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universelle impossible, sous la forme religieuse aussi bien que sous la forme politique. Pour atteindre ce but, elle a parfois outré le principe de la souveraineté individuelle et de la souveraineté nationale. Mais l'on ne doit pas considérer la révolution religieuse du seizième siècle comme l'état définitif de l'humanité; ce n'est qu'un pas dans la marche du genre humain, un passage plutôt qu'un établissement, la transition du catholicisme à la religion future. La religion de l'avenir conciliera la liberté de l'individu avec l'autorité de la société, l'indépendance des nations avec l'unité de l'humanité; elle sera tout ensemble protestante et catholique.

SII. Germes de la Réforme au moyen-âge.

No 1. Les témoins de la vérité.

La réforme est une révolution; or, toute révolution est l'expression violente d'idées, de sentiments, de besoins qui ont longtemps germé dans le sein d'un peuple ou de l'humanité, auxquels on a opposé des digues et que l'on a réprimés; mais quand les idées sont vraies et les besoins légitimes, la résistance, loin de les arrêter, leur donne une force nouvelle. Toute révolution a donc ses racines dans le passé. Ainsi cette immense révolution que l'on appelle le christianisme, a été préparée par l'antiquité tout entière; philosophes et prophètes, politiques et conquérants ont chacun apporté une pierre pour poser les fondements de l'édifice destiné à abriter le genre humain pendant des siècles. Ainsi la révolution tout aussi considérable à laquelle nous assistons comme acteurs et comme témoins, a eu ses précurseurs jusque dans la nuit du moyen-âge; les premiers serfs qui prononcèrent les mots de liberté et d'égalité, inaugurèrent le mouvement de 1789; un travail séculaire mûrit les idées; alors l'Assemblée Constituante n'eut plus qu'à formuler des vœux, à rédiger des principes, à organiser des institutions qui existaient déjà dans la conscience générale.

Telle est la loi des révolutions; il faut qu'elles soient longuement préparées, c'est à ce prix qu'elles réussissent. Conçoit-on qu'une

riche plantation s'élève là où il n'y a pas de semences jetées en terre, là où le sol n'est pas propre aux arbres qui y doivent grandir? Une révolution qui serait sans racines dans le passé, serait tout aussi impossible. Cependant, à en croire les catholiques, la réforme serait née sans parents; ils nient qu'avant le seizième siècle il y ait eu un désir d'une révolution religieuse : « La philosophie du moyen-âge, disent-ils, était essentiellement chrétienne et catholique; la littérature dans ses grands représentants était chrétienne; la renaissance même, malgré ses prédilections pour l'antiquité païenne, n'avait pas abandonné le catholicisme; quant à la réformation de l'Église demandée par les conciles du quinzième siècle, elle ne portait que sur des abus, et non sur les fondements de la foi; elle pouvait donc et elle devait se faire sans révolution, par les voies légales (1). » Dans cet ordre d'idées, la réforme date du seizième siècle : c'est un moine qui l'a provoquée. La réforme est donc une innovation; son acte de naissance est sa condamnation, car tout ce qui est nouveau dans l'Église est par cela même faux. Voilà ce que Bossuet ne cesse de dire aux protestants; et au point de vue chrétien, son argumentation serait irrésistible, si elle était aussi fondée en fait que le croyait l'illustre auteur des Variations.

Les protestants acceptaient le christianisme historique; leur prétention était de le rétablir dans sa pureté primitive. S'ils repoussaient l'Église et les institutions nées au moyen-âge, ils pouvaient hardiment en appeler à l'histoire et dire à l'Église qui les accusait d'innover, qu'elle-même s'était rendue coupable de ce crime, si crime il y avait. Mais la science historique ne faisait que de naître au seizième siècle, et puis les protestants étaient eux-mêmes imbus du préjugé catholique contre les nouveautés dans l'Église; comme eux, ils croyaient à une vérité immuable et ils ne voulaient à aucun prix passer pour des novateurs. De là les efforts qu'ils firent pour se créer une tradition; de là les ouvrages sur les témoins de la vérité : « L'Église, dit Flacius Illyricus, a partagé nos sentiments pendant près de trois siècles; elle ignorait les

(1) Moehler, dans la Theologische Quartalschrift, 1831, p. 589–633.

erreurs, les abus et la tyrannie de la papauté; lorsque les germes de ces abominations se répandirent, les principaux docteurs leur résistèrent; même alors que l'Antechrist de Rome fleurit, il y eut toujours des témoins de la vérité qui non-seulement refusèrent de plier les genoux devant l'idole, mais qui la combattirent par leurs paroles, leurs écrits et leur sang ('). » Quand on parcourt les témoignages de la vérité recueillis par les protestants, il est facile de voir qu'ils se sont placés sur un mauvais terrain. Pour prouver que la réforme n'est pas une innovation, ils cherchent à établir qu'elle est aussi ancienne que le christianisme; mais cette preuve est impossible, et Bossuet n'eut pas de peine à renverser un pareil échafaudage : «<Jusqu'à l'avènement des hérésies du onzième siècle, dit-il, on ne rencontre que des sentiments unanimes en faveur de la foi catholique. S'il y a quelques hommes isolés qui soutiennent telle ou telle erreur, ils sont réprouvés comme hérétiques; comment prétendre qu'un Vigilance ait conservé le dépôt, c'est-à-dire la succession de la doctrine apostolique, de préférence à saint Jérôme, qui a pour lui toute l'Église? Pour trouver des prédécesseurs de la réforme, il faut descendre jusqu'aux Vaudois et aux Albigeois; mais ceux-ci, n'ayant personne à montrer devant eux, sont coupables du même crime d'innovation dont on accuse les protestants: ce ne sont pas des témoins, ce sont des complices (2). »

