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Frédéric tentait de soulever à Rome une sédition contre le pontife1. Innocent, de son côté, se mettait en rapport avec le landgrave de Thuringe, Henri Raspon, gagné secrètement à la cause du saint-siège, et reprenait par son entremise les menées de Grégoire IX en Allemagne 2. Peu après, il renforçait le sacré collège, réduit alors à sept membres, par une promotion de douze cardinaux 3. Toutefois, de même que Grégoire, il avait compris que le plus sûr moyen de triompher de Frédéric était de tourner contre lui l'Église universelle en convoquant un concile général. Mais, plus avisé que son devancier, il sentit que la cour pontificale devait, avant tout, se placer hors des atteintes de son ennemi, et il résolut de s'éloigner de l'Italie. Le centre de la péninsule étant gardé par les impériaux, une seule voie, celle de la mer, restait ouverte. Un frère mineur, dépêché à Gênes, obtint du podestat que des galères fussent envoyées à Civita-Vecchia. Innocent, ayant quitté Rome sous prétexte de mieux suivre les négociations dans le voisinage de l'empereur qui se trouvait en ce moment à Terni, s'était arrêté à Civita-Castellana. Averti de l'arrivée de l'escadre, il se rendit à Sutri, en partit la nuit, caché sous l'armure d'un chevalier, gagna en hâte Civita-Vecchia, et, s'embarquant avec quelques cardinaux sur les galères qui l'attendaient, atteignit, après plusieurs jours de traversée, la ville dévouée de Gènes, d'où il s'apprêta à passer les Alpes.

Cette fuite déjouait tous les calculs de Frédéric, qui es

1. Voir une lettre d'avril 1244 adressée par Frédéric au pape et par la quelle il cherche à se justifier à ce sujet. Hist. dipl. t. VI, p. 186. Cf. une lettre d'un cardinal à Frédéric, Ibid. p. 184.

2. Sane ut devotionis affectum quem erga romanam Ecclesiam habere diceris exhibeas laudabiliter in effectu, expedit ut negotium fidei per te laudabiliter inchoatum promptius exequaris, ut exinde uberior tibi crescat cumulus meritorum et apostolicam sedem ad incrementum tui nominis et honoris fortius habeas obligatam. » 30 avril 1244. Ibid. p. 189.

3. Le 28 mai 1244. Nic. de Curbio, Vita Innoc. IV, c. 12. Cf. Ciacon. Vitæ pontif. et card.

4. Nic. de Curbio, c. 13, 14 Matth. Paris. t. IV, p. 353-356. Hist. dipl. t. VI, p. 221. Innocent entra dans Gênes le 7 juillet 1244.

saya vainement, par de nouvelles propositions de paix, de retenir le pape sur la terre italienne'. Innocent avait d'abord pensé à se retirer en France, et il fit demander à Louis IX de le recevoir en son royaume, comme jadis son aïeul Louis VII y avait reçu Alexandre III fuyant devant Barberousse. Mais il put constater combien, depuis cette époque, s'étaient modifiés les sentiments des souverains à l'égard de la cour de Rome. Le roi répondit « qu'il était prêt à protéger l'Église, autant qu'il le pourrait faire avec honnêteté, contre les attaques injustes de l'empereur, et à offrir un asile en ses États au pontife exilé, mais qu'il devait préalablement consulter ses barons. » C'était un refus; car Louis IX n'ignorait pas que les nobles de France étaient assez mal disposés pour le saint-siège 2. Il n'entendait pas d'ailleurs, par prudence non moins que par impartialité, s'écarter de la neutralité qu'il avait observée jusqu'ici dans le conflit entre le pape et l'empereur. Une démarche analogue faite par Innocent auprès du roi d'Aragon n'eut pas un meilleur résultat. Quelques cardinaux écrivirent alors au roi d'Angleterre, Henri III, et lui insinuèrent de demander lui-même au pape de choisir l'Angleterre comme lieu de sa résidence. « Ce serait la première fois, disaient-ils, que ce royaume aurait le singulier honneur de recevoir le chef de l'Église. Nous savons au reste que le saint Père verrait volontiers les beautés de l'église de Westminster et les richesses de Londres. » Mais les conseillers de ce prince le dissuadèrent de se prêter à ce projet, en lui remontrant que le royaume était déjà assez appauvri par les exactions des Romains, sans que le pape vînt encore par sa présence l'appauvrir davantage 3.

