sombre désespoir ne trouvait de soulagement que dans la foi sans bornes à Celui qui, Fils de Dieu, avait pris la forme d'esclave pour satisfaire par un

(1) Constat in terroribus conscientiæ, quod non possunt iræ Dei opponi ulla nostra opera... Tota hæc res conficta est ab otiosis hominibus, qui non norant, quomodo in judicio Dei et terroribus conscientiæ fiducia operum nobis eripiatur..... Pavidas conscientias adigunt ad desperationem... »

sacrifice infini au péché infini de l'homme. De là la ferveur du sentiment religieux qui est resté le trait caractéristique des sectes protestantes.

Cette réaction contre le catholicisme extérieur, ce retour à la religion véritable se manifestent dès le moyen-âge dans les hérésies, bien que sous des formes différentes. Tel n'est pas l'avis des catholiques; ils dénigrent les hérésies, comme ils dénigrent la réforme. Les écrivains contemporains reprochaient aux Cathares de commettre dans leurs réunions nocturnes les mêmes crimes que les païens avaient imputés aux premiers chrétiens ('). La haine ou l'aveuglement a survécu au moyen-âge; aujourd'hui encore les zélés, pour excuser les persécutions qui souillent leur Église, représentent les hérésies comme une espèce de révolte contre la morale et la société (2). Après avoir brûlé les hérétiques, l'Église les calomnie dans le but de se justifier elle-même; mais pour se justifier, elle est obligée de falsifier l'histoire. Ses propres annales la condamnent. Demandez aux papes, demandez aux conciles du treizième siècle, quelles sont les causes qui provoquèrent les hérésies, ils vous répondront la corruption du clergé.

Innocent III écrit en 1204 : « Les hérétiques réussissent d'autant mieux à attirer les gens simples, qu'ils trouvent dans la vie des évêques des arguments plus dangereux contre l'Église. » Dans son discours au concile général de Latran, le grand pape répéta le même reproche en l'aggravant: il imputa la perte de la foi et la décadence de la religion à la corruption du clergé (3). La corruption du clergé était le cri de guerre de tous les hérétiques. Sur ce point, les plus orthodoxes des sectaires, les Vaudois, s'accordaient avec ceux que l'Église flétrit du nom de Manichéens. Tous rapportaient la cause de la corruption à l'ambition temporelle de Rome. Partageant l'erreur répandue par la papauté elle-même, ils maudissaient Sylvestre d'avoir accepté la prétendue donation de Constantin : « Depuis lors, disaient-ils, un pouvoir essentiellement spirituel,

(1) Schmidt, Histoire de la secte des Cathares ou Albigeois, T. II, p. 150-152. (2) Voyez mes Études sur la Papauté et l'Empire.

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s'est souillé de passions terrestres; la corruption s'est accrue, au point qu'on finit par croire dans l'Église de Rome le contraire de ce que croyaient ses fondateurs ; cette Église n'est plus qu'une maison où se débitent des faussetés et des impostures. Rome est la Babylone, la grande prostituée de l'Apocalypse. La Babylone païenne enivrait les peuples par son idolâtrie; la Babylone chrétienne enivre également les peuples par son culte matériel, par le luxe, la simonie et toutes les mauvaises passions du monde » ('). Voilà les accusations qui retentirent dans la chrétienté, quatre siècles avant Luther.

Ce fut la corruption du clergé qui poussa les sectaires à se séparer d'une Église dans laquelle ils ne trouvaient plus aucune garantie pour leur salut : « Le pouvoir des apôtres, disaient-ils, essentiellement spirituel, ne peut pas appartenir à une Église devenue toute séculière; les prêtres ne sont pas les disciples de JésusChrist, ils sont les successeurs des scribes et des pharisiens; leur foi est fausse et morte et leur vie les rend indignes du ministère chrétien. Par sa corruption l'Église a perdu la puissance que Jésus-Christ avait donnée à saint Pierre; les sacrements administrés par les prêtres sont inefficaces; coupables eux-mêmes, comment nous absoudraient-ils de nos péchés? »(2) De là l'opposition des hérétiques contre le catholicisme et leur retour au christianisme primitif. En ce point l'analogie entre les sectes du moyenâge et la réforme est évidente. Le langage des Vaudois est presque celui des protestants : ils disent comme eux que l'Église, loin de favoriser la perfection chrétienne, compromet le salut des fidèles par la déplorable facilité des pénitences et de l'absolution (3).

