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solliciter des secours. Philippe, dans une assemblée à Paris de seigneurs et de prélats, s'était engagé à passer outre-mer dans un délai de trois ans. Par une bulle du mois de juillet 1333, le pape le nomma chef de l'expédition 2. Bien que les décimes imposées par le concile de Vienne au sujet de la Terre sainte eussent déjà été perçues, Jean ordonna la levée, pendant six ans, d'une nouvelle contribution sur les biens du clergé. Toutefois il n'accorda à Philippe que les décimes qui seraient perçues dans son royaume, réservant au saint-siège l'emploi de celles que fourniraient les autres États. Encore ce prince dut-il s'obliger, dans le cas où l'expédition n'aurait pas lieu, à restituer les décimes qu'il aurait pu recueillir 3. Le succès d'une telle entreprise semblait si aventuré et le projet même de l'expédition était si peu en accord avec le cours des idées, qu'on pouvait se demander si, de la part du roi comme de celle du pape, l'intérêt financier était tout à fait étranger à cette résolution. Les contemporains eurent du moins cette opinion. Peu se croisèrent, écrit l'un d'eux, parce qu'on avait déjà été « échaudé, » et qu'on ne doutait pas qu'il n'advînt de cette entreprise comme des précédentes, « à savoir que les sermons qui étaient faits au nom de la croix ne l'étaient que pour avoir argent. >>

»

La situation de l'Europe n'était pas en effet plus favorable à une croisade qu'à l'époque où Jean en avait une première fois détourné Philippe le Long. Sans parler des difficultés qui déjà s'annonçaient entre le nouveau roi d'Angleterre, Édouard III3, et le roi de France, et qui allaient bientôt mettre ces deux nations aux prises, en Allemagne Jean continuait

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1. Raynald. anno 1331, no 30; anno 1332, no 2. Guil. de Nang. Chron. contin. anno 1332; cf. ibid. anno 1333. Baluze, Vitæ, t. I, p. 787. Il y eut deux assemblées à Paris, la première en octobre 1332, où Philippe annonça le projet d'aller en Terre sainte, la seconde en octobre 1333 où il fixa la date de son départ, qui devait avoir lieu le 1er août 1336.

2. Raynald. anno 1333, no 3.

3. Raynald. ibid. no 2.

4. Gr. Chroniques, t. V,

p. 351.

5. Édouard III, proclamé roi le 24 janvier 1327, fut couronné le 2 février.

de semer la division en cherchant à faire élire un roi des Romains. Il avait alors porté ses vues sur un cousin de l'empereur, Henri de Bavière, et, en décembre 1333, une convention avait été conclue entre Henri et Philippe de Valois, par laquelle celui-ci s'engageait à verser au futur souverain trois cent mille marcs pour les frais de son élection, Henri s'obligeant, de son côté, à céder à la France les territoires dont se composait l'ancien royaume d'Arles et qui étaient revendiqués par l'Empire, c'est-à-dire la vallée de la Saône et du Rhône jusqu'à la mer1. En vain Louis de Bavière avait réitéré ses démarches auprès du saint-siège pour arriver à quelque accord 2. Le pape exigeait qu'il se démît de l'Empire sans conditions; et, sur le bruit qui courut que Louis s'était décidé à abdiquer et avait, à ce prix, obtenu son absolution3, Jean écrivit aux évêques d'Allemagne que, loin de vouloir l'absoudre, il se préparait à recommencer la lutte contre lui.

On eût pu croire du moins que l'Italie, depuis le départ de Louis de Bavière, aurait joui de quelque paix. Il n'en était rien. Frédéric de Sicile, enveloppé dans les anathèmes dont avait été frappé l'empereur, continuait d'être en hostilité avec le roi de Naples. En Lombardie, en Toscane, ni les Gibelins, ni les Guelfes n'avaient désarmé. Une expédition qu'à deux reprises le roi de Bohème avait faite dans la Haute Italie, en se prévalant du titre de vicaire impérial qu'il avait reçu de Louis de Bavière, expédition dans laquelle, sous apparence de concilier les partis, il n'avait cherché qu'à se créer une royauté en deçà des Alpes, avait eu pour résultat d'accroître encore les troubles 6. Rome elle-même, qui avait

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1. Leroux, Recherches sur les relations politiques de la France avec l'Allemagne, p. 186, 187.