1. Caffar. Annal. Genuens. Cf. une lettre de Frédéric à certains cardinaux, août 1244, Hist. dipl. t. VI, p. 222. 2. Matth. Paris. t. IV, p. 391-393. - Matth. Westmonast. Flor. histor. Voy. pour les détails Le Nain de Tillemont, Vie de S. Louis, t. III, p. 54-57. Voir aussi les remarques de M. Berger dans son Introd. aux registres d'Innocent IV, t. II, p. xVII-XIX.

3. La proximité de l'Aragon rend assez vraisemblable le projet attribué par Matthieu Paris à Innocent de se retirer en ce royaume. Le doute est

Repoussé de ces divers côtés, Innocent résolut de se retirer à Lyon. Cette ville, qui appartenait de droit à l'Empire, mais s'en trouvait détachée de fait, avait son archevêque pour prince et, par sa situation entre la France, l'Allemagne et l'Italie, semblait un lieu favorable à la réunion du concile. Le pape, à peine relevé d'une maladie qui le retint trois mois dans un couvent des Apennins, s'achemina vers les Alpes. Rejoint à Suse par ceux des cardinaux qui ne l'avaient pas suivi dans sa fuite, et protégé par une escorte que lui avait fournie Amédée, comte de Savoie, il traversa le mont Cenis, descendit la vallée de l'Arc et, s'embarquant peu après sur le Rhône, fit son entrée à Lyon le 2 décembre 1244 1. Les habitants de cette cité le reçurent avec la déférence due au chef de la catholicité. Mais ils ne tardèrent pas à s'apercevoir que ce n'était pas tout honneur que de donner asile à la cour pontificale. Pour subvenir aux besoins et entretenir le faste de cette cour trop nombreuse, non seulement l'église de Lyon, mais les églises de France et d'Angleterre furent mises à contribution. A ne parler que de la France, il n'y eut pas, dit un contemporain, un seul évêque ou abbé qui ne se crût obligé de faire au pontife quelque présent. L'abbé de Cluny envoya, outre des sommes considérables, quatre-vingts palefrois pour les écuries du pape, une haquenée et un cheval de bât pour chaque cardinal. L'abbé de Saint-Denis et l'archevêque de Rouen ne se montrèrent pas moins généreux. Il est vrai qu'en retour de ces dons, l'abbé de Cluny obtint l'évêché de Langres et l'abbé de Saint-Denis l'archevêché de Rouen, dont le titulaire devint membre du sacré collège et

plus admissible en ce qui concerne l'Angleterre. Néanmoins nous ne croyons pas qu'on puisse rejeter sur ce point l'assertion de Matthieu Paris, très informé des affaires de son pays et qui donne le texte mème de la lettre des cardinaux. Il convient en outre de remarquer que le roi d'Angleterre, comme le roi d'Aragon, était vassal du saint-siège. Ajoutons que Matthieu Paris, à un autre endroit de sa chronique, insiste particulièrement sur le triple refus essuyé par le pontife.

1. Barthol. scribæ Annal. - Nic. de Curbio, c. 15.

évêque d'Albano1. Une faveur moins justifiée fut accordée au frère du comte Amédée de Savoie, Philippe, seigneur assez mal famé, qui commandait les hommes d'armes chargés de garder le concile et la personne du pape. Le vieil archevêque de Lyon, Aymeri, homme pieux et d'humeur pacifique, qui voyait son église menacée d'une ruine presque certaine par les exigences du saint-siège, ayant résigné sa dignité pour s'enfermer dans un couvent 2, Philippe de Savoie fut nommé à sa place. Par une de ces étranges licences qui commençaient alors à devenir en usage dans l'Église, ce seigneur était déjà évêque élu de Valence, bien qu'il n'eût pas reçu les ordres sacrés3. Innocent, qui avait besoin de son assistance, lui permit de cumuler, dans les mêmes conditions, les revenus de ces deux sièges; et, pendant vingt-deux ans, sous quatre papes successifs, Philippe resta archevêque titulaire de Lyon sans être prêtre, jusqu'à ce qu'un pontife moins complaisant mît fin à ce scandale 4.

