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de leur échapper, ainsi que déjà leur échappait la société laïque. Les événements qui allaient suivre devaient rendre ce déclin plus sensible. Ce n'est pas que, parmi les premiers successeurs de Jean XXII, quelques-uns ne dussent faire des efforts pour arrêter la papauté dans sa marche descendante. On les verra par moments essayer, comme lui, de ressaisir cette suprématie sur les princes dont, à défaut de la réalité, ils conservaient les prétentions, tenter même au sein de l'Église quelques réformes. On les verra également tourner leurs regards vers Rome et vouloir y revenir, dans l'espoir de retrouver auprès du tombeau des Apôtres un prestige qu'ils sentaient disparaître. Mais toutes ces tentatives devaient être vaines; et, à travers des alternatives de succès et de revers, d'efforts méritoires et de fautes commises, la papauté allait continuer à décroître, jusqu'à ce que de nouveaux désordres, nés en partie d'elle, en partie de sa situation, la missent enfin sur le penchant même de sa ruine.

Les cardinaux appelés à choisir le successeur de Jean XXII étaient loin de se rendre compte de la crise suprême dans laquelle entrait alors le saint-siège. Ils épargnèrent du moins à la catholicité le spectacle de ces divisions qui trop souvent, au dommage de la religion, avaient prolongé les vacances pontificales. Leur accord, il faut le dire, fut dû cette fois à une cause toute fortuite. Bien que les cardinaux français, qui remplissaient presque entièrement le sacré collège, fussent déterminés à ne pas quitter Avignon, quelques-uns n'étaient pas sans appréhender que ce séjour continu hors de l'Italie ne devînt l'occasion ou le prétexte d'un nouveau schisme dans l'Église. La nomination d'un antipape à Rome par Louis de Bavière, le complot ourdi dans la dernière année de Jean XXII pour déposer ce pontife et reporter le saint-siège au delà des Alpes, justifiaient ces appréhensions. Le cardinal de Comminges, à qui, au début du conclave, le parti français

1. Voir Ciacon. Vitæ pontif. et cardin., t. II, p. 456, 457. papar. Avenion. t. I, p. 736.

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avait offert la tiare dans le cas où il s'engagerait à demeurer en France, refusa de souscrire à une condition qu'il regardait, disait-il, comme un péril pour la papauté 1. Quelques voix prononcèrent alors le nom du cardinal Jacques Fournier. Originaire du comté de Foix, pauvre et de naissance obscure, il était sans crédit parmi ses collègues, et aucun ne pensait qu'il pût rallier la majorité 2. Ce fut cette erreur qui lui valut le pontificat. Dans une première élection qu'on ne supposait pas devoir être définitive, la plupart des cardinaux opinèrent pour lui, croyant ainsi perdre leur vote, et, quand on compta les voix, il se trouva, à la grande surprise du conclave, avoir réuni les deux tiers des suffrages 3. Élu seize jours après la mort de Jean XXII, et couronné le 8 janvier 1335, il prit le nom de Benoît XII.

Le hasard voulut que le nouveau pape fût un des rares membres du sacré collège que recommandaient de véritables mérites. On l'avait appelé jusqu'ici le cardinal Blanc, par ce qu'ayant été moine de Citeaux il en avait gardé l'habit. A en croire quelques chroniques, étonné lui-même de son élévation: << Vous avez élu un âne, » aurait-il dit à ses collègues. Ce n'est pas qu'il fût ignorant. Il était habile théologien, avait écrit sur les psaumes, sur l'évangile de saint Matthieu; mais il n'était pas versé, comme ses devanciers, dans les matières du droit, ni exercé, comme eux au maniement des affaires ". Pieux, intègre, désintéressé, contraire par principe aux mesures de violence, son élection eût été un bien pour l'Église, si à ces vertus il eût joint la fermeté; encore est-il à penser que, dans l'état des esprits, cette fermeté eût été inu

1. G. Villani, 1. XI, c. 21.

2. Ibid.

3. Albert. Argent. Chron. apud Urtis. t. II, p. 125. Murat. antiq. t. III, p. 276.

4. Avete eletto uno asino. » G. Villani, loc. cit.

5. Hist. littér. t. XXIV, p. 17.

Fragm. hist. rom.,

6. Voir, dans Baluze, Vitæ, t. I, p. 210-212, l'éloge de Benoit XII par un de ses biographes qui le met au nombre des meilleurs papes que l'Église

doive honorer.

tile. Une légende, qui paraît s'être formée dans les commencements de son pontificat, témoigne tout à la fois des espérances que certaines âmes fondaient sur ses mérites et du profond discrédit qui entourait la cour d'Avignon. Un évêque, se rendant d'Italie à Avignon à l'époque de la mort de Jean XXII, eut en chemin une vision. Un personnage lui apparut et, l'informant que Jean n'était plus, lui montra son successeur dans un homme de haute stature dont les traits étaient nouveaux pour lui. Arrivé à Avignon, le prélat reconnut dans le cardinal Blanc, non encore élu, l'homme qu'on lui avait montré. « Vous êtes le pape futur », dit-il à Jacques Fournier; et, racontant alors sa vision: « Le personnage qui m'a fait voir votre image m'a introduit dans une étable pleine d'immondices, où mes yeux ont aperçu une arche éclatante de blancheur. Cette arche était vide. Père, vous êtes cette arche mystérieuse; remplissez-la de vos vertus 1. »

