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leur exemple, déclarèrent pour la plupart que « le respect filial auquel ils étaient obligés envers le pape ne pouvait les dispenser de la fidélité que, comme seigneurs temporels, ils devaient au chef de l'Empire 1. » La résistance du clergé allemand alla même jusqu'à l'opposition ouverte. « Le pape peut faire paître, comme il voudra, ses brebis d'Italie, disait l'évêque de Freisingen; mais il ne lui appartient pas de s'ingérer, sans notre aveu, dans les affaires de l'Allemagne 2. » Repoussé de ce côté, Grégoire se tourna vers la France et fit proposer secrètement à Louis IX, par le cardinal-évêque de Palestrine, de donner l'Empire à l'un de ses frères, Robert, comte d'Artois. Mais Louis était d'un caractère trop haut pour tirer profit d'une querelle où il voyait plus de partialité que de justice, et il rejeta les offres du pontife. Bien lein de s'associer aux ressentiments de Grégoire, le pieux roi, aussitôt après l'excommunication prononcée contre Frédéric, avait envoyé des députés au pape, en vue de rétablir la paix entre lui et l'empereur. Les barons français eux-mêmes, au dire d'un contemporain, s'étonnèrent de cette témérité du pape à prétendre, de sa seule autorité, priver de la couronne un si grand prince, et ils déclarèrent que, s'il était vrai que Frédéric se fût rendu par ses fautes indigne du rang suprême, il ne pouvait du moins être déposé que par un concile général3. En même temps qu'il travaillait « de toutes ses forces » à

1. Lettre de plusieurs prélats allemands au pape, septembre 1239, Hist. dipl. t. V, 398-400.

2. Hist. dipl. Introd. p. 235, 236.

3. Matth. Paris, t. III, p. 624, 625. Pour l'appréciation critique des faits relatés à ce sujet par le chroniqueur et qu'on ne saurait admettre dans leur totalité, voir Hist. dipl. Introd. p. 300. Cf. Elie Berger, S. Louis et Innocent IV, Introd. au t. II des Reg. d'Innocent IV, p. 3. (Cette introduction a été publiée à part en 1893, chez Thorin.) Ce récit de Matthieu Paris est au reste confirmé, dans ce qu'il offre d'essentiel, par Aubry de Trois Fontaines et par les Annales de S. Pantaleon de Cologne. Il convient de rapprocher de ces textes une lettre de Grégoire à Louis IX, du 25 octobre 1239, Hist. dipl. t. V, p. 457-461, lettre dans laquelle il demande au roi de secourir le saintsiège contre Frédéric et lui notifie l'envoi, à titre de légat, du cardinal de Palestrine (Preneste). De cette lettre il résulte que ce cardinal dut se rendre en France vers la fin de 1239.

dépouiller de l'Empire son adversaire, Grégoire cherchait, comme déjà en 1229, à lui enlever l'Italie méridionale. Il excitait les Vénitiens à attaquer le royaume de Sicile, et s'engageait, dans le cas où ils réussiraient à en expulser Frédéric, à leur céder à titre de fief plusieurs parties de ce royaume 1. Pour subvenir aux frais de la guerre que de toutes parts il essayait de provoquer contre l'empereur, il imposa au clergé d'Occident des taxes onéreuses. A défaut de l'Italie et de l'Allemagne d'où il ne pouvait guère espérer de subsides, il s'adressa à la France et plus particulièrement à l'Angleterre. Un bref, apporté à Londres par le cardinal Otton, exigea le cinquième des revenus ecclésiastiques, contribution à laquelle les évêques ne voulurent pas d'abord se soumettre et qu'ils ne se décidèrent à payer qu'après avoir été menacés par le légat des censures apostoliques 2. Afin d'augmenter ces ressources, Grégoire recourut à un expédient que la cour de Rome ne devait que trop souvent renouveler par la suite. Avec son assentiment, sinon par ses ordres exprès, nombre de fidèles qui s'étaient croisés pour la Palestine furent autorisés, moyennant de l'argent versé aux agents pontificaux, à se libérer de leurs vœux 3. Lui-même, au reste, dans une lettre qu'avait portée à Louis IX le cardinal de Palestrine, avait dit qu'il était plus méritoire de combattre Frédéric que de retirer la Terre sainte des mains des Infidèles 4; et, bien qu'on ne laissât pas de précher la croisade, le projet d'une expédition outre-mer, tant par l'effet des événements que par l'insuffisance du nombre des croisés, fut en fait abandonné.