En apparence Bossuet triomphe, mais il triomphe grâces aux préjugés chrétiens de ses adversaires. Non, la réforme n'est pas aussi ancienne que le christianisme; elle est une innovation. Sur ce terrain Bossuet est invincible; mais il ne prévoyait pas qu'un jour viendrait où loin d'être condamnée parce qu'elle est une nouveauté, la réforme serait glorifiée précisément parce qu'elle est une révolution. Oui, Luther et Calvin sont des révolutionnaires, et c'est là leur grandeur; mais Jésus-Christ aussi était un révolutionnaire et le plus grand de tous. L'innovation est légitime, quand elle réalise un besoin légitime: tel fut le christianisme, telle fut la réforme. Bossuet qui condamne du haut de sa catholicité et les réformateurs et leurs ancêtres, ne se doutait pas que le

(4) Catalogus Testium veritatis. Préface.

(2) Bossuet, Histoire des Variations, livre XI.

crime dont il accusait les protestants, était le crime de l'humanité, le crime de Dieu; c'est donc lui ou plutôt l'Église au nom de laquelle il parle qui est coupable, car ses prétentions à une vérité immuable sont en opposition avec la loi que Dieu a donnée aux hommes. L'humanité est en révolution permanente; l'innovation est une condition de son existence; du jour où elle serait immuable, elle périrait. Le catholicisme, en dépit de sa prétendue immutabilité, n'a pas échappé à une loi qui n'admet pas d'exception : le dogme catholique comme les institutions catholiques se sont développées progressivement, et ils se sont modifiés dans le cours des siècles. Voilà la réponse que le dix-neuvième siècle fait à l'auteur des Variations; il ne produit plus tel ou tel témoin de la vérité, l'histoire tout entière est témoin, et ce témoin, personne ne le récusera, car l'histoire est la manifestation des desseins de Dieu.

Il est vrai que l'histoire est un livre que les passions, les intérêts et les préjugés interprètent à leur façon. Mais avec le temps, les passions se calment, les intérêts se taisent, les préjugés font place à une vue plus claire de la vérité. Le siècle dans lequel nous écrivons a été si fécond en révolutions, que le mot d'innovation qui effrayait tant Bossuet, est entré dans nos idées et nos sentiments habituels; nous avons plutôt à nous garder d'un autre écueil, c'est d'applaudir aux révolutions par cela seul qu'elles sont des innovations, ou de mal juger le passé, par amour pour les nouveautés. Une étude un peu sérieuse de l'histoire met à l'abri de ce danger. La vie de l'humanité comme celle de l'individu étant une révolution incessante, il n'y a pour ainsi dire pas de révolution, en ce sens qu'il n'y a pas d'innovation absolue, sans racine dans le passé. Nous pouvons donc dire avec les protestants que la réforme a eu ses témoins. Comme la réforme éclate au début de l'ère moderne, cela suppose que le moyen-âge contenait les germes de la révolution religieuse du seizième siècle. Les catholiques disent que cette supposition est une chimère : le moyen-âge était une époque de foi; or, peut-on admettre que des générations, soumises à l'Église comme l'enfant l'est à sa mère, aient songé à une séparation, qu'elles aient conçu seulement l'ombre d'un doute sur la légitimité d'une autorité incontestée? Si nous écoutons les ennemis

de l'Église, les détracteurs du passé, l'impossibilité que le moyenâge ait préparé la réforme, paraît tout aussi grande. La réforme est un mouvement d'émancipation, de liberté, d'héroïsme; or, comprend-on que l'on cherche le principe de la vie dans une époque de mort intellectuelle et morale?

Ces deux appréciations du moyen-âge sont également fausses. L'idéal que les catholiques se font du passé n'a d'existence que dans leur imagination ou dans leurs désirs; il suffit de rétablir la réalité des faits pour dissiper le rêve d'un âge de croyance sans doute et d'une soumission sans examen. La lutte est inséparable de la vie; la vie a été puissante au moyen-âge, aussi la lutte n'a-t-elle pas cessé un jour. Au milieu de ces combats l'on aperçoit distinctement les signes avant-coureurs de la réforme; dans leur audace les libres penseurs du moyen-âge ont même dépassé les réformateurs; nous pouvons encore au dix-neuvième siècle les saluer comme les précurseurs de la philosophie et de la religion de l'avenir. C'est dire que les systèmes historiques qui déprécient le passé sont tout aussi faux que les apologies qui l'exaltent. Cependant un écrivain éminent s'est fait naguère l'organe de ces antipathies. Chose singulière, c'est un ardent admirateur du moyen-âge qui, changeant subitement de sentiment, a mis à le ravaler la même ardeur qu'il avait mise à le poétiser : « Du douzième au quinzième siècle, dit Mr Michelet, s'accomplit un mouvement rétrograde dans la religion, dans la littérature, la défaillance des caractères et des forces vives de l'âme. L'esprit humain subit dans cette période l'opération qu'Origène pratiqua sur lui. La révolution du seizième siècle rencontra une mort incroyable, un néant; partie de rien, elle fut le jet héroïque d'une immense volonté. » Qu'est-ce que la réforme dans cet ordre d'idées? Comment « dans ce grand désert où tous agonisent, y eut-il encore un homme?» Mr Michelet répond qu'il y a là un miracle qu'il ne comprend pas (1).

Il n'y a pas de miracle dans le développement de l'humanité, tout s'enchaîne comme la cause et l'effet; si les causes nous échap

(4) Michelet, la Renaissance, Introduction, p. ix, SS.

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