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qui venaient de s'écouler entre son élévation au pontificat et la réunion du concile, avait tout fait pour s'assurer le concours du clergé. Il ne s'était pas borné à nommer ou confirmer nombre d'archevêques ou d'évêques. Il avait prodigué à l'excès les privilèges, les dispenses, les faveurs, étendant ainsi, dans le but de se créer des partisans, les abus déjà si multipliés qui affligeaient l'Église 1.

Malgré tant de raisons qui devaient attacher le clergé à la cause du saint-siège, les prélats se rendirent au concile en moins grand nombre qu'on n'eût pu s'y attendre; et, bien que cette assemblée ait été qualifiée d'œcuménique par les historiens de l'Église, il est difficile de lui conserver une qualification qu'Innocent lui-même évita de lui donner2. Outre les patriarches de Constantinople, d'Antioche et d'Aquilée, on n'y comptait guère que cent quarante métropolitains ou évêques, avec les abbés et les délégués des chapitres, venus pour la plupart de France, d'Angleterre et d'Espagne. Encore les Espagnols étaient-ils les plus nombreux. L'Allemagne, si intéressée aux débats qui allaient s'ouvrir, n'était

1. Voy., pour ces divers privilèges, la curieuse et longue énumération qu'en a donnée M. Berger d'après les registres d'Innocent, t. II, Introd. p. XLI-XLVI, texte et notes.

2. Dans deux canons du concile de Latran de 1215, Innocent III qualifie expressément ce concile « d'universel » (sacro et universali concilio approbante, can. 2; sancla universali synodo suadente, can. 71 et dernier, relatif à la croisade). On ne trouve pas cette qualification dans les canons du concile de Lyon, et Innocent IV se contente de dire : « præsentis concilii approbatione sancimus », ou <«< ex communi concilii approbatione statuimus >>, ou encore «< sacro suadente concilio ». Il est vrai que, dans le décret rendu par Innocent IV à ce concile au sujet de la Terre sainte, on lit: « sancta universali synodo suadente»; mais il convient de remarquer que, sauf le préambule, ce long décret est la reproduction textuelle du décret d'Innocent III relatif au mème objet et que, dans le préambule qui seul appartient à Innocent IV, on lit seulement : « sacro approbante concilio ». Le pape avait sans doute intérêt à dire que ce concile était œcuménique, et l'on trouve en effet dans une lettre d'Innocent IV, (Hist. dipl. t. VI, p. 646-651) que Frédéric fut condamné par « l'Église universelle ». Mais cette lettre est du mois d'août 1248. Encore dans une autre lettre de même date (Ibid. t. VI, p. 644) se borne-t-il à de dire : « sacro approbante concilio ». Ces divergences prouvent tout au moins l'hésitation du pape à qualifier d'universelle une assemblée qu'on savait avoir été très peu nombreuse. Cf. ci-après, p. 102, note 2.

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représentée que par trois évêques, ceux de Liège, de Trieste et de Prague 1. D'Italie on ne vit arriver, avec les métropolitains de Milan et de Pise, que les évêques de Lucques, de Modène, d'Ancône et de Carinola; et, à l'exception des archevêques de Bari et de Palerme, dont le dernier se présentait comme mandataire de l'empereur, aucun prélat ne vint du royaume de Sicile 2. La crainte de s'attirer le ressentiment de Frédéric avait sans doute pu retenir les évèques de ces contrées, d'autant que, dans le même moment, l'habile monarque présidait à Vérone une diète à laquelle il avait convoqué les princes ecclésiastiques et séculiers de l'Empire 3. D'un autre côté, certains prélats, tels que les archevêques de Mayence et de Cologne, étaient restés en Allemagne, avec l'approbation du pape, pour y fomenter l'agitation contre l'empereur. Mais, même abstraction faite de l'Italie et de l'Allemage, le petit nombre d'évêques qui s'étaient rendus au concile attestait que le clergé en Europe était divisé sur les vues qui animaient la cour de Rome. En Angleterre, beaucoup d'évêques et d'abbés, alléguant leur âge ou leurs infirmités, s'étaient fait excuser 5. En France, s'était passé un incident qui dénotait également plus d'une hésitation. Un mois avant la réunion du concile, Innocent avait ordonné de publier de nouveau la sentence d'excommunication portée contre Frédéric. Un curé d'une des paroisses de Paris, s'adressant, un jour de fète solennelle, aux fidèles qui remplissaient l'église : « J'ai

