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empêcher par tous les moyens la contagion de l'erreur dans des contrées où avait toujours fleuri la véritable foi1.

Ni la bulle publiée par Grégoire, ni les mesures rigoureuses qu'il avait provoquées n'étaient une vaine menace. Bien que, depuis le concile général de Latran, on n'eût pas négligé, dans les divers États de la catholicité, de sévir contre les hérétiques, il y eut alors dans la répression comme une recrudescence soudaine. En Italie, en Espagne, en France, en Allemagne, partout les bûchers s'allumèrent. Non seulement à Milan et dans les autres villes de Lombardie, mais à Rome, et en quelque sorte sous les yeux du pontife, on brûla des hérétiques. Sur l'ordre personnel de Grégoire, ceux que le sénateur n'avait pas envoyés au bûcher furent étroitement emprisonnés et chargés de fers 3. On brùla également des hérétiques dans la Terre de Labour et en Sicile, où l'empereur ne se fit pas scrupule de soumettre aux mêmes supplices les ennemis de son pouvoir et les hérétiques avérés 1. En Espagne, on vit Ferdinand III, roi de Castille et de Léon, jeter lui-même de sa main royale » du bois sur les bûchers embrasés. Dans le midi de la France, où Raimond VII, sous la pression des évêques, dut ordonner de nouvelles sévérités contre les hérétiques de ses domaines, on poursuivit ces infortunés dans les maisons, dans les caves, dans les forêts. De simples soupçons, de vagues dénonciations suffisaient pour condamner des hommes qu'on mettait ensuite en prison ou qu'on livrait au supplice. A Toulouse, une femme malade ayant

1.

Volentes ut de finibus Alemannie, in quibus semper extitit fida fides, heretice labis genimina modis omnibus deleantur. » Hist. dipl. t. IV, p. 298-303.

2. « Eodem mense (februario 1231) nonnulli Patarenorum in urbe inventi sunt; quorum alii sunt igne cremati, .. alii, donec poeniteant, .. apud Cavas directi.» Ricc. de S. Germ. Pour la Lombardie et l'Italie centrale, voy. Schmidt, Hist. des Albig. t. I, p. 158-164.

3. « Discretioni tue mandantes quatenus singulos singulis carceribus deputes, vinculis ferreis compeditos... » Greg. abbati Cavensi, 4 mars 1231, Reg. Greg. IX, ep. 562.

4. Hist. dipl. Introd. p. 490. 5. Schmidt, ibid. t. I, p. 369. 6. Raynald. anno 1233, no 60.

refusé de se convertir, on la jeta avec son lit dans les flammes. On ne sévissait pas seulement contre les vivants; on faisait le procès aux morts, et on brûlait les cadavres 1. Dans le nord de la France et en Flandre, l'inquisition avait été confiée au frère dominicain Robert, hérétique converti. Pour faire oublier ses erreurs passées, il se montra impitoyable et commit enfin de tels excès, que Grégoire, cédant au cri des populations, dut le condamner à une réclusion perpétuelle 2.

Ce fut toutefois en Allemagne et plus particulièrement sur les bords du Rhin qu'eut lieu la plus violente persécution. Dirigée par le dominicain Conrad de Marbourg, elle commença en 1231 et dura trois années. Dans toutes les localités où il passa, et sans même observer un semblant de procédure, Conrad fit monter sur le bûcher des victimes de toute condition, de tout âge, de tout sexe. « C'est une chose épouvantable, écrit un contemporain, combien à cette époque le feu sévit contre les hommes. Car, pour des hérésies réelles comme pour des hérésies imaginaires, une multitude de nobles, de bourgeois, de clercs, de moines, de religieuses, de paysans, furent livrés au feu dans les différents lieux de l'Allemagne par les sentences trop promptes de Conrad. Le jour même que quelqu'un était accusé à raison ou à tort, il était condamné et jeté dans les flammes, sans que ni appel, ni défense, ni protection pussent le sauver de la mort 3». Les ar

3

1. Schmidt, Hist. des Albig. t. I, p. 298, 303, 304.

2. Matth. Paris. Chron. (éd. Luard), t. III, p. 520. — Schmidt, ibid. p. 365367. C'est ce Robert qui fit brûler, en un même jour, cent quatre-vingttrois hérétiques, hommes et femmes, au pied du château de Montwimers. Voy. à son sujet une brochure récente de M. J. Frederichs, intitulée : Robert le Bougre, premier inquisiteur général en France, Gand, 1892.

