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cédées aux chrétiens, à qui une trêve de dix ans permettait, sinon de s'étendre, du moins de se fortifier en Terre sainte1.

On n'aperçut que trop, dans cette circonstance, que le succès de la croisade n'était pas ce qui importait le plus à Grégoire. A la vérité, l'exil que subissait en ce moment la cour pontificale et la nomination d'un vicaire impérial dans des domaines que Frédéric, par ses déclarations antérieures, avait reconnu appartenir au saint-siège, n'étaient pas pour apaiser les ressentiments du pape ou diminuer ses craintes. Ce monarque étant parti pour la Palestine sans se faire absoudre de l'excommunication, Grégoire parut croire que c'était par mépris des censures apostoliques et prononça de nouvelles malédictions contre celui qui avait franchi les mers « non comme un empereur, disait-il, mais comme un chef de pirates2. » Par ses ordres, deux frères mineurs allèrent en Terre sainte porter la défense expresse de siéger dans les conseils de Frédéric et de lui prêter assistance 3, et, mettant la division dans le camp des croisés, faillirent amener la rupture des négociations qui devaient rendre aux chrétiens le tombeau du Sauveur. Quand, ces négociations terminées, l'empereur alla prendre possession de la ville sainte, le patriarche de Jérusalem, se conformant aux instructions du pontife, refusa de reconnaître un traité qu'il regardait <«< comme une convention du Christ avec Bélial 4. » Il fit plus; il jeta l'interdit sur Jérusalem et y prohiba les pèlerinages. Ces sévérités, on doit le dire, furent loin d'être approuvées partout en Europe. (( Seigneur Dieu, s'écriait le poète allemand Freidanck, où pourra-t-on célébrer tes louanges, si, dans la ville même où Jésus a été martyrisé et enseveli, il est défendu de prier! 5 »

1. Voir, pour ce traité, et les documents qui s'y rattachent, Hist. dipl. t. III, p. 86-99.

2. «Non imperator, sed verus pirata transivit. >>

3. Guill. Tyr., Contin. hist. ap. Martene, Thes. anecd. t. V, p. 698.

4. « Hec est conventio Christi ad Belial. » Lettre du patriarche Gérald au pape, Hist. dipl. t. III, p. 88. Cf. une autre lettre du même, ibid. p. 102-110. 5. Zeller, Hist. d'Allemagne, t. V, p. 245.

En même temps que Grégoire poursuivait jusqu'en Palestine Frédéric de ses sévérités, il cherchait à le dépouiller de ses États en Occident. Le cardinal de Saint-Nicolas fut envoyé en Allemagne avec la mission secrète d'y soulever les princes contre l'empereur et son fils Henri et de provoquer l'élection d'un nouveau roi des Romains. Le légat sut associer à ses menées le duc de Bavière, auquel se joignirent un certain nombre de seigneurs et de prélats, et un parti se forma en faveur du dernier héritier des Welfen, Otton de Lunebourg'. Mais ce fut surtout en Italie que l'autorité de Frédéric parut le plus menacée. Le vicaire impérial, Rainald, voulant sans doute se rendre maître du duché de Spolète que son père avait jadis reçu en fief de l'empereur Henri VI2, avait quitté les États de Sicile et était entré en armes sur les terres du saint-siège 3. Grégoire prétendit que cette violation du domaine pontifical avait eu lieu à l'instigation de Frédéric, et, sous prétexte de protéger les droits de l'Église, levant des troupes à sa solde en Lombardie, en Toscane et dans le Patrimoine de saint Pierre, mit sur pied deux corps d'armée. Pendant que l'un, sous la conduite de l'ancien roi de Jérusalem, Jean de Brienne, et du cardinal Colonna, se portait contre Rainald, le second dirigé par le cardinal Pélage et que le premier ne tarda pas à rejoindre, envahissait le royaume de Sicile. Des religieux, se répandant dans ce royaume pour y exciter les habitants à la révolte, aidèrent au succès des troupes apostoliques; et, en quelques mois, toute l'Italie méridionale, à l'exception de la Basilicate et de la Calabre, tomba au pouvoir du saint-siège.

Frédéric se trouvait à Jaffa et n'avait pas encore pris pos

Conrad, de Fabaria, Pertz, ss. t. II,

1. Annal. Colon. max. anno 1228. p. 181. Voy. Hist. dipl. t. III, p. 115 et 116.

2. Voir notre premier volume, p. 339.

3. Voir deux lettres de Grégoire des 7 et 30 novembre 1128, Hist. dipl. t. III, p. 79-84. Cette agression fut plus tard désavouée par Frédéric, ibid. p. 286.

4. Cherrier, Hist. de la lutte des papes et des empereurs, t. II, p. 89 et ss. - Hist. dipl. t. III, p. 111, note 2.

session de Jérusalem, quand il fut averti de ces derniers événements par une lettre d'un de ses lieutenants, le comte Thomas d'Acerra. « A peine eûtes-vous quitté l'Europe, lui disait-on dans cette lettre, que votre implacable ennemi, le pape Grégoire, a rassemblé des troupes pour s'emparer de vos États, sans considérer que vous êtes en ce moment au service de Jésus-Christ. Ne pouvant vous vaincre par le glaive spirituel, il a résolu, contrairement à la loi chrétienne, de vous abattre par les armes temporelles. Hâtez-vous de pourvoir à la conservation de votre royaume; mais veillez à la sûreté de votre personne; car, si vous ne revenez que faiblement accompagné, Jean de Brienne, déjà maître de plusieurs ports, cherchera sans doute à vous surprendre, ce dont Dieu vous garde 1. »