Frédéric n'était pas, de son côté, resté dans l'inaction. Il

1. 23 septembre 1239, Hist. dipl. t. V, p. 390-394. n° 10789.

2. Matth. Paris. t. IV, p. 9, 10 et ss.

- Potthast, Reg. pontif.,

3. «Eisdem temporibus inceperunt prædicatores fratres et minores... crucesignatos absolvere a voto suo, accepta pecunia quanta sufficere videbatur unicuique ad viaticum ultramarinum. » Ibid. p. 9. Cf. une lettre de Grégoire du 12 février 1241, Hist. dipl. t. V, p. 1095. Voir aussi Cherrier, Hist. de la lulle des papes et des empereurs, t. II, p. 206, 207.

4. Voir la lettre, déjà citée, de Grégoire à Louis IX du 25 octobre 1239.

pourvut, par d'habiles dispositions, à la défense de son royaume de Sicile et repoussa les Vénitiens qui ne purent que ravager le littoral de la Pouille. Pour soustraire plus sûrement ses États de l'Italie méridionale aux menées de la cour de Rome, non seulement il chassa de leurs sièges plusieurs évêques dont il suspectait la fidélité; il enjoignit à tous les moines étrangers et bientôt à tous les frères mendiants de sortir du royaume, et menaça de mort quiconque serait trouvé porteur de lettres écrites contre lui par le pape 2. Ne gardant plus dès lors de ménagements envers l'Église romaine, il avoua ouvertement des projets qu'il n'avait jusqu'ici que laissé entrevoir. Dans une lettre adressée le 2 février 1240 à l'archevêque de Messine qui l'exhortait à se réconcilier avec le saint-siège: « Nous avons usé trop longtemps de longanimité, disait-il, et c'est à la force que nous recourrons désormais. Notre ferme et irrévocable résolution est de réunir à l'Empire le duché de Spolète, la Marche d'Ancône et les autres terres qui, à diverses époques, en ont été détachées 3. » C'était désigner implicitement tout l'État pontifical. Conformant sa conduite à ces hardies déclarations, il abandonna l'Italie du nord dont il ne s'était pas encore rendu maître, et se dirigea en armes vers l'Italie centrale. Bientôt il eut en son pouvoir la plus grande partie du Patrimoine de saint Pierre. Les places voisines de Rome, Viterbe, Sutri, Civita-Castellana, Montefiascone, Corneto, arborèrent de gré ou de force l'étendard de l'Empire. Il marcha enfin sur Rome avec le dessein de s'en emparer. Pour se rendre les Romains favorables, il leur avait notifié l'intention de conférer « des honneurs et des dignités » à leurs principaux citoyens, « voulant, leur mandait-il, que l'antique gloire de leur cité resplendît de nouveau et qu'un lien indis

1. Chron. de reb. in Ital. gest.

2. Ricc. de S. Germ. ann. 1239-1240.

3. Disposuimus firmiter irrevocabili proposito mentis nostre Ducatum et Marchiam et terras alias, que longo tempore imperio subducte fuerant et subtracte, ad manus nostras et imperii revocare. » Hist. dipl., t. V, p. 707– 709.

soluble unit désormais l'empereur romain et le peuple de Rome. » Circonvenue par les partisans de Frédéric, la population ne montrait aucune disposition à résister. Si elle ouvrait ses portes, la lutte était finie, et le monarque, parvenu au terme de ses secrètes ambitions, ajoutait Rome à son Empire. Mais l'énergique vieillard qui occupait la chaire de saint Pierre réussit à changer subitement l'état des esprits par l'appareil d'une procession solennelle qu'il conduisit luimême à travers les rues de la ville, et par l'émotion d'une prédication éloquente où il appela tous les fidèles au secours de l'Église en péril. La foule, transportée d'un pieux enthousiasme, jura de défendre le successeur de l'Apôtre. Frédéric n'osa prendre d'assaut cette cité immense dont chaque palais était une forteresse, et peut-être est-il permis de dire que ce jour-là le peuple romain sauva la puissance temporelle des papes 2.

