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la constitution de l'Église. Au milieu d'obscurités calculées, on trouvait des phrases telles que celles-ci: « Le haut cèdre du Liban sera coupé. De grands changements auront lieu dans la foi, les lois et les royaumes. Ceux qui sont fiers de leurs anciens titres seront amoindris. Malheur au clergé! un ordre nouveau est tout prêt. Déjà est né celui qui doit changer le siècle. » Des vers menaçants, et qui contenaient des idées analogues, étaient trouvés jusque dans la chambre du pape. Quelques-uns paraissaient prédire la chute même du saint-siège. On y lisait : « Rome qui chancelle, poussée depuis longtemps dans les voies de l'erreur, tombera et cessera d'être la capitale du monde 1.

Malgré ces indices et d'autres semblables qu'il serait possible de recueillir, le projet de constituer en Sicile une Église particulière était loin d'être aussi arrêté dans la pensée de l'empereur que celui d'asseoir sa domination sur toute la péninsule, et c'était vers ce but qu'il marchait audacieusement. A un moment pourtant, on put croire à quelque accommodement entre lui et le pontife. Au mois de mai 1240, les princes et les prélats de l'Empire adressèrent à Grégoire une lettre respectueuse, mais ferme, dans laquelle ils le suppliaient de prendre en considération les maux de l'Allemagne et du monde chrétien et d'accorder la paix à Frédéric 2. Le pape sembla d'abord se rendre à ces vœux. Mais, en déclarant qu'il ne pouvait souscrire à un accord sans la participation des Lombards, condition qu'il savait devoir être repoussée par le monarque, il arrêtait d'avance toutes les négociations 3. De son côté, Frédéric, de la Marche d'Ancône où il était alors, écrivait à son fils Conrad que, tout en consentant à traiter, «<il forcerait le rival de sa grandeur à s'incliner devant ses aigles victorieuses. » En réalité, aucun des deux adversai

1. Matth. Paris, t. III, p. 550, 551. anno 1239.

2. Hist. dipl. t. V, p. 985-991.

3. Voir une lettre de Frédéric du 18 juillet 1240, Hist. dipl. t. V, p. 1014

1017.

4. Juin 1240. Ibid., p. 1003, 1004.

res n'était disposé à céder. Cependant Frédéric s'affermissait de plus en plus dans l'Italie centrale, et d'au delà les Alpes Albert de Beham mandait au pontife que le parti de l'empereur prévalait partout en Allemagne. Dans cette conjoncture critique, Grégoire recourut à un moyen suprême. Il jugea que, pour triompher de son ennemi, il lui fallait entraîner l'Église entière dans sa querelle, et, au mois d'août, il enjoignit à tous les prélats de la chrétienté de se trouver à Rome pour un concile général, dont il fixa la date aux fêtes de Pâques de l'année suivante 2.

C'était un coup hardi. Si Frédéric laissait le concile se rassembler, il pouvait craindre de se voir condamné par des évêques obéissants ou prévenus, et, s'il en empêchait la réunion, il fournissait à Grégoire de nouvelles armes pour le combattre. Il adopta le second parti. Il savait, à la vérité, que ni les prélats de l'Allemagne, ni ceux du royaume de Sicile ne voudraient ou n'oseraient se rendre au concile. Il écrivit aux souverains de France et d'Angleterre, et, alléguant que cette assemblée était manifestement convoquée contre lui, il les avertit qu'il s'opposerait, par tous les moyens, au passage de ceux de leurs évêques qui obéiraient à l'appel du pontife 3. Un certain nombre de prélats de France, d'Angleterre et d'Espagne, avec les évêques lombards, ne laissèrent pas de se conformer aux ordres de Grégoire. Arrivés à Gênes, que le pape avait su rattacher à la cause du saint-siège, ils s'embarquèrent pour Rome sur vingt-sept galères que leur fournirent les habitants et dont Grégoire avait payé l'armement .

1. « Ruit pars papalis; prævaluit imperialis. » 5 septembre 1240. Hist. dipl. t. V, p. 1031-1035. Cf. une lettre du même, août 1240, ibid. p. 10231027.

2. 9 août. Raynald. anno 1240, no 53.

3. 13 septembre 1240. Hist. dipl. t. V, p. 1037-1041. Cf. deux autres lettres de Frédéric, l'une de la fin de cette année au roi de France, ibid. p. 10751077, et l'autre du commencement de février 1241 aux sujets de l'Empire, ibid. p. 1089, 1090.

4. Voir une lettre de Grégoire du 13, octobre 1240, Hist. dipl. t. V. p. 1053-1055. Cf. une lettre du légat pontifical à Gênes des 6 et 9 décembre, ibid. p. 1061-1066.

