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adressait au patriarche un questionnaire qui commençait

par

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ces mots:

Croyez-vous que ceux qui ont été baptisés dans la foi catholique et se sont ensuite séparés de l'Église romaine sont par cela seul coupables de schisme et d'hérésie, et que nul ne peut être sauvé hors de l'obédience du pape? Croyezvous que saint Pierre ait reçu de Jésus-Christ pleine puissance de juridiction sur tous les fidèles, et que les pontifes, successeurs de Pierre, jouissent d'une égale puissance? Croyez-vous qu'en vertu de cette puissance, le pape ait le droit de juger immédiatement tous les fidèles, de déléguer à cet effet les juges qu'il lui convient de choisir, et que luimème n'ait d'autre juge que Dieu ? Croyez-vous, en ce qui regarde son institution comme sa déposition, qu'il ne doive être soumis à aucune autorité séculière, impériale ou royale? Croyez-vous enfin qu'il puisse, à son gré, transférer ou déposer les évêques, les abbés et tous les autres ecclésiastiques; que seul il puisse publier des canons généraux, accorder des indulgences plenières et statuer souverainement en matière de foi?» Ce n'était qu'après avoir posé ces questions, que Clément abordait certains points de doctrine relatifs à la nature du Verbe et aux sacrements. Encore y prenait-il occasion de répéter que l'obéissance était due aut pape avant de l'être au patriarche; que le pape seul avait le droit d'instituer des saints; que l'Église catholique et universelle n'était autre que l'Église romaine, et que toute autorité dans l'Église dérivait du pontife de Rome1.

Telles étaient les preuves d'orthodoxie qu'exigeait alors la papauté. Il semblait que les souverains séculiers fussent plus attentifs que le chef de l'Église aux besoins de la religion. A la suite de réclamations faites par le saint-siège,

1. Raynald. anno 1351, n• 2-17. Cf. une autre lettre adressée, à la même date, au roi d'Arménie, ibid., no 18. Il convient de noter qu'en 1341 Benoit, à qui les Arméniens avaient également demandé des secours contre les Infidèles, leur répondit de même en les exhortant à abjurer leurs erreurs. Mais, différant en cela de Clément, il leur avait adressé un long mémoire portant presque exclusivement sur le dogme. Voy. Raynald. anno 1341, no 45-69.

Pierre le Cérémonieux, roi d'Aragon, avait, à la même date, signé un traité par lequel il s'était engagé à protéger l'exercice de la juridiction ecclésiastique dans son royaume. A l'occasion de ce traité, il avait supplié le pape, « dans l'intérêt des églises et pour le salut des âmes, » de renvoyer les prélats aragonais qui se trouvaient à la cour d'Avignon et de les contraindre à la résidence. Il l'avait supplié également, dans le même intérêt, de ne plus conférer à des étrangers les prélatures et les bénéfices de ses États1. Il est inutile de dire que Clément ne tint pas plus compte de ces sollicitations qu'il n'avait fait jadis des représentations analogues du roi d'Angleterre. Il y a plus; il ne craignait pas, au besoin, d'invoquer l'Évangile pour justifier ces abus. C'est ainsi que, peu auparavant, Alfonse, roi de Castille, s'étant plaint que le saintsiège eût nommé un étranger à l'un des évêchés importants de son royaume, le pape lui écrivit : « Ignorez-vous, très cher fils, que les apôtres, dont les évêques sont les successeurs, ont reçu du Seigneur la mission de porter partout la parole de vérité et d'aller au loin prêcher les nations? Saint Jacques, par qui l'Espagne a connu la lumière de l'Évangile, était-il originaire de l'Espagne? Faut-il donc s'étonner si le pape suit l'exemple de Celui dont il tient la place sur la terre, devant lequel il n'y a ni distinction de nations, ni acception de personnes, et s'il choisit des étrangers, dont il connaît les mérites, pour conduire le troupeau du Seigneur? 2 »

On conçoit que, sous un pape qui interprétait d'une manière aussi aisée les préceptes de l'Écriture et dont les mœurs étaient loin d'offrir un modèle d'austérité, les déréglements de la cour pontificale n'avaient pu que s'accroître. Les palais que les cardinaux avaient élevés pour leur usage soit à Avignon, soit, sur la rive opposée du Rhône, à Villeneuve, étaient devenus, comme celui des Dons, l'asile du luxe et des plaisirs. Clément connaissait ces désordres; mais si, par une indul

1. Raynald. anno 1351, no 26.

2. Ibid. anno 1348, no 14.

gence qui tenait à son caractère, il négligeait de les réprimer, il avait trop de franchise pour tolérer qu'on cherchât à les couvrir du masque de l'hypocrisie. Il eut l'occasion de donner, à cet égard, une marque publique de ses sentiments. Dans le cours de cette année 1351, les cardinaux et, avec eux, nombre de prélats et d'autres ecclésiastiques, qui se trouvaient à Avignon, firent au pape les plus vives plaintes contre les moines mendiants, et allèrent jusqu'à demander la suppression de ces ordres. Ils alléguaient que ces religieux n'étaient «< ni appelés, ni choisis par l'Église ; » qu'en réalité, il ne leur appartenait ni de prêcher, ni d'entendre les confessions, ni de donner la sépulture, et ils ajoutaient que leur sollicitude auprès des mourants servait surtout à les enrichir. Les frères mendiants avaient en effet reçu de grands biens durant la peste, et c'était peut-être cette considération qui motivait les plaintes dont ils étaient l'objet. Clément, qui savait le courage que ces religieux avaient alors déployé et l'avait admiré, prit hautement leur défense, et, s'adressant à la fois aux cardinaux et aux prélats: « Si ces frères gardaient le silence, s'écria-t-il, que prêcheriez-vous au peuple? Parleriez-vous d'humilité, vous qui étalez la pompe de vos montures et de vos équipages? Parleriez-vous de pauvreté, alors que tous les bénéfices du monde ne peuvent vous suffire? Je ne dirai rien de la chasteté; Dieu connaît sur ce point la conduite de chacun de vous. Est-il surprenant que ces religieux aient reçu quelques biens, en retour de leur dévouement envers les malades et les mourants que plusieurs d'entre vous abandonnaient? Ce que vous voudriez, ce serait d'hériter de leurs richesses; mais Dieu sait à quels usages vous les emploieriez 1. »