Benoît XII était digne par son caractère d'inspirer une semblable légende. Pour la première fois, depuis Grégoire X, on vit un pape animé de sincères intentions de réforme. Le lendemain même de son sacre, il enjoignait à tous les ecclésiastiques, évêques, abbés ou autres qui peuplaient la cour pontificale, de retourner en leurs églises ou en leurs abbayes, menaçant des châtiments canoniques quiconque séjournerait à Avignon sans motif légitime 2. Quelques mois après, il révoquait toutes les commendes accordées par ses prédécesseurs, sans oser toutefois étendre cette mesure à celles dont jouissaient les cardinaux. Il révoqua de même les nombreuses grâces expectatives dont Jean XXII avait chargé les églises . S'il ne put bannir de son entourage le vice de simonie, il s'efforça du moins d'en modérer l'excès. C'était l'usage que les suppliques adressées au pape fussent signées par les

1. Albert. Argent. Chron., p. 125. XIVe siècle, t. II, p. 35, 36.

Christophe, Hist. de la papauté au

2. Ptol. Luc. Hist. eccles. 1. XXIV, c. 43.

3. 31 mai 1335. Ptol. Luc. loc. cit.

4. Baluze, Vitæ, t. I, p. 230.

camériers ou d'autres officiers du palais apostolique, ce qui était la source des plus détestables trafics. Il abolit cet usage, signa lui-même toutes les demandes et voulut qu'elles fussent inscrites sur un registre spécial'. Résolu, par un louable sentiment, à ne conférer aucune prélature à ses proches, il se montra particulièrement sévère dans l'octroi des bénéfices. Non seulement il s'abstint d'en conférer de nouveaux aux ecclésiastiques qui en possédaient de suffisants pour soutenir leur condition; mais, ne voulant en accorder qu'à ceux dont il connaissait les mérites, il laissa sans titulaires un certain nombre de bénéfices. « Mieux vaut, disait-il, laisser vacantes les charges de l'Église, que d'en gratifier des hommes incapables ou indignes 3. »

En même temps qu'il cherchait à remédier aux abus de la cour d'Avignon, il s'efforçait de ramener la discipline dans l'Église. Ce fut sur les ordres religieux qu'il porta plus spécialement sa sollicitude. Dès la première année de son pontificat, il envoya dans les provinces d'Arles et de Narbonne des commissaires chargés de visiter les couvents, et, à la suite de cette enquête, publia des constitutions qu'il jugeait propres à raviver la ferveur des vertus monastiques. Le clergé séculier attira aussi son attention. Par l'effet des redevances toujours plus lourdes que les évêques, dans leurs tournées pastorales, exigeaient du clergé, leur présence était devenue pour les églises un fardeau insupportable. Il dressa un état de ces redevances, qu'il régla suivant le pays, le diocèse, le rang du visiteur, et notifia ces dispositions aux évêques avec ordre de

1. Baluze, ibid., p. 232. Voir aussi une bulle du 8 avril 1838 par laquelle il régla les taxes qu'exigeaient les officiers de la pénitencerie pour les lettres d'absolution. Bullar. Roman. t. I, pars 4, p. 259-264.

2. L'unique faveur qu'il fit à sa famille fut de nommer un de ses neveux à l'archevêché d'Arles; encore céda-t-il aux instances réitérées des cardinaux. Baluze, Vila, t. I, p. 210.

3. Baluze, ibid,, t. I, p. 210, 230.

4. Raynald. anno 1335, no 68.

Baluze, Vitæ, t. I, p. 205, 206, 218, 232. Voy. dans le Bullar. roman., t. III, pars 2, les bulles du 12 juillet 1335 sur l'ordre de Citeaux, du 20 juin 1336 sur l'ordre de Cluny, et du 28 novembre de la même année sur les Frères mineurs.

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s'y conformer à l'avenir1. Il chercha enfin à réprimer des désordres plus graves, ainsi que l'atteste cette lettre qu'au mois d'avril 1335 il adressait aux chanoines de l'église de Narbonne : « Depuis que la miséricorde divine nous a élevé à la dignité suprême, leur mandait-il, on nous a confirmé des accusations qu'à votre honte nous avions, dans un état plus humble, entendu diriger contre vous. Votre église, qui devrait être le modèle de toutes celles de la province, donne l'exemple des plus coupables excès. Plusieurs d'entre vous, secouant le joug volontaire de la continence, font un lieu de perdition de la sainte demeure de Dieu; et, non contents de souiller ainsi votre caractère, vous employez à ces profanations les immenses revenus de votre chapitre. Nous ne saurions tolérer ce mépris de la loi divine, et, si vous ne vous hâtez de rentrer dans la règle, soyez assurés que nous vous frapperons comme il convient et à la face de tous 2.

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Si louables que pussent être ces mesures et alors même que Benoît eût su en obtenir l'exécution, qu'étaient-ce que ces corrections timides apportées à quelques abus de la cour pontificale, en comparaison de celles que déjà, sous Clément V, demandaient certains prélats et de celles que, peu avant la mort de Jean XXII, réclamait, en un langage si pressant et avec une éloquence presque douloureuse, Alvaro Pelayo ? Qu'étaient-ce aussi que ces règlements imposés à divers monastères, que ces admonestations adressées aux chanoines. de l'église de Narbonne, quand non seulement les mœurs de l'ensemble du clergé, mais la constitution même de l'Église, profondément altérée, étaient à réformer? Le mal apparaissait déjà si enraciné et si universel, que ce n'était pas trop, pour le guérir, des efforts réunis de tous les hommes sincères, et les tentatives de Benoît, par leur insuffisance, ne pouvaient qu'être stériles. Ami de la paix autant que de la discipline, il réussit du moins à apaiser les troubles que

1. 18 décembre 1336. Bullar. roman. 2. Baluze, Miscell. t. II, p. 263-267.

- Baluze, Vite, t. I, p. 207.

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