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qu'il entend subsister. Toutefois la conception plus spirituelle des contemporains de l'exil, que les luttes des temps postérieurs ont reléguée au second plan, ne laisse pas de se maintenir par les livres où elle a été consignée et qui subsistent pour la consolation des âmes pieuses. La description du Serviteur de Iahvé, plus profondément religieuse et morale que le tableau ecclésiastique d'Ézéchiel, montre le règne de Dieu s'établissant dans le monde par l'effet des souffrances et de la mort d'un juste qui a mérité le salut pour ses frères, et pour lui-même une gloire éternelle. Cette page unique dans la Bible ne pouvait produire sur le commun des esprits un effet sensible; mais elle exerçait une action latente sur les meilleures âmes, et c'est à elle que se rattache directement l'Évangile. Telle qu'elle est conçue, elle n'aurait jamais. pu être écrite que vers la fin de la captivité. Mais, inspirée par le sentiment religieux le plus pur, elle a donné ou préparé la formule durable de la religion universelle et le programme de son institution. La synthèse qui se fait dans le messianisme chrétien est dominée par cette conception, qu'elle réalise en l'élargissant. L'élément eschatologique et apocalyptique ne laisse pas de se maintenir, mais il ne serait pas difficile de montrer qu'il a été de plus en plus absorbé, dans la tradition ecclésiastique et jusqu'à nos jours, par l'élément religieux et moral.

C'est ce dernier élément, très différent de l'idéal de justice sociale où Renan a pensé reconnaître l'essence du judaïsme et du christianisme, qui a communiqué à l'espérance messianique une vigueur impérissable. En lisant l'Histoire du peuple d'Israël, on croirait que le messianisme a réussi par une simple accumulation de hasards dont un seul, manquant, aurait compromis à jamais l'avenir de la religion. « Le moment de Sennacherib, nous dit-on, fut

1. Is., XLII, 1-4; XLIX, 1-6; L, 4-9; LII, 13-LUI, 12.

comme celui d'Antiochus Épiphane, comme celui du retour de la captivité, un de ces moments où l'avenir de l'humanité se joua sur un coup de dés. Isaïe avait en quelque sorte engagé son enjeu sur un fait tangible, la délivrance de Jérusalem. Il avait parié, et il gagna son pari. Si Sennacherib fût revenu vainqueur de l'Égypte et eût pris Jérusalem, le judaïsme et par conséquent le christianisme n'existeraient pas 1. » De tels raisonnements ont toujours un caractère spécieux, puisqu'on les appuie sur des faits réels et qui ne peuvent être supprimés en hypothèse sans que l'enchaînement historique des causes et des effets apparaisse bouleversé; mais ils ne sont jamais concluants, parce que, si l'on fait abstraction de la réalité, il est impossible de dire ce qui, les circonstances n'étant plus les mêmes, serait arrivé ou non. Certes, tout se tient dans l'histoire, et l'évolution religieuse de l'humanité ne s'est pas poursuivie indépendamment de tout le reste. Mais, à considérer cette évolution dans son ensemble, il est évident que le succès final n'a jamais été à la merci d'un accident particulier. A côté des accidents favorables d'où l'on fait dépendre toute la fortune de la religion israélite, il en est d'autres funestes qui auraient dû en procurer la ruine totale et qui en ont, au contraire, accéléré le progrès. Ne pourrait-on pas dire aussi que le iahvéisme prophétique mit tout son enjeu sur une seule chance, le Deuteronome présenté à Josias comme gage infaillible de salut, et que la malheureuse fin du pieux roi était la banqueroute de toutes les promesses?? Jérémie cependant n'en fut pas déconcerté. L'espérance d'Israël survécut à cette catastrophe; elle survécut à la ruine du premier temple,

1. III, 113.

2. Renan s'abstient de souligner cette épreuve capitale de la foi iahvéiste et se demande simplement (III, 262) comment les «< piétistes purent expliquer « la mort prématurée et imméritée de ce prince accompli selon lahvé ».