2. Christophe, Hist. de la Papauté au XIV• siècle, t. II, p. 23.

3. Sur cette prétendue abdication, que Louis démentit par une circulaire aux villes de l'Empire (Boehmer, Fontes rer. germ. t. I, p. 143, 214), voir l'ouvrage de C. Müller, t. I, p. 309-312, 334-336.

4. Raynald, anno 1334, no 23.

5. Raynald, anno 1332, no 17.

6. Sur ces deux expéditions du roi de Bohème, qui eurent lieu la première

cru trouver quelque trève à ses dissensions dans son retour au saint-siège, loin d'en avoir le bienfait, était en ce moment le théâtre d'une nouvelle et terrible lutte entre la faction des Orsini et celle des Colonna. Pour comble de désordres, les provinces pontificales, auxquelles Jean, à l'exemple de Clément V, avait imposé imprudemment des gouverneurs français qui, étrangers au pays, abusaient de leur pouvoir, étaient, de leur côté, sur le point de se révolter. Bologne en donna le signal. Le légat Bertrand du Poyet, qui s'était retiré dans cette ville et la gouvernait au nom de l'Église, enfermé avec ses Gascons dans une citadelle qu'il s'était fait construire, exerçait de là sur les habitants une sorte de tyrannie. Irritée de ses excès, indignée de la violence de ses officiers, la population, au mois de mars 1334, se souleva tout entière aux cris de: « Mort aulégat! mort aux Gascons! » Presque tout ce qui parlait français fut massacré. On rasa la citadelle; on brûla le palais épiscopal. La révolte s'étendit en un instant à toute la Romagne, et le légat, qui n'avait réussi qu'avec peine à sauver sa vie, dépouillé de tout ce qu'il possédait, courut à Avignon solliciter la vengeance du pontife 1.

L'état de l'Italie, pour tout dire, était alors si lamentable, qu'on vit s'y renouveler les scènes lugubres dont les Flagellants avaient donné autrefois le spectacle. Sous la conduite d'un frère prêcheur, Venturino de Bergame, des centaines, des milliers d'individus, se mirent à parcourir la péninsule, appelant les peuples à la pénitence et les exhortant à la paix. Vêtus de blanc, tenant d'une main le bâton de pèlerin et de l'autre un rosaire, ils marchaient par groupes de vingt-cinq à trente, en tête desquels s'avançait un des leurs vêtu de même et portant une croix. On les nommait « Frères de la Colombe,» parce que, sur le devant de leur vêtement, était

à la fin de l'année 1330, la seconde au commencement de 1333, voir Gregorovius, Storia di Roma, t. VI, p. 212-215.

1. Pour tous ces faits, voir Gregorovius, ibid.,

p. 219-222.

figurée une colombe avec un rameau d'olivier. Après avoir traversé la Lombardie, ils allèrent à Florence, puis à Pérouse, recrutant sur leur route de nouveaux pèlerins. Ils étaient au nombre de plus de dix mille, quand, vers le carême de 1334, ils arrivèrent enfin à Rome, où ils venaient prier sur le tombeau des Apôtres. Ils entrèrent dans la ville en psalmodiant des litanies, que de temps à autre ils interrompaient pour s'écrier: « Paix ! Miséricorde ! » On voyait parmi eux des habitants de Bergame, de Brescia, de Milan, de Mantoue, de Florence, de Viterbe. C'étaient, en quelque sorte, toutes les cités italiennes qui gémissaient de leurs luttes fratricides, nées elles-mêmes des funestes guerres que n'avaient cessé d'allumer deux pouvoirs rivaux, également jaloux de dominer l'Italie 1.