Frédéric avait cru sans doute que ses menaces suffiraient à arrêter ces évêques. Son intérêt, son orgueil le poussèrent à une résolution violente. Il envoya une flotte sicilienne, renforcée de vaisseaux pisans, attaquer les galères génoises. La rencontre eut lieu le 3 mai 1241, à la hauteur des îles de Monte-Christo et de Giglio, près du rocher de Meloria. Trois de ces galères furent coulées à fond; les autres furent prises avec les cardinaux de Palestrine et de Saint-Nicolas, une centaine de prélats du plus haut rang, des députés lombards et près de quatre mille passagers ou soldats. Seuls, les évêques espagnols s'étaient, au début de l'action, dérobés par la fuite. Tous ces prisonniers furent transférés à Naples par ordre de l'empereur, qui ne tarda pas toutefois, sur une sommation énergique de Louis IX, à relâcher les prélats français 2. Informant de cet événement le roi d'Angleterre « Dieu, lui écrivait-il, est avec moi; il ne veut pas que le monde soit gouverné par le sacerdoce seul, mais par la royauté et le sacerdoce 3. » Il se prépara alors, ainsi qu'il le mandait aux princes de l'Allemagne, « à tourner contre Rome ses armes triomphantes, afin que, la tête une fois abattue, le corps de la sédition fût paralysé dans ses membres. » Il marcha en effet sur Rome, dont il dévasta le territoire et où les partis qui divisaient la ville commençaient à s'agiter, quand il apprit que Grégoire venait d'expirer le 22 août 1241 3.

1. Voir, avec la lettre de ces évêques au pape en date du 10 mai 1241, Hist. dipl. t. V, p. 1120, 1121, une lettre de Frédéric au roi d'Angleterre du 18 mai, ibid. p.1123-1125. Cf. Chron. de reb. in Ital. gest. - Ricc. de S. Germ. - Annal. genuens (Murat. rer. ital. t. VI, p. 489).

2. Lettre de Louis IX à Frédéric, Hist. dipt. t. VI, p. 18-20.

3. « Deus nobiscum est,... qui non solum per sacerdotium, sed per regnum et sacerdotium mundi machinam statuit gubernandam. » Voir la lettre du 18 mai, déjà citée.

4. Fin mai 1241, Hist. dipl. t. V, p. 1126-1128.

5. Ricc. de S. Germ.

III

CÉLESTIN IV, INNOCENT IV.
1241-1254.

La mort de Grégoire IX parut amener une modification dans les plans de Frédéric. Comme s'il eût voulu montrer qu'en faisant la guerre à Grégoire, il combattait l'homme et non le pontife, il suspendit les hostilités et, quittant le territoire romain, regagna le royaume de Sicile. Dans une lettre qu'au lendemain de cette mort il adressait aux souverains de la chrétienté: « Il n'est plus, écrivait-il, celui qui prétendait renverser Auguste et allumait dans le monde le feu de la discorde. Si son successeur ne nourrit pas contre nous les mêmes sentiments de haine, nous sommes prêt à donner à l'Église et à lui notre plus zélé concours 1. » Peut-être se flattait-il que les membres du sacré collège, par crainte d'une reprise des hostilités, se résoudraient à nommer un pape qui fût moins contraire à ses vues 2. Si tel était son espoir, il devait

1. août 1241. Hist. dipl. t. V, p. 1165-1167.

2. « Summum molitus est creare pontificem ac sedem apostolicam subjicere ditioni. » Alb. de Beham, cité par Huillard-Bréholles, Vie de Pierre de la Vigne, p. 183.

être déçu. Les cardinaux réunis à Rome pour l'élection étaient au nombre de dix 1. Frédéric permit aux cardinaux de Palestrine et de Saint-Nicolas, qu'il gardait prisonniers à Naples, d'aller se joindre à leurs collègues, sous la condition de revenir se mettre entre ses mains si aucun des deux n'était élu 2. Mais les membres du sacré collège, en désaccord sur la conduite à tenir à l'égard de Frédéric, n'étaient pas moins divisés par leurs rivalités personnelles. Au bout de quarante jours, ne pouvant parvenir à s'entendre, ils portèrent sur le saint-siège, sous le nom de Célestin IV, Godefroy, cardinalévêque de Sabine 3, dont le grand âge et l'état maladif faisaient pressentir la fin prochaine. C'était laisser aux événements toute leur incertitude. Célestin mourut en effet le 15 novembre 1241, seize jours après son élection. A peine le pontife était-il décédé, que les cardinaux, s'éloignant de Rome avant même qu'il fût inhumé, se dispersèrent dans l'État ecclésiastique, sans qu'il fût possible de les réunir pour une autre élection 4. Alors commença une vacance de près de vingt mois, prélude de ces longs interrègnes dont la chaire apostolique devait plus d'une fois par la suite offrir le scandaleux spectacle. Elle ne fit qu'accroître les divisions des deux côtés des Alpes et introduire, par une conséquence inévitable, de nouveaux désordres dans l'Église.

Malgré les circonstances critiques où se trouvait le sacré collège et qui expliquaient jusqu'à un certain point ses hésitations, on conçoit les blâmes trop mérités qu'une vacance aussi prolongée dut attirer sur la cour de Rome. Ces blâmes étaient d'autant plus vifs, que la chrétienté eût alors besoin d'ètre unie pour repousser les Tartares-Mongols qui, sortis de l'Asie sous la conduite du farouche Batou-Khan, fils du fameux Tgengis-Khan, avaient récemment ensanglanté la Hongrie et menaçaient de s'avancer au coeur du continent. Frédéric, en

1. C'est le chiffre indiqué par Matth. Paris. Cf. Ciacon. Vitæ pontif. et card. 2. Matth. Paris. t. IV, p, 164.

3. 31 octobre 1241.

4. « Cardinales de urbe fugerunt, eo insepulto. » Ricc. de S. Germ.

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