Cette réaction contre l'Église conduisit les hérétiques à un spiritualisme excessif. La corruption du clergé contre laquelle ils s'éle

(1) Schmidt, Histoire des Cathares, T. II, p. 105-107. - Gieseler, Kirchengeschichte, T. II, 2, § 88, note bb.— Neander, Geschichte der christlichen Kirche, T. V, 2, p. 842, s.

(2) Evervini Epistola ad S. Bernardum (D'Achery, Spicileg., T. IV, p. 474). — Schmidt, Histoire des Cathares, T. II, 140, s.

(3) La noble leçon, poëme vaudois, publié par Raynouard, Poésies des troubadours, T. II, p. 73-402.

vaient sans cesse, n'était autre chose que les sentiments et les vices du monde ; il fallait donc réprouver le monde. En conséquence, les Cathares enseignaient que la seule voie pour arriver à la perfection était de briser tout lien avec la société, de renoncer à ses amis et à sa famille, de quitter son père et sa mère, pour ne plus vivre qu'à Jésus-Christ. Devançant les ordres mendiants, les Cathares interdisaient aux parfaits toute possession de biens terrestres; ils appelaient ces biens une rouille de l'âme. De là la loi d'une pauvreté absolue, qu'ils justifiaient par l'exemple de Jésus-Christ et des apôtres; ils aimaient à se nommer les pauvres du Christ ('). Les Vaudois aussi se disaient les pauvres de Lyon; ils abandonnaient femme et enfants, patrimoine et domicile, pour ressembler à Celui qui ne savait où reposer sa tête : nus, ils suivaient le Christ nu (2). Les sentiments des hérétiques étaient au fond ceux des premiers chrétiens; aussi leur prétention était-elle d'imiter la vie des disciples du Christ. Waldus ouvrit sa carrière comme saint François. Ayant entendu lire les préceptes de l'Évangile sur le renoncement, il voulut suivre à la lettre les conseils de Jésus-Christ: il vendit ses biens et jeta l'argent dans la boue, pour témoigner son mépris du monde; puis il s'en alla, prêchant la parole de Dieu (3). La vie des hérétiques n'était pas indigne de leur haute ambition. Nous laissons de côté les Vaudois, dans lesquels les protestants veulent bien voir des précurseurs de la réforme; nous parlons des plus décriés parmi les sectaires, des malheureux Cathares ou Albigeois. Ceux-là mêmes qui les poursuivaient comme ennemis de Dieu, rendaient justice à la pureté de leurs mœurs, et proposaient leur piété en exemple aux fidèles de l'Église : « Les Cathares ne faisaient rien sans prière, et sans implorer la bénédiction de Dieu; la pâleur de leurs visages attestait l'ascétisme de leur régime. » Leur vie sévère et pure leur attirait des prosélytes; ceux qui comparaient les prêtres catholi

(4) Schmidt, Histoire des Cathares, T. II, p. 82.

(2) Yvonetus, dans Martene, Thesaurus, T. V, p. 1781. (Gieseler, Kirchengeschichte, T. II, 2, § 86, note e).

Gualter. Mapes

(3) Pilichdorf, contra Waldenses, c. 1 (Biblioth. Maxima Patrum, T. XXV, p. 278). Stephanus de Borbone, De septem donis Spiritus Sancti, Tit. 7, c. 31. (Gieseler, Kirchengeschichte, T. II, 2, § 86, note d).

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