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Louis VIII n'avait pas seulement apporté à l'orthodoxie le secours de ses armes. Avant d'entrer en Languedoc, il avait publié une ordonnance dont l'effet devait subsister après lui, et par laquelle il avait décidé que tout individu reconnu coupable d'hérésie subirait la peine « due à son crime. » C'était désigner implicitement la peine du feu dont les combattants de la croisade contre les Albigeois avaient, depuis seize ans, importé l'usage dans le midi. Par cette même ordonnance, les fauteurs des hérétiques étaient punis de la confiscation des biens et de la privation de tous les droits civils 1. On doit ainsi à Louis VIII la première loi rendue en France où ait été sanctionnée la punition de l'hérésie par le supplice du feu 2. Ce prince ne faisait au reste que suivre un exemple donné récemment par Frédéric. L'empereur ne s'était pas borné à la constitution que, le jour de son couronnement, il' avait publiée contre les hérétiques des diverses parties de l'Empire, et, au mois de mars 1224, il avait rendu pour les provinces lombardes un édit plus sévère. « En recevant le gouvernement de l'Empire, mandait-il à l'archevêque de Magdebourg, son vicaire en Lombardie, nous avons été établi par Dieu le défenseur de l'Église, et nous ne pouvons tolérer que, dans le voisinage de cette chaire de saint Pierre d'où les fleuves de la vérité se répandent jusque chez les nations les plus éloignées, l'hérésie ose apporter sa corruption. Si nous nous abstenions de sévir, nous manquerions à nos devoirs envers Dieu, qui ne nous a remis le glaive temporel que pour en frapper ses ennemis. Voulant donc réprimer un crime aussi abominable, nous ordonnons par cette constitution que, dans toute la Lombardie, les hérétiques soient saisis par les représentants de notre autorité et livrés aux flammes, à moins que, pour l'exemple, on ne les laisse traîner une misérable vie, après leur avoir arraché la langue, organe de leurs blasphèmes 3. »

1. Avril 1226. Ordonn. des rois de France, t. XII, p. 319, 320.
2. J. Havet. Bibl. de l'Éc. des Chartes, année 1880, p. 595, 596.
3. Hist. dipl. t. II. p. 421-423.

Telles étaient les preuves de piété que le chef de l'Église, égaré par des principes qui semblaient en opposition avec son caractère, demandait aux souverains ou acceptait de leur zèle. Déjà, sous Innocent III, une loi analogue avait été introduite en Espagne par Pierre II, roi d'Aragon 1. Dès lors le supplice du feu, qui n'avait guère été infligé aux hérétiques que dans les pays du Nord sous l'empire de coutumes que n'autorisait aucune législation précise, commença d'être appliqué, en vertu d'édits positifs, dans plusieurs parties du Midi et allait l'être bientôt dans tout l'occident de l'Europe. Ce n'est pas que Louis VIII, ni Frédéric, en publiant ces lois rigoureuses, fussent poussés par le fanatisme. Louis ne s'était porté contre les hérétiques du Languedoc que dans la pensée d'accroître les possessions de sa couronne, et il avait voulu sans doute témoigner, au début, de son zèle pour la foi. Quant à Frédéric, on peut d'autant moins le taxer de fanatisme, que, dans l'année où il ordonnait de brûler les hérétiques lombards, il conférait les plus grands privilèges et laissait le libre exercice de leur culte aux Sarrazins de Sicile confinés par lui dans la ville de Lucéra 2. Mais, à ce moment, décidé à retarder encore son départ pour la Terre sainte, il jugeait. utile de donner au pape des gages de sa piété. En même temps que l'ancienne foi s'altérait, l'hypocrisie commençait chez les princes. On peut dire aussi qu'à certains égards elle commençait dans l'Église ; car, dans tous les décrets rendus alors par elle contre les hérétiques, elle n'indiquait jamais le châtiment auquel ils devaient être soumis, laissant aux souverains temporels le soin de désigner et d'appliquer la peine. C'est ainsi qu'elle était fidèle aux doctrines de son passé qui lui ordonnaient de rester pure de sang.

1. J. Havet, loc cit., p. 593.

2. Il est inutile de dire que, sur ce dernier point, Frédéric ne rendit aucun édit positif et que les Sarrazins n'obtinrent de continuer à pratiquer leur culte que par une tolérance de sa politique. Jusqu'à la fin du treizième siècle, où ils cessèrent de compter comme population, ils gardèrent leur religion. Hist. dipl. Introl. p. 398. Cf. Cherrier, Hist. de la lutte des papes el des empereurs, t. II, p. 26, note 1.

Ce concours intéressé que les souverains séculiers apportaient au saint-siège pour la répression de l'hérésie n'eût peut-être pas suffi à maintenir l'intégrité de la foi, si la papauté n'eut trouvé dans l'ordre des Frères prêcheurs et celui des Frères mineurs, appelés du nom général d'ordres mendiants, d'ardentes milices vouées spécialement au rassermissement de la religion. Fondés l'un et l'autre sur la fin du pontificat d'Innocent III, ils avaient été reconnus par Honorius, le premier en 1216, le second en 12191. Celui des Frères prêcheurs, qu'avait institué le moine espagnol Dominique, avait surtout pour objet de prêcher les hérétiques et de les ramener à l'obéissance de Rome. L'ordre des Frères mineurs, établi par François d'Assise, était tenu de même au devoir de la prédication; mais, dans cette prédication, les frères devaient s'adresser aux orthodoxes non moins qu'aux hérétiques et répandre également sur tous le bienfait de la parole divine. Ce qui caractérisait ces deux ordres, ce n'était pas seulement le but dans lequel ils avaient été fondés. Sentant la force que donnait aux adversaires de l'Église le spectacle des déréglements du clergé, Dominique avait assigné pour base à son institut la pauvreté volontaire. Les Frères prêcheurs, dans l'accomplissement de leur mission, devaient parcourir à pied, deux à deux, les villes et les villages, et, demandant leur subsistance à l'aumône, ne porter avec eux que l'Évangile de saint Matthieu et les Épîtres des Apôtres. Lorsque Dominique mourut en 1221, ses dernières paroles furent pour défendre, sous peine de la malédiction divine, qu'on introduisit dans l'ordre les possessions temporelles 2. Plus encore que les Frères prêcheurs, les Frères mineurs étaient astreints à la pauvreté parfaite. Ils ne pouvaient posséder ni monastères, ni églises, ni maisons, ni terres. Il leur était ordonné

