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Nicolas IV, tendait à dégénérer en un pouvoir tout laïque. Ce n'était assurément pas sous un pontife capable de ces excès que pouvaient diminuer les désordres de la cour de Rome. Les décimes exigées arbitrairement du clergé pour des entreprises étrangères à la religion', les nominations directes aux prélatures et sans autre titre que la faveur, les collations de bénéfi ces avant qu'ils fussent vacants, les commendes, dont l'usage ne datait guère que du milieu du siècle et par lesquelles étaient accordés à des ecclésiastiques ou même à des laïques les revenus d'évêchés ou d'abbayes laissés à dessein sans titulaires, et tant d'autres abus si souvent signalés sous les pontificats précédents, avaient pris comme une nouvelle extension. Il semblait que l'Église fùt devenue dès lors un fief du saint-siège. Les cardinaux, non contents de la part qui leur était attribuée dans les revenus apostoliques, cumulaient, avec l'assentiment du pape, les lucratives prébendes, les riches bénéfices. A la vérité, lui-même étant cardinal, touchait les revenus de dix ou douze canonicats. Il est superflu d'ajouter que les actes de vénalité, dont il est difficile de croire que Boniface n'eût pas connaissance, étaient plus que jamais passés en coutume. En ce moment même, le comte de Flandre, qui craignait de se voir attaqué par Philippe le Bel à l'expiration de la trève conclue à Tournay, s'efforçait par ses ambassadeurs de se ménager la protection du saint-siège, et, pour atteindre ce but, il semait l'argent dans la cour pontificale, achetant non seulement les cardinaux, mais jusqu'aux moindres offi

1. Les décimes attribuées par Boniface à Charles II et à Jacques d'Aragon n'étaient pas les seules taxes qu'il eût imposées au clergé. Le 23 février 1298, il avait demandé aux Frères hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem 12,000 florins d'or pour l'aider à combattre les Colonna. Potthast, Reg. pontif. no 24630. Le 1er octobre de la même année, il écrivait à son légat en France que les dépenses de la guerre de Sicile épuisaient ses ressources et il lui ordonnait de suspendre de leurs dignités les membres du clergé, séculier ou régulier, qui refuseraient de subvenir à ces dépenses. Potthast, ibid., no 24727, 24728.

2. Voir la bulle de Martin IV, du 12 avril 1281, conférant à Benoît Cajétan la dignité de cardinal, avec permission de conserver les nombreuses préhendes dont il jouissait alors.

ciers du pape 1. Ce que faisaient les séculiers, les ecclésiastiques le faisaient également. Les prélats qui venaient à Rome pour obtenir la confirmation de leurs dignités, suivre un procès ou solliciter quelque grâce, se voyaient obligés de s'assurer, au même prix, le bon vouloir de ceux de qui dépendait, à des degrés divers, le succès de leurs démarches.

Le spectacle de ces coupables trafics était, comme toujours, ce qui soulevait de la part des contemporains le plus de récriminations. Les mêmes pamphlets auxquels, sous Nicolas IV, ils avaient donné lieu contre l'Église romaine continuaient de se produire. Dans l'année qui suivit la destruction de Palestrine, un maître d'école de Bamberg écrivait un poème qu'il intitulait le Coursier, parce que cet écrit, disait-il, devait courir à travers le monde et porter ces hontes à la connaissance de tous. Dans ce poème, devenu bientôt populaire et où se mêlaient à des accusations trop fondées d'injustes imputations, les plus violentes invectives étaient dirigées contre la cour de Rome. Rappelant que c'étaient des malfaiteurs qui avaient fondé la Rome païenne, l'auteur osait écrire que les chanceliers, les secrétaires, les camériers et tous les officiers qui constituaient la Rome papale méritaient d'être flétris du même nom. Il disait qu'auprès d'eux on pouvait, à prix d'argent, se racheter du péché et du crime même. Faisant allusion aux dispenses, munies du sceau pontifical, qu'ils délivraient aux solliciteurs : « En obtenant d'eux une feuille de parchemin et un morceau de plomb, le meurtrier retrouve le calme de la conscience. Le plomb est la monnaie de Rome, elle l'échange contre l'or et l'argent. » Il représentait la simonie, autrefois si sévèrement proscrite par les papes, comme

1. Voy. Kervyn de Lettenhove, Recherches, etc., p. 63 et passim. Deux mois avant que Boniface rendit sa sentence arbitrale entre la France et l'Angleterre, sentence dans laquelle, ainsi que nous l'avons dit, n'était pas compris le comte de Flandre, les ambassadeurs de ce prince lui écrivaient de Rome « Vous savez que la cour de Rome est très désireuse d'argent, et que quiconque veut en obtenir quelque chose ne doit épargner ni les dons, ni les promesses. Aussi avons-nous pourvu pour vous les moindres avocats de la cour. » Ibid. p. 31, 32.