Cet avis fidèle décida Frédéric à presser son retour en Italie, et, dans les premiers jours de mai 1229, il se rembarquait pour l'Europe. C'est vraisemblablement à cette date qu'il convient de rapporter la composition du célèbre sirvente attribué à Guillaume Figuières, l'un de ces troubadours du midi de la France qui, fuyant leurs foyers dévastés, avaient cherché un asile en Lombardie. Dans cet écrit, inspiré du souvenir sanglant de la guerre des Albigeois, et où l'on retrouvait exprimées avec une sombre énergie les mêmes accusations que, dans son récent manifeste, Frédéric avait dirigées contre le saint-siège, l'auteur appelait ouvertement sur le pontife la vengeance de l'empereur. « Rome, s'écriait le poète, qui, en tête de chaque strophe, se plaisait à nommer l'objet de son ressentiment, Rome, votre avidité vous trompe, et à vos brebis vous tondez trop la laine. Si grande est votre avarice que, pour argent, vous pardonnez les péchés. Rome, je ne m'étonne pas que les peuples soient dans l'erreur, car vous avez mis le siècle en fermentation et en guerre. Tant est grande votre forfaiture, que Dieu et ses saints vous jetez à l'abandon. Rome, aux Sarrazins vous faites peu de

1. Rog. de Wendov.

dommage; en revanche, vous menez les chrétiens au carnage. En bas, au fond de l'abîme, Rome, là est votre place, dans la perdition. Vous aspirez à la seigneurie du monde; mais bien me réconforte la pensée que, sans guère tarder, vous viendrez à mauvais port, si l'empereur se venge et fait ce qu'il doit faire. Rome, je vous le dis, votre puissance vous verrez déchoir, et veuille Dieu, mon sauveur, avant que je ne meure, me rendre témoin de cette ruine! 1 »

L'auteur de cette sombre diatribe put penser qu'une partie de ses vœux allait être exaucée. Frédéric avait débarqué à Brindes, le 10 juin 1229. La seule annonce de son retour avait suffi pour jeter le trouble parmi ses ennemis en Allemagae et en Italie. Enhardi par son approche, le roi des Romains, Henri, envahit le territoire de la Bavière, qu'il mit à feu et à sang, et contraignit le cardinal de Saint-Nicolas, qui avait conspiré à la fois contre l'empereur et contre lui, à s'enfuir au delà du Rhin 2. De son côté, Frédéric n'avait pas tardé à se diriger vers les provinces de son royaume occupées par les troupes pontificales. Aux croisés qui revenaient avec lui de la Terre sainte, il avait joint les Sarrazins de Lucéra que lui avait amenés Rainald de Spolète. On vit alors des sectateurs de Mahomet, unis à des chrétiens qui portaient le signe du Christ sur leur armure, marcher contre d'autres chrétiens qui portaient les clefs de saint Pierre sur la leur 3. Étrange spectacle, qui dénotait à quel point l'ancienne foi s'était déjà altérée dans les consciences. L'empereur n'eut qu'à paraître pour triompher de ses adversaires. Sans oser se mesurer avec lui, Jean de Brienne et le cardinal Pélage regagnèrent en hâte la frontière ecclésiastique. Dans la Terre de Labour, dans l'Abruzze, partout les villes revinrent de gré ou de force sous l'obéissance du souverain. En peu de temps,

1. Hist. littér. t. XVII, p. 649 et ss.

2. Zeller, Hist. d'Allem. t. V, p. 246, 217.

3. « Imperator cum crucesignatis contra clavigeros hostes properat. >> Ricc. de S. Germ.

Frédéric recouvra tout ce que le pontife lui avait enlevé 1, et, prenant l'offensive à son tour, il s'avança sur le territoire de l'Église.

En vain, pour arrêter les progrès de l'empereur, Grégoire avait renouvelé l'excommunication prononcée déjà plusieurs fois contre lui et relevé ses vassaux et ses sujets et, en particulier, ceux du royaume de Sicile de leur serment de fidélité2. Loin de vouloir céder, il demanda des secours aux Lombards; il en demanda également aux prélats de France et d'Angleterre 3. « Hâtez-vous de nous donner assistance, mandait-il à l'évêque de Paris, sans quoi la chaire apostolique et avec elle toute l'Église tomberont dans la servitude. » Par une de ces équivoques dont l'usage commençait alors à devenir fréquent à la cour pontificale, il confondait les intérêts de la religion, qui n'étaient pas en péril, avec les intérêts temporels du saint-siège, qui seuls étaient menacés. Mais les faibles secours qui furent envoyés à Grégoire le mettant dans l'impossibilité de continuer la guerre, il se prêta enfin à un accommodement que l'empereur lui-même, non suffisamment assuré de ses forces après une année d'absence, lui avait fait proposer 5. A la suite de négociations qui occupèrent plusieurs mois, un traité fut conclu à San Germano sur la fin de juillet 1230, Frédéric s'engageait par ce traité à s'abstenir de toute agression sur les terres de l'Église et nommément dans le duché de Spolète, dans la Marche d'Ancône et le Patrimoine de saint Pierre. Il promettait en outre de respecter les libertés ecclésiastiques dans le royaume de Sicile, et accordait une complète amnistie tant aux Allemands qu'aux Lombards et à ceux de ses sujets de l'Italie méridionale

1. Voir une lettre de Frédéric, en date du 5 octobre, où il notifie sa victoire, Hist. dipl. t. III, p. 165, 166. Cf. Ricc. de S. Germ.

2. Août 1229; Hist. dipl. t. III, p. 157-159.

3. Juin-juillet 1229. Ibid. p. 145-150.

4. 30 septembre 1229. Ibid. p. 164, 165.

5. Ibid. p. 165, note 1.

6. Voir une lettre de Grégoire aux Lombards, du 10 novembre 1229, ibid. p. 169.

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