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RICHARD SIMON

ET

LA CRITIQUE BIBLIQUE AU XVII SIÈCLE 1

VIII

RICHARD SIMON POLÉMISTE

On serait tenté de croire que l'Histoire critique, supprimée par un arrêt sans considérant, ne pût paraître et se répandre en éditions subreptices 2 sans soulever, du côté des catholiques, nombre de réfutations motivées, mairtes critiques justificatives de la mesure radicale qui l'avait frappée. Il n'en fut rien cependant. Sans doute, on ne saurait oublier les quelques pages du Discours sur l'Histoire universelle qui ont trait à l'une des questions agitées par l'audacieux érudit; mais on a vu si elles pouvaient prétendre à résoudre des difficultés d'autant plus graves

1. Voir Revue I (1896), 1, 159; II (1897), 17, 223, 525; III (1898), 117; IV (1898), 338.

:

2. L'édition de la veuve Bilaine à peine supprimée et mise au pilon, trois éditions fort défectueuses sortirent coup sur coup des presses de D. Elsevier à Amsterdam, sous ce titre destiné à déjouer la surveillance de la douane Histoire de la religion des Juifs, par RABBI MOSÉS LÉVI. Une cinquième édition, plus correcte, parut à Rotterdam, chez M. Leers, en 1685, et, si elle ne fut pas expressément avouée par R. Simon, c'est toujours à ce texte qu'il se référa depuis. Elle fut contrefaite l'année même à Amsterdam, puis réimprimée par Leers, avec une pièce nouvelle, la Réponse de Pierre Ambrun, ministre du S. Evangile, à l'Histoire Critique. Inutile de remarquer que le ministre, pseudonyme de R. Simon, ne fait d'objections au nouvel ouvrage que pour en rendre l'orthodoxie plus manifeste.

y

qu'elles étaient manifestement inaperçues. Il est vrai qu'elles réservaient la surprise assez piquante d'entendre Bossuet accepter en définitive et s'approprier la thèse qu'il allait naguère de tout le christianisme de combattre et d'anéantir1. On pourrait encore mentionner l'examen sommaire que fit du nouveau livre l'érudit janséniste, Ellies du Pin, et le libelle qu'écrivit contre le P. Simon l'oratorien Michel Le Vassor, peu de temps avant de quitter sa congrégation et de passer au protestantisme 2; mais qui ne sent le tort que feraient plutôt à la cause de Bossuet des partisans si rares et si mal armés? Et, à voir cette indifférence générale sur un point de telle importance, qui ne semble reconnaître qu'en ces matières la science ecclésiastique a désormais affaire à des générations nouvelles, et que, d'ores et déjà, le xvi° siècle est commencé? La seule justification, mais la plus décisive qui soit venue appuyer la mesure théologique de Bossuet, ce fut, en somme, la Sacrée Congrégation de l'Index qui la lui fournit par un décret du 9 février 1683 3; elle donna gain de cause à Bossuet en condamnant l'ouvrage, comme elle avait condamné naguère le livre où André Maes contestait l'attribution du Pentateuque à Moïse ".

Du côté des protestants, au contraire, l'Histoire critique fut le point de départ d'un vaste mouvement de recherches

1. V. Revue, 2° année, p. 542 sq.

2. ELLIES DU PIN, Nouvelle bibliothèque des Auteurs Ecclésiastiques, t. I; MICHEL LE VASSOR, De la Véritable Religion, p. 159.

3. On n'ignore pas que les décrets de ce genre n'étaient pas alors considérés comme ayant force de loi en France, et nous ne sachions pas que R. Simon ait fait nulle part mention de la mesure dont son livre avait été l'objet.

4. A. MASII Commentarii in Josue. « On ne peut, dit R. Simon, donner trop de louanges à Masius, à cause de cet excellent ouvrage ; mais cela n'empêcha pas qu'il n'eût des envieux qui le décrièrent et qui firent tant par leur médisance et leurs calomnies que son livre fut mis à l'Index » (H. C. III, 15).

et d'études; plus de quarante réfutations se succédèrent pendant l'espace de quelques années, et l'on vit les plus illustres savants de la Réforme entrer en lice contre l'érudit oratorien. Que cette ardente discussion ait profité au développement des études exégétiques dans les églises dissidentes, c'est ce qu'il est à peine besoin de remarquer. Mais on ne saurait omettre de l'ajouter sans injustice si, comme on l'a dit parfois, l'exégèse, à partir de R. Simon, est devenue science protestante, c'est contre lui que s'est produit ce mouvement. Si même l'étude des Livres saints a longtemps passé, parmi bon nombre d'esprits, pour signe avéré d'émancipation religieuse et marque non équivoque d'hétérodoxie, il n'a pas tenu à lui qu'il en allât tout

autrement.