3. «Miranda res et nimium stupenda, quod hiis temporibus ignis contra genus mortalium sic invaluit... Nam et propter veras hereses et propter fictas multi nobiles et ignobiles, clerici, monachi, incluse, burgenses, rustici a quodam fratre Conrado ignis supplicio per diversa Teutoniæ loca, si fas est dici, nimis precipiti sententia sunt addicti. Nam eodem die quo quis accusatus est, seu juste seu injuste, nullius appellationis, nullius defensionis sibi refugio proficiente, est dampnatus et flammis crudelibus injectus. » Annal. Colon, max. apud Poertz, ss. t. XVII, p. 843. — Alberic. Chron. - Cf. Gesta Trevir. archiep.

chevêques de Mayence, de Cologne, de Trèves, exhortèrent en vain Conrad à se modérer; leurs avertissements, les menaces mêmes des nobles et du peuple ne purent mettre un frein à son fanatisme. Au retour d'un synode qui eut lieu au mois de juillet 1233, et où un seigneur, qu'il avait accusé d'hérésie, avait réussi à prouver la pureté de sa foi, il fut enfin massacré par les parents de ses victimes. Le pape excommunia les meurtriers et, tout en paraissant regretter d'avoir donné tant de pouvoir à Conrad, fit l'éloge d'un homme qu'il appelait <«< un ministre de la lumière », et que l'Allemagne n'avait appris à connaître que comme un ministre du feu.

Ce meurtre de Conrad de Marbourg ne fut pas le seul acte de représailles que provoquèrent ces excès. A Toulouse, les magistrats refusèrent de laisser les inquisiteurs exercer leur office et les chassèrent de la ville. A Albi, un inquisiteur ayant voulu ouvrir de ses propres mains la tombe d'une femme hérétique, le peuple se jeta sur lui et fut sur le point de le précipiter dans le Tarn. A Narbonne, les habitants ameutés pénétrèrent de force dans le couvent des dominicains et le saccagèrent. A Bergame, à Plaisance, à Mantoue, à Naples, des faits analogues se produisirent 3. Ni ces colères, ni ces résistances n'eurent d'effet sur l'esprit de Grégoire. Si l'on excepte la mesure trop tardive qu'il prit à l'égard du dominicain Robert, on peut dire que, loin de chercher à modérer les sévérités des inquisiteurs, il ne cessait par ses lettres de stimuler leur zèle. On a peine à concevoir comment l'intérêt de la religion pouvait, dans l'âme du vieux pontife, effacer à ce point la pitié. Il n'y eut pas jusqu'aux contrées de l'est de l'Europe, gagnées aussi par l'hérésie, où

1. Ripoll. Bullar. ord. fratr. prædic. t. I, p. 64. Grégoire l'appelle Ecclesiæ paranymphum, ministrum lucis. Dans ces derniers temps, un érudit allemand a essayé de réhabiliter ce Conrad. Voy. Kaltner, Konrad von Marburg und die Inquisition in Deutschland, Prague, 1882.

2. Pour ces faits, voir Schmidt, Hist. des Albig. t. I, p. 305, 306.

3. Schmidt, Ibid., t. I, p. 164, 165.

4. Potthast, Reg. pontif., no 9226, 9231, 9263, 9334 et passim.

Grégoire ne voulût exercer ses rigueurs; et, au mois de février 1234, il ordonnait de prêcher une croisade contre les hérétiques en Dalmatie, en Croatie, en Bosnie, en Serbie et dans tous les pays slaves, en promettant à ceux qui prendraient part à cette croisade les indulgences accordées pour les guerres de Terre sainte 1.