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régnant de nouveau en souveraine dans l'Église romaine. «< A Rome, disait-il, les indulgences, les évèchés, les abbayes, tout est à l'encan. Vous pouvez y acheter saint Pierre, et l'on vous donnera encore saint Paul par dessus le marché1. »

Par une conséquence naturelle, à proportion que se multipliaient les attaques contre la cour de Rome, les idées de réforme prenaient plus de consistance. Ce n'étaient déjà plus, comme chez Roger Bacon et Pierre Olive, des aspirations vagues à un autre état de choses. Les hommes réfléchis de la société laïque commençaient à préciser les changements qui leur paraissaient nécessaires. On sentait, plus qu'on n'avait fait encore, que le pouvoir temporel du saint-siège, ainsi que la suprématie qu'au point de vue politique il prétendait exercer sur les gouvernements de l'Europe, était pour la papauté une cause de corruption, et qu'il fallait qu'elle rentrât dans le domaine spirituel dont elle s'était écartée. Dans le temps mème que le maître d'école de Bamberg écrivait son Coursier, un légiste français, Pierre Du Bois, adressait à Philippe le Bel un mémoire que lui inspirait, avec le dessein non dissimulé de flatter l'ambition du roi et d'accroître sa puissance, le sentiment de la nécessité de ces réformes, et qui montrait de quel esprit hardi certains hommes jugeaient alors la situation de l'Église.

Dans ce mémoire, Du Bois conseillait à Philippe d'ouvrir des négociations avec le pape, en vue de se substituer à lui dans tout ce qui regardait le temporel du saint-siège. Il voulait que le pontife abandonnât au roi la suzeraineté de la Sicile, de l'Aragon, de l'Angleterre et des autres royaumes feudataires de l'Église romaine; qu'il lui transmit en outre, avec tous ses droits temporels en Italie, le gouvernement de Rome, et qu'en échange de cet abandon, le chef de l'Église reçût une pension annuelle équivalente à la somme des revenus qu'à des titres divers il tirait de l'Italie et des autres

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1. Bossert, Littérature allemande au moyen âge, Paris, 1882. Hist. littér. t. XXII, p. 154.

États de la catholicité. C'était renouveler, sous une forme agrandie et plus nette, la proposition que Frédéric II avait tentée jadis auprès d'Innocent IV. Un pareil traité, disait Du Bois, serait avantageux au pape, qui se verrait assuré de percevoir des revenus que, par les moyens dont il dispose, il est impuissant à se procurer. Le plus souvent on n'élit pour pontifes que des vieillards qui, sans expérience des armes, ne peuvent par cette raison triompher de leurs sujets rebelles, et dont la faiblesse n'est qu'un encouragement à des guerres sans fin. Rattachant à une juste appréciation des devoirs de la papauté les idées qu'il exprimait : « Le Père des fidèles, ajoutait-il, en raison du caractère de sainteté dont il est revêtu, doit aspirer uniquement à la gloire de pardonner, vaquer à la lecture et à l'oraison, rendre, au nom de l'Église, des jugements équitables, veiller enfin au salut des âmes que Dieu lui a confiées. Quand, au contraire, il provoque la guerre et l'homicide, il donne un exemple pernicieux et fait ce qu'il prétend réprimer chez les autres. Si donc il dépend de lui de conserver ses ressources ordinaires sans être détourné du soin des âmes qui doit seul lui convenir, et que néanmoins il refuse un si grand avantage, n'encourra-t-il pas les reproches de tous pour sa cupidité, son orgueil et sa téméraire présomption? >>

Jamais l'idée de réduire le chef de l'Église à un pouvoir exclusivement spirituel n'avait été formulée en termes aussi précis. Du Bois ne bornait pas ses voeux à cette innovation. Considérant non plus seulement la cour de Rome, mais l'ensemble de l'Église, où il lui paraissait également nécessaire d'introduire des réformes, il demandait que, de concert avec le pape, le roi avisât à restreindre le domaine trop vaste de la juridiction ecclésiastique. On remédiera ainsi, disait-il, à cet abus des excommunications qui sont l'unique sanction des jugements des évêques, et par lesquelles des milliers d'âmes sont précipitées chaque jour de la voie du salut dans la voie de perdition. Une réforme non moins désirable à ses yeux, réforme dont la pensée lui était suggérée par le spectacle des

mœurs relâchées du clergé, mais si hardie qu'il n'osait en parler qu'à mots couverts, c'était l'abolition du célibat des prètres. « Si les saints pères, écrivait-il, avaient eu autant l'expérience du monde qu'ils avaient de piété et de savoir, ils n'auraient sans doute pas imposé le célibat aux ecclésiastiques. En fait, ils ont éloigné du sacré ministère les hommes qui vivaient dans le mariage; mais ils n'ont pas repoussé et, à leur exemple, on ne repousse pas davantage aujourd'hui les fornicateurs, les adultères, les incestueux, qui, contraints de cacher leurs désordres, sont voués par cela même à la dissimulation et à l'hypocrisie. Tous font vou de continence, mais peu l'observent. L'Apôtre permettait à chacun d'avoir une épouse et de l'avoir publiquement. De nos jours, on a des concubines et des amantes adultères, en feignant de n'en pas avoir. C'est ce que savent les Frères prêcheurs et mineurs qui connaissent mieux que personne l'état de la société1. »

1. Mém. de l'Acad. des inscr. et belles-lettres, t. XVIII, 2o part. p. 443, 444, 467. Cf. un travail de Renan sur Pierre Du Bois, Hist. litter. t. XXVI, p. 490, 491, 497.

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