Lorsque le chef de l'Église tenait un semblable langage, doit-on s'étonner de celui que tenaient les séculiers ? Tout en rendant hommage à la générosité naturelle de Clément, Pétrarque, qui avait fréquenté la cour d'Avignon, n'hésitait pas

1. Guil. Nang. Chron. contin. anno 1351.

à se servir des termes les plus hardis pour en peindre les désordres. Écrivant à un ami qui était allé visiter cette cour: « En vain, lui disait-il, vous y chercherez l'espérance, la foi, la charité et tout ce qui fait l'élévation de l'âme. C'est le royaume de la cupidité, et, pourvu que l'argent soit sauf, on n'y estime pas que rien soit un dommage. Vous y entendrez que l'espoir d'une vie future, la résurrection de la chair, la venue du Christ pour juger les bons et les méchants, sont autant de fables. Là on regarde l'abstinence comme de la grossièreté, la chasteté comme ridicule; et la liberté de pécher y est qualifiée de magnanimité. » Puis, s'adressant à cette Église romaine qu'il venait ainsi de flétrir: « Réjouis-toi, Babylone, s'écriait-il. Tu es bien celle qu'en esprit a vue l'Évangéliste. C'est toi et non une autre qu'il a vue assise sur les eaux, lascive et tranquille, et oublieuse des œuvres éternelles. C'est bien toi qu'il a vue, vêtue de pourpre et ornée de pierres précieuses, tenant à la main une coupe d'or remplie du vin de ta fornication. Dira-t-on que je me trompe, parce que, sur le front de cette prostituée, l'Évangéliste a lu écrit Babylone la grande, tandis que toi tu es petite? Tu es petite en effet, si l'on regarde les murailles qui t'enserrent; mais par l'orgueil, la cupidité, par tout ce qui est vice, tu es, non pas grande, mais immense 1.»

Alors même que, dans ce tableau, on tiendrait compte de l'exagération ordinaire à un poète, il serait difficile, en se reportant à ce qu'avait écrit Alvaro Pelayo vingt années auparavant, de ne pas admettre une partie tout au moins de ces accusations. Les Contes de Boccace, qui avaient été mis

1. Petrarch. ep. sine titulo (vers l'année 1350), opera, t. II, p. 729, Basileæ, 1589. Cf. Pastor, Hist. des Papes (trad. Raynaud), t. I, p. 79-81. Voir aussi ce que dit de la cour d'Avignon le moine Luisi Marsigli, disciple et ami de Pétrarque (Lettera del venerabile maestro L. M. contro i vizi della corte del papa, Genova, 1859.) Nous croyons également devoir rappeler ici la lettre anonyme qui, vers 1351, serait tombée entre les mains de Clément et aurait été lue en consistoire, lettre pleine d'invectives contre les vices de la cour pontificale et attribuée à Bernabo Visconti. Voy. M. Villani, 1. II. c. 48. Cf. Hist. littér. t. XXI, p. 358; XXIV, p. 34.

au jour depuis peu, attestaient également que, dans le reste du clergé, les mœurs s'altéraient de plus en plus. Il y avait là comme les symptômes d'une décadence vers laquelle étaient entraînées à la fois la papauté et l'Église, image de celle qui, en Europe, atteignait visiblement la société civile. Il semblait qu'à mesure que la papauté s'était abaissée, le monde se fût abaissé avec elle. Ce n'étaient pas seulement les mœurs qui déclinaient de toutes parts. Les institutions, de même que les caractères, s'amoindrissaient; et, à ne considérer que l'autorité exercée par le saint-siège, le pontificat de Jean XXII, qui, comparé aux pontificats antérieurs, la montrait sensiblement diminuée, paraissait grand, comparé à ceux de Benoît et de Clément. Comme si l'on eût eu le pressentiment de quelque catastrophe prochaine, on regardait vers l'avenir, et des prédictions circulaient dans le clergé et parmi les populations. En Allemagne, les peuples fatigués, irrités des troubles incessants que causaient les prétentions ambitieuses et les exigences oppressives du saintsiège, invoquaient la mémoire vengeresse de Frédéric II. <«< Un grand nombre d'hommes de races diverses ou plutôt de toutes races, écrivait un contemporain, affirment ouvertement que l'empereur Frédéric II va revenir plus puissant que jamais, pour réformer l'Église tombée dans une corruption totale. Il est nécessaire qu'il vienne, disent-ils; c'est un décret de la Providence qu'il en soit ainsi, et ce décret est irrévocable 1. » Vers le même temps, un frère mineur, Jean de la Roche Taillade, qui avait déjà emprunté à l'Apocalypse de sinistres prophéties, écrivait que de grandes souffrances étaient réservées au monde; que ces maux étaient imputables à ceux qui, placés à la tête du gouvernement de l'Église, avaient abandonné la loi du Christ et dépravé le monde par leur exemple; que la cour de Rome, après de nouvelles tribulations, quitterait le séjour corrupteur d'Avi

1. Joh. Vitodur. apud Eccard, t. 1. Cf. Huillard-Bréholles, Vie de Pierre de la Vigne, p. 235-236.

LA COUR DE ROME. T. II.

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