1. La plupart des historiens ont cru qu'Innocent n'avait pas adressé au clergé d'Allemagne des lettres de convocation. Le fait est que ces lettres ne figurent pas sur les registres du pape. Mais cette absence ne prouve pas qu'il n'y ait pas eu convocation.

2. Voy. E. Berger, Reg. d'Innoc. IV, t. II, Introd. p. LXXXII-XC. 3. Juin 1245. Rolandin. Murat. rer. ital. t. VIII, p. 243.

4. Les archevêques de Mayence et de Cologne, venus à Lyon au début de l'année 1245, regagnèrent leurs provinces aussitôt que le pape eut renouvelé l'excommunication contre Frédéric, ce qu'il fit le jeudi saint, 13 avril. « Statim ad sva reversi sunt archiepiscopi memorati et per totam Teutoniam quæcunque poterant mala imperatori tractare modis omnibus conabantur, temptantes etiam ubique ubi regem super eum possent invenire. » Annal. Worm.

5. Matth. Paris. t. IV, p. 413, 414.

reçu l'ordre, dit-il, de dénoncer comme excommunié l'empereur Frédéric. Je ne connais pas la véritable cause qui a motivé cette sentence; je sais seulement qu'il y a un grave différend entre le pape et lui. J'ignore d'ailleurs lequel des deux a tort ou raison; mais, autant que j'en ai le pouvoir, j'excommunie celui qui a tort et j'absous l'autre. » Ces mots, dans lesquels, ajoute le chroniqueur, on reconnaissait l'esprit railleur des Français, furent rapportés au pontife, qui infligea au curé une sévère punition 1. On se refuse à croire qu'un ecclésiastique d'ordre inférieur ait prononcé publiquement des paroles aussi hardies, et l'anecdote, qui parvint jusqu'en Angleterre, a été probablement amplifiée; elle n'en est pas moins à recueillir comme une indication de l'état des esprits.

Le concile s'ouvrit à la date fixée, le 28 juin, dans l'église métropolitaine de Saint-Jean 2. Les rois de France et d'Angleterre s'étaient fait représenter par des ambassadeurs. Frédéric avait envoyé, avec l'archevêque de Palerme, deux légistes, dont l'un se nommait Thaddée de Suessa. L'assemblée ne tint en tout que trois sessions. D'après les lettres de convocation, le recouvrement de la Terre sainte, les secours à donner à l'Empire latin de Constantinople ou, comme on disait, à l'Empire de Romanie, qui était alors en péril, et l'expulsion des Tartares, étaient autant de questions qui devaient y être traitées; Innocent ne mentionnait qu'en dernier lieu sa querelle avec Frédéric. Les Tartares ne semblaient plus à craindre, et le pape ne prit à cet égard aucune mesure positive 3. Rappelés par une révolution qui s'était produite sur les confins de la Chine, ils étaient retournés dans leurs steppes, étonnant l'Europe par leur fuite comme ils l'avaient étonnée au début par leur apparition. Quant à l'Empire de Romanie, où régnait le faible Baudouin II et qui, à la suite de ré