Au milieu de tant de causes d'agitations et de troubles, Jean, par son imprudence, en fit naître une autre qui aurait. sans doute tourné contre lui-même, si la mort ne l'eût surpris. Dans trois sermons successifs, dont le dernier avait été prononcé la veille de l'Épiphanie 1333, le pape avait prêché publiquement à Avignon que les âmes des justes demeuraient privées de la vision béatifique, c'est-à-dire de la contemplation de Dieu, jusqu'à la résurrection des corps et au jour du jugement 2. Cette doctrine, en désaccord avec la croyance générale des fidèles, n'avait pas été, au début, sans causer quelque scandale. Un frère prêcheur, Thomas Vallée, avait osé à Avignon s'élever en chaire contre cette doctrine. Jean avait fait arrêter et jeter en prison son téméraire contradicteur 3. Il vit bientôt s'élever contre lui de plus dangereuses oppositions. Le nouveau général des Frères mineurs, Eudes, qui était venu cette année à Paris, y ayant soutenu. ouvertement les mêmes idées, ce fut une protestation unanime dans l'Université. Le bruit en arriva jusqu'au roi, qui,

1. Hist. Rom. fragm. 1. I, c. 6, Murat. antiq. t. III. c. 23. Cf. Gregorovius, Storia di Roma, t. VI, p. 222 et ss. 2. Baluze, Vitæ, t. I, p. 188 et ss.

3. Galv. de la Flamma, Murat. rer. ital. t. XII, p. 1006.

G. Villani, 1. XI,

ayant consulté d'abord dix maîtres en théologie, menaça Eudes de ses sévérités et déclara que, si le pape persistait dans cette opinion, il le regarderait comme hérétique 1. Il disait, non sans quelque semblant de raison, que, si les saints étaient privés de la vue de Dieu, il était inutile d'avoir recours, par la prière, à leur intercession. Il adressa au pontife une lettre par laquelle il l'invitait à laisser ces questions, ajoutant que la mission du chef de l'Église était de terminer les disputes et non de les provoquer 2. Il alla plus loin; il réunit à Vincennes tous les docteurs en théologie, évêques et abbés qui se trouvaient à Paris, et, l'assemblée ayant émis sur la vision béatifique des conclusions contraires au sentiment du pontife, il en fit dresser un acte authentique qu'il envoya à Avignon. C'était prendre en quelque manière, à la place du pape et contre lui, le rôle de défenseur de l'orthodoxie 3.

En Allemagne cette querelle théologique faillit avoir de bien autres conséquences. Michel de Gésène, Bonnegrace de Bergame et les autres religieux réfugiés à la cour de Louis de Bavière ne manquèrent pas de se prévaloir contre le pape des doctrines qu'il avait si imprudemment soutenues. Il y a plus; d'après des témoignages dignes de foi, les ennemis de Jean XXII virent là une occasion favorable pour le faire de nouveau déclarer hérétique et le déposer du pontificat. Pierre de Corbière venait de mourir, et c'était peut-être encore un motif qui les encourageait à ce dessein. Louis, irrité des intrigues que Jean XXII ourdissait alors en Allemagne pour l'élection d'un autre roi des Romains, entra dans un projet qui s'accordait avec ses ressentiments, et il trouva des complices jusque dans la cour d'Avignon. Le cardinal Napoléon des Ursins, qui ne pardonnait pas au pape de tenir le saintsiège éloigné de l'Italie, s'associa au complot et devait s'efforcer d'y entraîner les autres cardinaux. Le plan était de

1. Guil. de Nang. Chron. contin. anno 1333. — G. Villani, 1. X, c. 226.

2. G. Villani, ibid. Le roi de Naples, paraît-il, écrivit une lettre semblable au pontife.

3. Guil. de Nang. loc. cit..

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