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favorable. Des fièvres pestilentielles ravagèrent l'armée des croisés, et Frédéric lui-même fut atteint. Il prit la mer néanmoins 1; mais, au bout de quelques jours de navigation, son mal s'étant aggravé, il dut regagner les côtes de Sicile 2. Grégoire ne voulut voir dans cette maladie qu'un nouveau subterfuge auquel l'empereur avait recours pour éluder ses engagements, et, le 29 septembre, d'Anagni, où il était alors, il lança contre le monarque une sentence d'excommunication 3. En vain Frédéric envoya-t-il des députés au pape, pour attester les faits qui avaient motivé son retour et lui transmettre les assurances les plus formelles de repartir dès qu'il serait rétabli. Le 10 octobre, le pape publiait une encyclique où, parlant des serments si souvent prêtés, puis trahis par Frédéric, et allant jusqu'à l'accuser d'avoir à dessein exposé son armée à la fièvre et à la mort pour avoir encore une fois une raison de les trahir, il réitérait l'excommunication dont il l'avait frappé, ordonnait de notifier cette sentence par toute la chrétienté et menaçait d'user contre lui de peines plus graves s'il ne se soumettait aux sévérités de l'Église.

Grégoire ouvrait ainsi lui-même la lutte avec l'Empire. Mais, s'il avait pénétré les projets ambitieux de Frédéric, celui-ci ne se trompa point sur les vraies intentions du pontife. La sentence dont il était l'objet et qui cette fois pouvait sembler imméritée, les menaces qui accompagnaient cette sentence, les perfides imputations que Grégoire élevait contre lui, tout convainquit Frédéric que le chef de l'Église voulait moins le punir d'un retard apporté à la croisade que l'atteindre en sa puissance. Jugeant qu'il n'avait plus de ménagements à garder, il se départit de la politique de dissimulation qu'il avait adoptée jusque-là, et, par les attaques violentes que de son côté il dirigea contre le saint-siège, comme par la gravité que

1. Il s'embarqua le 8 septembre.

2. Rog. de Wendov.

les, in-4°, 1856.

3. Ricc. de S. Germ.

Chron. de reb. in Ital. gest. éd. Huillard-Bréhol

4. Hist. dipl. t. III, p. 23-30.

prit tout d'un coup le conflit ainsi engagé, il fut visible qu'il suffisait d'un événement pour ramener les luttes qui avaient agité le pontificat d'Innocent III et qu'elles n'avaient été que suspendues sous celui d'Honorius. Frédéric répondit d'abord à l'encyclique du 10 octobre par une circulaire où, se plaignant que le pape cherchât à lui aliéner les peuples, au risque d'ébranler un Empire « destiné par Dieu à la défense de la foi », il s'efforçait de justifier sa conduite antérieure aut sujet de la croisade. Il rappelait comment, lors de son élévation à l'Empire, il s'était de son propre mouvement croisé contre les Infidèles; que, si les circonstances l'avaient obligé plusieurs fois de différer son expédition outre-mer, il s'était néanmoins embarqué à la dernière date fixée par le saintsiège, et qu'un mal funeste, dont ne témoignait que trop la' perte d'une partie de son armée, avait été la seule cause de son retour. Il ajoutait que la sentence inique dont l'avait frappé le pontife ne l'empêcherait pas de persister dans son dessein de recouvrer la Terre sainte, qu'il partirait irrévocablement au mois de mai prochain, et il invitait tous les chréà se joindre à lui pour le service de Dieu 1.

Cette circulaire habile, dans laquelle Frédéric paraissait mettre au-dessus de ses ressentiments particuliers les intérêts de la Terre sainte, fut envoyée par lui à toutes les villes d'Italie et à Rome même, où, malgré la présence du pape revenu alors au palais de Latran, il sut obtenir du sénateur qu'elle fût lue publiquement au Capitole 2. Il ne se borna pas à cette déclaration. Portant plus haut le débat, il adressa aux souverains de l'Europe un manifeste où, accusant à son tour l'Église romaine, il dénonçait, avec son désir inconsidéré du pouvoir, l'abus qu'elle faisait de ses prérogatives. « Les biens ecclésiastiques ne suffisent plus à son avidité, disait-il; elle veut encore dépouiller les princes souverains et se les rendre tributaires. N'a-t-on pas vu le roi Jean d'Angleterre persécuté

1. 6 décembre 1227. Hist. dipl. t. III, p. 37-48.

2. Ricc. de S. Germ.

sans relâche et frappé d'anathème, jusqu'à ce qu'il se fût soumis envers elle à l'hommage et au tribut?. Le comte de Toulouse et d'autres princes n'ont-ils pas été aussi les victimes de cette politique perfide qui attaque aujourd'hui le chef de l'Empire? Les rois ont le devoir de s'opposer à de pareilles entreprises. Considérez, ajoutait-il, les exactions incessantes que les Romains exercent sur le clergé, les usures manifestes ou détournées dont ils infectent le monde. A les entendre, l'Église de Rome est notre mère et notre nourrice, tandis qu'en réalité ses actes sont ceux d'une marâtre. Elle envoie de tous côtés des légats, non pour répandre la parole divine, mais pour amasser de l'argent et recueillir ce que leurs mains n'ont pas semé. Ces hommes abâtardis osent aspirer à la possession des royaumes et des Empires. L'Église primitive était fondée sur la pauvreté et la simplicité, en ces temps éloignés où elle produisait comme une mère féconde tous ces pieux personnages qui sont inscrits au catalogue des saints. Or, nul ne peut asseoir d'autres fondations que celles de Jésus-Christ; et, quand on voit les prêtres romains bâtir sur la richesse, n'est-il pas à craindre que les murs du temple, reposant sur une base mauvaise, ne viennent un jour à fléchir? 1».