1. Matth. Paris. t. IV, p. 406, 407.

2. Pour les actes de ce concile, voy. Héfélé, Concil. t. VIII, p. 353-383. Can. 16.

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centes conquêtes de l'empereur grec Vatacès, ne comprenait plus, avec Constantinople, que quelques territoires, Innocent se contenta d'ordonner que, pour aider à sa défense, tous les bénéficiers non résidants, à l'exception de ceux qui étaient au service de la cour pontificale, fourniraient durant trois ans la moitié de leurs revenus 1. C'était avouer implicitement combien cet abus, déjà ancien, du défaut de résidence s'était accru dans l'Église. La situation de la Terre sainte appelait plus particulièrement la sollicitude du pontife. L'année précédente, Jérusalem était tombée au pouvoir des Turcs Kharismiens, qui, après avoir massacré les habitants et profané le tombeau du Sauveur, avaient écrasé une armée chrétienne accourue de Saint-Jean d'Acre au secours de la ville sainte. Dans cette désastreuse journée, une foule de barons, plusieurs évêques et les deux grands maîtres des Templiers et des Hospitaliers avaient été tués ou faits prisonniers2. La Palestine semblait à jamais perdue pour les chrétiens, si les fidèles d'Europe ne s'unissaient dans un énergique et suprême effort. Innocent publia en effet un décret par lequel il enjoignait aux évèques de prêcher la croisade, obligeait le clergé, sous peine d'excommunication, à payer, durant trois ans, le vingtième de ses revenus, et renouvelait la plupart des dispositions du décret rendu à ce sujet en 1215; mais, se bornant à décider en principe la guerre contre les Infidèles, il • se réserva d'indiquer ultérieurement la date et le lieu où se réuniraient les croisés 3.

Pour tout dire, les dissentiments entre le saint-siège et l'Empire occupèrent presque uniquement l'assemblée. Frédéric, par de nouvelles propositions, avait tenté une dernière fois d'apaiser Innocent. Par l'organe de Thaddée de Suessa, il avait offert au pape, l'avant-veille du concile, de restituer sans conditions les domaines réclamés par le saint-siège, de consacrer ses forces à la délivrance de la Terre sainte, et, en se

1. Can. 14.

2. Le Nain de Tillemont, Vie de S. Louis, t. III, p. 33-43. 3. Can. 17.

servant de son alliance avec l'empereur Vatacès, à qui il avait donné depuis peu l'une de ses filles en mariage, de ramener les Grecs à l'obédience de Rome. Mais Innocent, qui avait convoqué un concile moins pour juger Frédéric que pour le condamner', avait repoussé des propositions de la sincérité desquelles, à vrai dire, il avait lieu de douter. Dès la première session, il s'étendit longuement sur la conduite du monarque, lui reprochant, comme autant de crimes, ses rapports avec les Sarrazins de Lucéra, son mépris de la religion et l'oubli de ses serments. Il montra les écrits par lesquels Frédéric avait pris l'engagement de respecter les droits et les possessions de l'Église romaine, engagement si souvent réitéré et dont la violation audacieuse exigeait un châtiment. Toutefois, à la deuxième session, on put constater que les intentions du pontife ne rencontraient pas dans l'assemblée une entière adhésion. Les ambassadeurs de France et d'Angleterre demandèrent que l'empereur fût invité à venir lui-même présenter sa défense ou à envoyer de nouveaux fondés de pouvoir, et ils apportèrent une telle insistance à leur requête, que le pape dut reculer la date de la troisième session où il comptait signifier sa sentence. Quant aux prélats, s'ils ne montrèrent pas des dispositions contraires aux desseins d'Innocent, ils s'abstinrent du moins d'appeler sur Frédéric les rigueurs apostoliques. L'évêque de Carinola, chassé de son diocèse par le monarque, et, avec lui, quelques prélats espagnols qu'irritait le souvenir de l'attaque de Meloria, élevèrent seuls la voix pour accuser l'empereur. Enfin, le 17 juillet, à la troisième session, et sans vouloir attendre l'arrivée des fondés de pouvoir de Frédéric qui n'étaient qu'à trois jours de Lyon, Innocent rendit sa sentence. Vainement Thaddée de Suessa s'écria qu'il en appelait au futur pape et à un concile plus général 2. Le pontife, après avoir énuméré tous les actes de

1. Ceci résulte manifestement de la conduite d'Innocent et en particulier des rapports de ce pape, avant le concile, avec le landgrave de Thuringe et avec les archevêques de Mayence et de Cologne.

2. Au lieu de répondre à Thaddée de Suessa que le concile était général,

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