1. Matth. Paris. t. IV, p. 412, 416, 428. Cf. Matth. Westmonast. Au dire de Matthieu Paris, ibid. p. 427, 429, 430, le pape, pour obtenir de l'argent des prélats, se plaignait fréquemment de l'état de pauvreté où était réduite l'Église romaine et des dettes dont elle était chargée. Le fait est qu'Innocent, qui avait besoin de ressources pour subvenir aux frais de la lutte contre l'empereur, était alors privé de ses revenus d'Italie. Son départ de la péninsule parait même avoir été motivé en partie par l'impossibilité où il se trouvait de recevoir à Rome les secours pécuniaires de l'Occident (Matth. Paris. p. 354, 394). Quant aux dettes qui chargeaient l'Église romaine, on n'en saurait douter. Frédéric, dans le cours de ses négociations avec le pape, avait offert 30.000 marcs d'argent « pro debitis Ecclesiæ persolvendis (Hist. dipl. t. VI, p. 206); » et Innocent, lors de son avénement, avait eu à subir les violentes réclamations des créanciers de Grégoire IX (Nic. de Curbio, c. 7). Malgré cette situation, la cour pontificale ne laissait pas de déployer un faste qui a été remarqué par la plupart des chroniqueurs. Au reste, le luxe des évêques et des abbés n'était pas moindre. Voy. à ce sujet les citations de M. Berger, loc. cit. p. LXI, LXXVI, LXXVII. 2. Le Nain de Tillemont, Vie de S. Louis, t. III, p. 52-54. 3. Il était en outre prévôt de Bruges et doyen de Vienne.

4. Lettre de Clément IV, 5 mai 1267, Potthast, Reg. pontif. no 19998. Indépendamment du comte Amédée, ce Philippe eut d'autres frères, qui furent élevés, dans des conditions analogues, à de hautes dignités ecclésiastiques, et dont les mœurs étaient plus militaires que sacerdotales. Sur cette famille de Savoie, qui futalors un déshonneur pour l'Église, voir E. Berger, ibid. p. LXIX-LXXVI; voir aussi l'ouvrage de l'abbé J. Chevalier, Quarante années de l'histoire des évêques de Valence au moyen âge, in-8o, 1889.

Dès son arrivée à Lyon, Innocent avait envoyé des lettres de convocation pour le concile général. Il en avait fixé la date à la Saint-Jean-Baptiste de l'année 1245. A ce moment, la situation de Frédéric n'était plus aussi favorable. En Allemagne, où il n'avait pas reparu depuis bientôt huit ans1, la fidélité de plus d'un prince commençait à s'ébranler. Bien que la mort de Grégoire y eût interrompu les menées du saintsiège, les efforts persistants de ce pontife n'avaient pas laissé de produire quelque effet. Déjà, plus d'une année avant l'avénement d'Innocent, l'archevêque de Mayence, chargé autrefois par Frédéric de la tutelle de Conrad et de l'administration de l'Empire, avait pris parti contre le monarque 2; l'archevêque de Cologne, l'évêque de Spire avaient suivi cet exemple 3. La défection, non encore avouée, du landgrave de Thuringe avait succédé à celle de ces prélats, et il y a lieu de penser qu'Innocent, en se concertant récemment avec ce prince, l'avait flatté de l'espoir de la couronne impériale. Il est superflu d'ajouter que, dans le royaume de Sicile, tous les mécontents qu'avaient faits les constitutions de Melfi étaient les secrets auxiliaires de la cour de Rome. D'un autre côté, la bataille de Meloria, la captivité infligée à tant de prélats dont l'unique tort avait été d'obéir à l'appel du chef de l'Église, avaient aliéné à Frédéric une partie des évêques d'Occident jusqu'alors hésitants entre lui et le saint-siège. Enfin Innocent, mettant habilement à profit les deux années

1. M. Zeller, Hist. d'Allem. t. V, p. 366, croit que Frédéric, au mois d'avril 1242, aurait fait en Allemagne une très courte apparition pendant laquelle il aurait enlevé à l'archevêque de Mayence la régence de l'Empire. Cette apparition, si elle eut lieu, dut être courte en effet, car on possède des actes de ce monarque constatant qu'il était à Foggia en mars et à Naples en avril et en mai (Hist. dipl. t. VI, p. 33, 38, 39).

2. La défection de l'archevêque de Mayence paraît dater du mois de septembre 1241. Voir Hist. dipl. t. VI, p. 4 et 46, notes.

3. Hist. dipl. ibid. p. 190, note. Les registres d'Innocent (éd. Berger, n° 654) attestent en outre que, le 5 mai 1244, ce pontife accordait aux archevêques de Mayence et de Cologne le cinquième des revenus ecclésiastiques de leurs provinces et à l'évêque de Spire le cinquième de ceux de son diocèse pour les indemniser des dépenses qu'ils avaient faites « pro ecclesia romana ». Cf. ibid. n° 655.

LA COUR DE ROME T. II.

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