Si peu mesuré que pût paraître Frédéric dans ces accusations, il ne faisait que reproduire, sous une forme plus véhémente, celles que provoquaient, depuis plus d'un demi-siècle, les abus de la cour de Rome. Mais ce qui était nouveau, c'était ce souvenir de la primitive Église que les hérétiques seuls avaient jusqu'alors opposé aux mêmes abus, souvenir que François d'Assise avait fait revivre par ses prédications et par l'exemple de ses vertus, et dont Frédéric s'emparait aujourd'hui comme d'une arme pour attaquer la papauté; c'était aussi cette grave déclaration que l'Église, reposant sur

1. « In paupertate et simplicitate fundata erat Ecclesia primitiva, cum sanctos quos catalogus sanctorum commemorat fecunda parturiret; sed aliud fundamentum nemo potest ponere præter illud quod positum est a Domino Jesu ac stabilitum. Porro quia .. in divitiis edificant, timendum ne paries inclinetur Ecclesie. » Décembre 1227, Hist. dipl. t. III, p. 48-50.

des bases qui n'étaient pas celles de Jésus-Christ, pouvait s'ébranler un jour. Des attaques aussi hardies n'étaient pas pour adoucir Grégoire, et il ne tarda pas à faire éprouver à l'empereur un nouvel effet de sa sévérité. Frédéric avait, par un édit, menacé les évêques et les autres ecclésiastiques de son royaume de les priver de leur temporel, si, en raison de l'excommunication fulminée contre lui, ils refusaient de célébrer le service divin1. Le jeudi saint de l'année 1228, dans un synode à Rome auquel avaient été mandés, avec les prélats de la Lombardie, de la Toscane et de l'État ecclésiastique, ceux de l'Italie méridionale, Grégoire frappa pour la troisième fois l'empereur d'anathème, ordonna de cesser les offices partout où il résiderait, et annonça que, si le monarque excommunié continuait à profaner de sa présence les saints autels, il délierait ses vassaux et ses sujets de leur serment de fidélité 2.

Les rigueurs du pontife semblèrent d'abord tourner contre lui-même. Frédéric, qui, depuis quelque temps, négociait en secret avec la noblesse de Rome pour l'entraîner dans sa cause, avait amené les Frangipani et d'autres familles puissantes, dévouées jusqu'alors au saint-siège, à se placer dans la vassalité de l'Empire. Il avait acheté, pour des sommes considérables, leurs forteresses, leurs palais, leurs domaines, et les avait ensuite laissés comme fiefs aux mains de leurs possesseurs. Les nobles qu'il avait ainsi gagnés, se déclarant pour lui dans sa querelle avec le pape, poussèrent à la révolte le peuple de Rome, toujours prêt à se soulever au nom de ses libertés perdues. Quelques jours après la réunion du synode, comme Grégoire s'apprêtait, dans l'église Saint-Pierre, à prêcher contre l'empereur, la multitude se précipita vers l'autel et, allant jusqu'à mettre la main sur le pontife, le chassa du sanctuaire. Grégoire s'enfuit à Viterbe. Il y fut

1. Fin de l'année 1227. Hist. dipl. t. III, p. 51.

2. Hist. dipl. p. 52 55.

3. Ursperg. Chron. anno 1227.

4. Ricc. de S. Germ.

Rog. de Wendov., anno 1228.

poursuivi par les milices romaines, qui, après avoir tenté inutilement de s'emparer de cette place, se répandirent dans les campagnes environnantes et y portèrent le ravage. De Viterbe, qui lui semblait trop près du Capitole, Grégoire gagna Rieti, puis Spolète et enfin Pérouse 1, où il demeura près de deux ans en exil, éprouvant à son tour le sort que si souvent avaient subi ses prédécesseurs et montrant comme eux, par son exemple, que le chef de l'Église, qui prétendait commander aux princes, était impuissant à régner dans Rome.

Cependant Frédéric, fidèle à sa dernière résolution et, par une initiative hardie, entreprenant la croisade, non plus au nom de l'Église qui l'avait excommunié, mais au sien, avait quitté l'Italie. Yolande, sa seconde femme, qui venait de mourir, lui avait laissé un fils, du nom de Conrad. Confiant le gouvernement de l'Allemagne à son fils ainé Henri, roi des Romains, et celui du royaume de Sicile, à Rainald, fils de Conrad d'Urslingen, l'ancien duc de Spolète, qu'il nomma également vicaire impérial dans la Marche d'Ancône et les États de la comtesse Mathilde 3, il s'était embarqué à Brindes le 28 juin 1228. Après s'être arrêté dans l'ile de Chypre, il reprit la mer et atteignit Saint-Jean d'Acre vers les premiers jours de septembre. Il ne devait guère rester que huit mois en Syrie. Dans ce court intervalle, il accomplit par son habileté et sans répandre de sang ce qu'autrefois Barberousse avait vainement voulu entreprendre et que ni Philippe Auguste, ni Richard Coeur de Lion n'avaient pu accomplir par leurs armes. Un traité conclu le 12 février de l'année suivante avec les Infidèles lui assura la possession de Jérusalem, perdue depuis quarante et un ans, et la restitution du saint sépulcre. Les villes de Bethléem et de Nazareth, avec tout le pays compris entre Saint-Jean d'Acre et Jérusalem, étaient en outre

1. Il était à Pérouse le 13 mai 1228. Il y resta jusqu'au mois de février 1230. Voir à ces dates Potthast, Reg. pontif.

2. Conrad naquit à Andria le 26 avril 1228. Yolande, sa mère, mourut dix jours après.

3. Ricc. de S. Germ. Hist. dipl. t. III, p. 65.

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