que l'on avait tant de raisons de croire intangible '; elle survécut à l'état misérable où languit pendant quelque temps la communauté juive de Jérusalem après le retour de la captivité 2; elle survécut à la mort de Judas Machabée, qui ne fut pas enseveli dans son triomphe mais bien dans une défaite qui aurait dû paraître irrémédiable 3. Et pourquoi ne pas ajouter qu'elle survécut à la mort de Jésus, qui, vu l'état d'esprit de ses disciples, aurait dû être la fin de tout pour ceux qui l'avaient suivi? Après chacune de ses épreuves, la foi se relève plus vivante et plus ferme, plus pure aussi et plus large dans l'idéal qui lui refait une espérance. Il y a là autre chose qu'une série de hasards heureux, de coups de dés qui réussissent au lieu de manquer, il y a une force mystérieuse, cachée dans une idée qui marche et qui se réalise en marchant, que les obstacles excitent au lieu de la retarder, qui profite plus de ses déconvenues apparentes que de ses succès. Un observateur facétieux peut nombrer les illusions qui sont tombées sans qu'on y fit seulement attention, à chaque tournant du chemin, et se persuader, par des syllogismes très subtils, que la foi des générations repose sur la masse de ces illusions qu'elle a laissées derrière elle et qu'elle ne connaît plus. Il faut bien que sa force ait été ailleurs, c'est-à-dire en elle-même, dans l'esprit invisible qui la poussait en avant, même et surtout quand les événements paraissaient devoir l'accabler. Par ce côté encore la religion juive jusqu'à l'avènement du christianisme, et le christianisme depuis Jésus offrent un exemple unique. Toute leur his

1. Cf. Is., viii, 18; xxx1, 5-9. Jérémie (vII, 10 et suiv.), faisant entrevoir que le temple de Jérusalem aurait le même sort que celui de Silo, scandalisait ses contemporains; on l'excuse sur ce que sa prédiction est conditionnelle (Jér. xxvi), comme elle l'était en effet, même dans l'esprit du prophète.

2. « La misère, en ces premiers temps du retour, dut être horrible. » IV, 4.

3. Cf. I Mach., IX, 23-27.

toire est comme une perpétuelle répétition de celle des disciples d'Emmaüs, une série d'espérances trompées convoyant une espérance inébranlable: ce qu'on avait attendu n'est pas arrivé, mais on a entrevu comme dans un éclair le Sauveur qui doit venir, et l'on s'est remis en marche plus confiant qu'auparavant. Ce n'est rien, c'est l'humanité qui rêve, dit le rationaliste superficiel. C'est tout, dit la foi, car c'est Dieu qui vient. N'est-ce pas la foi qui a raison?

Neuilly-sur-Seine.

ALFRED LOISY.

HISTOIRE DE L'ANGELOLOGIE

DES TEMPS APOSTOLIQUES A LA FIN DU V SIÈCLE 1

Nous venons de voir ce qu'a été pendant les cinq premiers siècles la doctrine sur le diable et les démons. Il nous reste à parler des anges et à exposer les renseignements que nous donnent à leur sujet les Pères antérieurs. au Pseudo-Denys.

La première question qui qui se présente à nous est la question de l'origine du monde angélique. Cette question ne se posa guère qu'à partir d'Origène2. Jusqu'au milieu du ш siècle, on attribuait, comme nous l'avons dit, l'origine des démons au commerce qu'avaient eu les anges avec les femmes, à l'époque du déluge. On connaissait donc la date des démons. Quant aux anges et au diable, on se bornait à dire qu'ils avaient été créés par Dieu; on ne songeait pas à préciser le moment de leur création. Origène, on le sait, enseigna que les êtres spirituels entraient seuls dans le plan primitif; qu'à l'origine il n'y avait à exister que les anges, et que notre monde matériel fut créé pour servir de prison aux esprits coupables 3. Ce fut comme un horizon nouveau pour la théologie. L'ensemble du système origéniste fut de bonne heure abandonné, mais l'antériorité des anges par rapport au monde matériel resta longtemps comme une épave de la théorie

1. Deuxième article; voir Revue III (1898), 289. 2. NOVATIEN (De Trinitat., I, P. L., 3. 888) dit que les anges furent créés avant le firmament. Il ne dit rien de plus.

In Jo. Tom. XIX,

3. De principiis, II, 1, 1; II, 9, 2; III, 5, 5 5. La création du monde sensible est pour Origène une déchéance.

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