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nus perçus par le saint-siège 1. Ainsi s'était par degrés transformée la cour de Rome. Après s'être proposé comme but la direction morale et religieuse du monde, elle n'avait cherché que la domination, et maintenant elle semblait s'abaisser au rôle d'une compagnie financière exploitant en commun le fonds de la chrétienté 2.

A la vérité, si l'on en croit Villani, c'était pour subvenir aux frais de l'expédition de Terre sainte que Jean se montrait aussi attentif à enrichir le trésor apostolique. Dans les premières lettres adressées par lui aux princes et aux évèques, il avait annoncé en effet que son vou le plus cher était de réaliser à cet égard la pensée de son prédécesseur3, et, à plusieurs reprises, durant son pontificat, il manifesta ces sentiments. Toutefois l'on put constater que son zèle sur ce point était moindre que sa prudence. Au commencement de l'année 1318, le roi d'Arménie, que menaçaient alors les Turcs, ayant envoyé des ambassadeurs en Occident pour hâter l'expédition projetée, Philippe le Long, qui s'était déjà croisé du vivant de son père, fit savoir au pape qu'il était dans l'intention de s'armer contre les Infidèles. Jean l'en dissuada par une lettre dans laquelle il disait : « Nous rendons grâces au ciel qui vous inspire le pieux désir de secourir la Terre sainte. Mais il convient que vous considériez dans quelles difficultés vous allez vous engager. C'est surtout pour une entreprise de cette nature que la paix est nécessaire entre les princes. Or cette paix si souhaitable est à peu près bannie de la chrétienté. Ce ne sont que guerres ou préparatifs de guerres.» Puis, montrant l'Allemagne déchirée par une double.

1. C'est ainsi que, sur les servitia versés en cour de Rome, il y avait une somme pour le pape et une autre pour le collège des cardinaux, payées chacune à des trésoriers distincts. Baluze, Vitæ, t. I, p. 744. Voy. ibid. t. II, p. 379-388, et 409-425, les testaments de deux cardinaux, datés le premier de l'année 1320, le second de 1321, et par lesquels on peut juger de la fortune et du train de maison qu'avaient alors les membres du sacré collège. 2. Hist. littér. t. XXVIII, p. 281.

3. Voy. dans Raynald. anno 1316, nes 6-9, les lettres où il notifie son élection.

élection, l'Angleterre et l'Écosse en armes, les rois de Naples et de Sicile toujours prêts à en venir aux mains: « Il n'y a pas jusqu'au roi d'Arménie, ajoutait-il, qui ne soit lui-même en hostilité avec le roi de Chypre. Vous n'ignorez pas que les princes chrétiens d'Espagne sont, de leur côté, en lutte contre les Maures. Enfin, en Lombardie, non seulement toutes les villes sont soulevées les unes contre les autres; mais chacune d'elles a la guerre dans son sein, et les tyrans qui règnent sur cette contrée ne se font obéir que par le fer et le feu. Vous jugez par là combien peu les circonstances présentes sont favorables à une croisade. Que si néanmoins vous persistez dans votre dessein, consultez les barons de votre royaume, mesurez vos forces et vos ressources et ne vous engagez pas, comme on l'a fait avant vous, dans une entreprise impossible1. » C'était la première fois que le chef de l'Église détournait ouvertement un souverain de l'expédition de Terre sainte. Rien ne montrait mieux à quel point était éteinte l'antique ferveur des croisades.