déploiement d'érudite activité, R. Simon répondit par une activité plus merveilleuse encore. Pendant onze ans qu'il passa à défendre tous les points litigieux, et, si l'on peut dire, toutes les positions avancées de son grand ouvrage, ce fut de sa part comme un feu roulant de justifications et de ripostes, de répliques et de dupliques qui ne font pas seulement admirer la profondeur de ses études et de ses préparations antérieures. On s'est souvent étonné de son goût passionné pour la polémique : c'est tout simplement qu'il en avait le génie. Dialectique incisive et déconcertante, fertilité inépuisable d'expédients et de ressources, souplesse unique de déguisement et fécondité toujours amusante d'imagination jusque dans les épines de la discussion la plus âpre, il n'a rien à envier à l'habileté si vantée des philosophes polémistes du siècle suivant. Ce ne sont pas seulement, en effet, des noms nouveaux qu'il sait prendre; ce sont des rôles étrangers qu'il excelle à jouer, et les Jérôme de Sainte-Foi, ou les Le Camus, les rabbins d'Amsterdam ou les théologiens de Sorbonne, qu'il fait parler tour à tour, seraient des masques moins curieux s'ils différaient moins complète

ment de leur ingénieux metteur en scène. Faut-il, avec Bernus, le biographe de R. Simon, voir là une simple manœuvre de polémique destinée à faire croire au public que l'auteur avait l'appui de nombreux amis et que la Sorbonne elle-même comptait plus d'un partisan du nouveau livre? L'exégète savait trop bien qu'on ne pouvait s'y tromper s'il se choisissait un peu partout des auxiliaires fictifs, ce n'était pas pour leur faire l'honneur de les ranger dans son parti, c'était pour présenter tous les aspects. du problème avec une liberté d'esprit et une facilité de dédoublement qui sont le cachet du vrai critique. Pour une fois qu'il s'approuve en effet et se loue, dix fois il se juge, se discute lui-même et souvent se blâme, à moins qu'il n'hésite plaisamment pour décider jusqu'à quel point il se donnera raison. Rarement l'esprit critique se montra plus impartial, plus désintéressé, et comme on dit aujourd'hui plus objectif; plus rarement encore il réussit à faire d'une pure controverse d'érudition une plus divertissante comédie. Il n'y manquait, pour se faire applaudir du grand public et n'être pas seulement un régal de haut goût à l'usage d'une élite, que d'avoir des dessous moins solides et des préparations moins savantes. Les divers actes du moins n'en sauraient être plus variés : dispute érudite avec Vossius, augmentation dogmatique avec Spanheim, discussion confessionnelle avec Jurieu, ce ne sont que les formes les plus caractéristiques de cette longue controverse. Elles suffiront à montrer quel rare talent de polémiste ont fait trop souvent oublier les doctes et pénétrantes investigations de la critique simonienne 1.

1. La liste des adversaires auxquels R. Simon n'a pas répondu est dans BERNUS, Notice bibliographique sur R. Simon. Il faut y joindre Paul Colomies, bibliothécaire de l'archevêque de Cantorbéry, dont la Lettre à Justel touchant l'origine du Pentateuque n'a pas reçu de réponse particulière.

I

Les érudits furent rarement tenus en moindre estime auprès des gens du monde qu'au temps de R. Simon. Leurs livres de furie » faisaient peur à Mme de Sévigné, et Bayle redoutait tout en les plaisantant les « entremangeries » doctorales. Le fait est qu'en regard des habitudes des honnêtes gens, rien ne forme un plus étrange contraste que les mœurs des savants de profession. Dans une société où fleurit la plus exquise et la plus délicate urbanité, la polémique érudite garde encore toute l'âpreté, toute la virulence du xvi° siècle. Ils ont beau fréquenter chez les La Fayette et les Sablé; tous ces doctes n'en sont pas moins de la lignée pédantesque et injurieuse des Scaliger et des Garasse. En vain même les voit-on se mêler au monde des précieuses, s'y frotter de politesse, y prendre leçon d'agrément; sur le ton uni et décent des conversations mondaines, il n'en est pas un qui ne fasse détonner le fausset criard et colérique d'un élève de Juste-Lipse, d'un émule de Scioppius. Beaux esprits raffinés comme Bouhours ou lettrés consommés comme Ménage, érudits universels comme Saumaise ou profonds théologiens comme Petau, tous paient leur tribut à la rhétorique outrageuse de l'antique érudition. Le moyen aussi, quand on est si occupé du passé, de ne pas retarder sur le présent, et lorsqu'on est si épris des choses d'autrefois, de n'en pas garder encore le costume, si démodé, si hétéroclite qu'il puisse paraître au vulgaire profane?

Que R. Simon se soit, dans l'une au moins de ses polémiques, ressenti de sa profession de savant, et qu'il ait dans certains de ses écrits parlé la langue quelque peu attardée de ses pairs, c'est ce qui ne surprendra personne. On en sera moins étonné encore, si l'on songe à quel contradicteur il avait affaire. De tous les érudits, en effet, qui

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