Grégoire, dans une circulaire adressée à la catholicité, fit connaître comment Dieu, « par un miracle de sa providence »>, l'avait délivré des armes de Frédéric et dénonça de nouveau à l'indignation des fidèles les violences de l'empereur, qui n'avait pas craint, disait-il, d'envahir le Patrimoine de saint Pierre « dont l'Église s'était réservé la souveraineté en signe de sa domination universelle 3 ». Il prenait ainsi occasion des événements pour affirmer, par un argument inusité, la légitimité de la souveraineté temporelle du saint-siège. Ce n'était pas seulement son autorité temporelle qui était alors menacée; son autorité ecclésiastique semblait l'être également. Certains indices portent à penser que l'audacieux monarque cût voulu établir dans ses États siciliens une Église indépen

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2. Voir, avec une lettre de Grégoire de fin février 1240, qui contient le récit de ces faits, Hist. dipl. t. V, 775-779, une lettre de Frédéric au roi d'Angleterre, 16 mars, ibid., p. 840-846. Cf. Huillard-Bréholles, Vie de Pierre de la Vigne, p. 180, 181.

3. « Patrimonium beati Petri quod.,. ditioni sue in signum universalis dominii (Ecclesia) reservavit. » Lettre citée ci-dessus.

LA COUR DE ROMB.

T. II.

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dante dont il eût été le chef'. Du moins, depuis la dernière excommunication dont il avait été frappé, il affectait, dans toutes ses lettres, de distinguer l'Église romaine de l'Église générale. En fait, il s'était substitué au pape dans l'administration spirituelle du royaume de Sicile, que Grégoire avait une seconde fois placé sous l'interdit. Non seulement il avait défendu toute relation entre le clergé de ce royaume et Rome; mais, présidant lui-même au salut des âmes, il obligeait les ecclésiastiques à célébrer les offices et à conférer les sacrements. Autant qu'on peut le conjecturer, il rêvait une sorte de suprématie religieuse analogue à celle qu'exerçaient les souverains grecs et musulmans qui réunissaient entre leurs mains l'un et l'autre pouvoir. Grégoire semble lui-même faire allusion à ces tendances dans la lettre où il annonçait que Rome avait été sauvée des entreprises de Frédéric. Parlant de sa conduite sacrilège dans le royaume de Sicile: «< L'empereur, disait-il, s'élevant au dessus de tout ce qu'on appelle Dieu, s'érige en ange de lumière sur la montagne de l'orgueil. Il ose, malgré l'anathème qui l'a frappé, assister aux mystères divins; il oblige, sous peine de l'exil ou de la mort, les ministres de l'Église à les célébrer; il menace enfin de renverser le siège de saint Pierre, de substituer à la foi chrétienne les anciennes cérémonies de l'Empire païen, et, se tenant assis dans le temple, usurpe les fonctions du sacerdoce3. » A en croire un biographe de Grégoire, l'autorité du pape était, aux yeux de Frédéric, une de ces erreurs qui devaient disparaître dans une religion plus sagement établie, et qu'il prétendait détruire. Ce qui est certain, c'est que, vers la même date, des prophéties, répandues par des mains inconnues, semblaient préparer les esprits à un changement dans

1. Huillard-Bréholles. Vie de Pierre de la Vigne, p. 210, 211.

2. Hist. dipl. Introd. p. 499.

3. Ibid. t. V, p. 777.

4. a Adjiciens (Fridericus) apostolice sedis trufam ab hominibus mundi simplicibus toleratam sua superstitione deleri. » Vila Greg. IX, Murat. rer. ital. t. III, p. 585.

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