Si habitué que l'on fût, depuis la guerre des Albigeois, au système de violence adopté à l'égard des hérétiques, il était difficile qu'au spectacle de ces excès il ne s'élevât pas de secrètes colères contre la cour de Rome, et que des doutes sur la sainteté de son pouvoir ne prissent point naissance dans les esprits qui, au milieu de ces aberrations de la foi, demeuraient attachés à une religion plus humaine. Tandis que, par ces rigueurs outrées, Rome s'attirait de sourdes haines, elle était, pour d'autres causes, en butte à des attaques qui montraient que ce n'était pas seulement du côté de l'Empire que s'étaient réveillées les idées d'hostilité. Vers le mois de février 1231, le cardinal de Saint-Nicolas, le même qui précédemment avait été chargé par Grégoire de soulever l'Allemagne contre Frédéric, ayant convoqué, sous prétexte de réformer les couvents, un synode à Wurtzbourg, le duc Albert de Saxe, de concert avec son frère, le comte d'Anhalt, et d'autres seigneurs, exhorta par une lettre les archevêques et évêques de l'Allemagne à ne pas obéir à cette convocation. « Nous savons, disaitil, que ce cardinal n'a en réalité d'autre but que de s'emparer des prébendes de vos diocèses et d'imposer de nouvelles charges à vos églises. Si donc vous voulez vous soustraire à un joug qui a déjà trop duré, abstenez-vous de paraître à cette assemblée; car la dignité du clergé est plus avilie aujourd'hui qu'au temps des Pharaons 2. » Le roi des Romains, Henri, déclara de son côté que personne en Allemagne, sous peine d'encourir sa disgrâce, ne devait tenir de synode, à l'excep

1. Theiner, Mon. Hungar. t. I, p. 122, no 207.

2. « Dignitas clericalis majori hodic servituti subjacet quam tempore Pharaonis... Alberic. Chron.

tion des évêques qui en avaient le devoir'. Quelques prélats se réunirent néanmoins à Wurtzbourg; mais, la lettre du duc de Saxe ayant été lue dans l'assemblée, celle-ci se sépara aussitôt, et le cardinal, après avoir essayé inutilement de tenir un autre concile à Mayence, se décida à regagner l'Italie 2.

En Angleterre, on eut une preuve non moins manifeste des sentiments d'hostilité dont le saint-siège était l'objet. L'abus que la cour de Rome y faisait de son autorité, en distribuant à des ecclésiastiques italiens les plus riches bénéfices du pays, avait suscité de tels mécontentements, qu'une conjuration s'était formée en vue d'y mettre un terme. Au commencement de l'année 1232, des lettres, sur le sceau desquelles figuraient deux épées avec cette inscription: Ecce duo gladii, avaient été remises par des inconnus à la plupart des évêques et des chapitres du royaume. Elles portaient : « A tel évêque ou tel chapitre, tous ceux qui aiment mieux mourir. que d'être opprimés par les Romains, salut'. Vous connaissez les procédés arbitraires de la cour de Rome et de ses légats à l'égard du clergé d'Angleterre; vous savez comment, au détriment des droits du clergé et des vôtres, ces légats confèrent aux hommes de leur nation nos plus importants bénéfices. Nous avons résolu de secouer un joug intolérable et de délivrer enfin de la servitude l'Église d'Angleterre, le roi et le royaume. Gardez-vous de vous opposer à l'exécution de nos desseins, sans quoi nous brûlerons vos domaines et nous vous infligerons le même traitement que nous avons décidé de faire subir aux Romains. » Ces lettres étaient plus qu'une menace. Sur plusieurs points du royaume, des hommes armés et dont les traits étaient cachés sous un voile envahirent les terres appartenant aux Italiens et les mirent au pillage. Deux messagers du saint-siège, qui, sur ces entrefaites, s'étaient présentés en Angleterre, furent l'un tué et l'autre blessé par

1. Conrad de Fabar. apud Pertz, ss. t. II, p. 182.

2. Hist. dipl. Introd. p. 219, 220.

3. « Tali episcopo et tali capitulo universitas eorum qui magis volunt mori quan a Romanis confundi, salutem. >>

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