Cet état de déchirement que présentait la société laïque, image anticipée des troubles plus profonds par lesquels allait bientôt passer une partie de l'Occident, était également, sous d'autres formes, celui de la société religieuse. Il semblait que, par une sorte de contagion, elle commençât elle-même à se désorganiser. Jean n'était pas encore depuis un an en possession du saint-siège, qu'un complot, dont les causes sont demeurées obscures, se formait, dans l'entourage du pape, contre sa vie et celle de quelques-uns des cardinaux. C'était à l'aide de procédés magiques et de breuvages empoisonnés que les conjurés avaient tenté d'exécuter leur dessein. Jean, tout instruit qu'il était, croyait à l'effet de ces maléfices, ainsi que l'attestent plusieurs lettres qu'il écrivait alors et dans lesquelles il remerciait Dieu de l'avoir préservé de la mort2. Par son ordre, trois des coupables, parmi lesquels était son

1. 29 novembre 1318. Raynald. anno 1319, nos 17, 18.
2. Voir ces lettres dans Raynald. anno 1317, nos 52, 53.

propre médecin, furent mis à la torture. Un châtiment plus terrible fut infligé à Hugues Géraud, évêque de Cahors, accusé d'avoir pris part à cette conspiration. Déposé de sa dignité et destitué de la prêtrise, il fut condamné d'abord à une détention perpétuelle. Mais cette peine ne paraissant pas proportionnée à son crime, on le tira de sa prison, on l'écorcha vif, et, après l'avoir trainé en cet état par les rues d'Avignon, on le livra aux flammes. Encore voulut-on perpétuer, avec le souvenir du crime, celui du châtiment; et, au faîte de la tour du palais qu'avait habité le malheureux prélat,on plaça le glaive dont le bourreau s'était servi pour son supplice1.

Comment eût-on pu croire à la sainteté d'un pouvoir qui, pour punir la tentative ou peut-être la seule apparence d'un crime, descendait à toutes les cruautés des gouvernements profanes? Ce prétendu complot était à peine étouffé, que Jean se voyait en butte à des attaques d'une autre sorte. Les Franciscains schismatiques, autrement dits les Spirituels, que Clément V par un décret rendu au concile de Vienne avait voulu ramener à la règle commune, loin de se soumettre à ce décret, avaient pris, à la faveur de la dernière vacance pontificale, une plus grande indépendance. Répandus en Provence, en Toscane, en Sicile, séparés ouvertement des autres Frères mineurs, dont ils se distinguaient par la forme de leur vêtement et auxquels ils reprochaient de ne pas observer, conformément aux statuts, la pauvreté évangélique, ces religieux avaient fini par constituer un ordre, nommé un supérieur général et fondé des couvents. S'élevant contre les vices de la cour de Rome et ceux du clergé, ils prétendaient représenter l'Église selon l'esprit, tandis que celle à laquelle présidaient le pape et les évêques était, disaient-ils, une Église charnelle et corrompue et par cela même sans véritable autorité 2. Émanées de l'ordre considérable des Frères mineurs,

1. Baluze, Vilæ, t. I, p. 187, 737, 827. Cf. Raynald. anno 1317, no 54. Christophe, Hist. de la papauté au xiv° siècle, t. I, p. 292.

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2. Dans la bulle, que nous citons ci-après et où l'on trouve des renseignements détaillés sur les Spirituels, le pape, parlant de leurs erreurs, dit :

ces attaques, dont tant de sectes avant eux avaient donné l'exemple, offraient une gravité qui ne pouvait échapper au pontife. Au mois de janvier 1318, il publia une bulle où, flétrissant des doctrines qu'il qualifiait d'hérétiques, il enjoignait à ces religieux de rentrer dans la communauté dont ils s'étaient séparés, sous peine de se voir livrés de force à leurs supérieurs légitimes pour subir le châtiment dù à leurs fautes 1. Quelques-uns obéirent; d'autres allèrent en Sicile augmenter le nombre de ceux qui trouvaient auprès du roi Frédéric, peu favorable au saint-siège, un refuge presque assuré. Vingt-cinq Spirituels de la province de Narbonne, qui avaient déclaré, au mépris de la bulle pontificale, vouloir rester fidèles à la règle qu'ils s'étaient imposée, se virent traduits devant le tribunal de l'inquisition à Marseille. Vainement on leur représenta que les règles des religieux, ne recevant leur force que de la sanction du saint-siège, ne pouvaient subsister sans son approbation. Vingt-et-un furent condamnés à une prison perpétuelle. Quant aux quatre derniers, qui s'étaient montrés. plus que les autres attachés à leurs doctrines, ils furent, en présence de tout le clergé de la ville, dépouillés des marques de la cléricature, puis livrés au bras séculier et conduits au bûcher, où ils expièrent leur désir d'une vie plus conforme à l'Évangile et leurs attaques contre le pape2.

Ainsi, après avoir brûlé un évêque, on brûlait des religieux. Si l'on excepte les actes de fanatisme commis autrefois par un Conrad de Marbourg, on n'avait jusqu'ici condamné au bûcher que des laïques ou des hommes que l'Église avait quelque

<<< Primus error, qui de istorum officina tenebrosa prorumpit, duas fingit ecclesias; unam carnalem divitiis pressam, effluentem delitiis, sceleribus maculatam, cui romanum præsulem aliosque inferiores prælatos dominari asserunt; aliam spiritualem, frugalitate mundam, virtute decoram, paupertate succinctam, in qua ipsi soli eorumque complices continentur... Secundus error... venerabiles ecclesiæ sacerdotes aliosque ministros sic jurisdictionis et ordinis clamitat auctoritate desertos, ut nec sententias ferre, nec sacramenta conficere, nec subjectum populum valeant instruere vel do

cere. »

1. 21 janvier 1318, Raynald. eod. anno, nos 45-52.

2. Baluze, Miscell. t. II, p. 248 et ss. Cf. Raynald. anno 1318, no 53.

droit de renier, tels que les faux Apostoliques. En punissant avec cet excès de sévérité des serviteurs égarés, la papauté ne montrait pas seulement qu'elle ne se sentait plus assez forte pour user de clémence; elle discréditait imprudemment le clergé aux yeux des fidèles, à qui elle apprenait que des crimes contre la foi pouvaient être commis au sein même de l'Église. L'un des chefs de ces religieux, Bernard, surnommé Délicieux, qui était venu à Avignon pour défendre ses frères, avait été accusé, en particulier, d'avoir médit des tribunaux de l'inquisition et de s'opposer ainsi à la répression de l'hérésie. En diverses localités, à Albi, à Carcassonne, il avait par ses discours excité à ce point les esprits contre les inquisiteurs, que la population en armes avait pillé leurs demeures, leurs églises, et fait irruption dans leurs prisons où elle avait rendu à la liberté les hérétiques qui s'y trouvaient renfermés. A Toulouse, il avait été jusqu'à déclarer que saint Pierre et saint Paul, revenant en ce monde, ne pourraient éviter le soupçon d'hérésie, si on les poursuivait de ce chef selon les formes usitées en de semblables procès '. On n'avait pas vu encore des hommes, appartenant au clergé, flétrir ainsi publiquement une institution dont le saint-siège se servait pour combattre l'erreur. C'était flétrir le saint-siège lui-même dans les moyens de son pouvoir. Traduit en jugement, au mois de juillet 1319, Bernard dut sans doute à son grand âge et à ses infirmités d'échapper au bûcher. On se contenta, après l'après l'avoir dégradé, de le mettre aux fers dans les cachots de l'inquisition, où il mourut. Plus heureux que lui, ceux de ses frères qu'on avait incarcérés à Marseille parvinrent à s'évader. Mais, en partant, ils laissèrent dans un écrit ces terribles adieux : « Nous fuyons, non pas l'Église, mais une synagogue aveugle; non pas la foi, mais le masque de la foi; non pas le pasteur, mais le loup qui dévore le troupeau;

1. « Publice asseruit Tolosæ quod beati Petrus et Paulus ab hæresi defendere se non possent si viverent, dum inquireretur cum eis per modum ab inquisitoribus observatum. » Voir le texte de la sentence rendue contre Bernard Délicieux dans Baluze, Vitæ, t. II, p. 344-358.

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