1. L'ordre des Frères prêcheurs fut reconnu par une bulle du 22 déc. 1216, et celui des Frères mineurs par une bulle du 11 juin 1219.

2. Sur S. Dominique et les commencements de l'ordre des Frères prêcheurs, voir Annalium sacri ordinis prædicatorum centuria prima, auctore Thoma Malvunda, 1626.

en outre de ne prêcher qu'avec l'assentiment de l'évêque dans le diocèse duquel ils se trouvaient. «< Votre privilège, leur disait François d'Assise, c'est de n'avoir pas de privilège; quand les évêques verront que vous vivez saintement et sans entreprendre sur leur autorité, ils vous prieront d'eux-mêmes de travailler avec eux au salut des âmes qui leur sont confiées. » A sa mort, qui eut lieu au mois d'octobre 1226, il recommanda à ses frères, comme Dominique avait fait aux siens, de garder la pauvreté, et il leur défendit expressément de jamais solliciter, ni pour leur œuvre, ni pour leur sûreté personnelle, aucune lettre en cour de Rome 1.

Dans les règles assignées à ces deux ordres, on ne saurait méconnaître des tentatives de réforme nées du sentiment des périls que traversait alors l'Église. L'un et l'autre, à des degrés divers, étaient une protestation, non seulement contre le luxe et les mœurs profanes du clergé, mais contre l'abus des privilèges qui brisait toute hiérarchie, contre l'oubli où semblait tombé l'enseignement des divines Écritures. Les hommes pieux de ce temps ne s'y trompèrent pas. L'institut des Frères mineurs surtout fut, au début, exalté par eux comme un retour à la pauvreté et à l'humilité de la primitive Église, comme un effort vers une vie de perfection que depuis longtemps on ne connaissait plus 2. Si l'on considère qu'à la mort de Dominique, en 1221, il y avait déjà soixante communautés de son ordre répandues en Europe, et qu'au premier chapitre général que tint François d'Assise, en 1219, étaient réunis plus de cinq mille Frères mineurs 3, on voit combien, en dépit de tant de germes funestes qui tendaient à la corrompre, l'Église possédait encore en elle-même d'éléments de vitalité. Mais ni François d'Assise, ni Dominique ne semblèrent

1. Wadding. Annal. minor. Anno 1226, t. I, p. 352. Pour les publications parues en ces derniers temps sur saint François d'Assise, voy. Revue historique, mai-juin, 1892, p. 133-135.

2. Voy. ce qu'en dit Jacques de Vitry dans ses Lettres inédites, Mém. de l'Acad. de Belgique, t. XXIII, 1849.

3. Wadding. Annal. Minor. anno 1219.

comprendre qu'un des plus grands maux de l'Église était dans l'étendue même du pouvoir exercé par le saint-siège. L'entière soumission à ce pouvoir était, à leurs yeux, une nécessité de la foi; et en faisant prévaloir partout, par leurs prédications comme par leur propre exemple, l'autorité de la cour de Rome, les ordres mendiants favorisèrent, à certains égards, les abus que, par d'autres côtés, ils semblaient destinés à combattre.

C'était assurément un symptôme grave que ces tentatives de réforme ne partissent pas de l'initiative de la papauté. Ce fait seul attestait que, si celle-ci conservait le gouvernement extérieur de l'Église, elle en perdait déjà la direction morale. Loin qu'avertie par de si louables exemples, la cour de Rome fit quelque effort pour sortir de la voie des abus, il semblait qu'elle s'y engageât davantage. En Angleterre, après la mort du roi Jean, tous les ecclésiastiques convaincus d'avoir pris part à la révolte contre ce prince, évêques, abbés, prieurs, chanoines, avaient été dépouillés de leurs dignités par le cardinal Galon, et ils n'étaient rentrés dans les bonnes grâces du saint-siège qu'en achetant cette faveur de sommes considérables. L'évêque de Lincoln, en particulier, n'avait pu reprendre possession de son église qu'en payant mille marcs d'argent à la chambre apostolique et cent au légat. Comme si la modération naturelle et le peu de fermeté d'Honorius eussent été un encouragement aux désordres, plus que jamais la justice à Rome était rendue à prix d'argent. Les dons faits au début des procès ne suffisaient pas, et il fallait les renouveler pendant tout le cours des débats. Un prélat de Portugal, l'archevêque de Braga, fit ainsi distribuer, par l'intermédiaire des banquiers romains, trois mille florins aux cardinaux 2.

Les abus de ce genre étaient si notoires, que la cour de Rome

1. Rog. de Wendov. anno 1217. Voir dans Raynald. anno 1220, no 48, les prévarications d'un légat envoyé en Espagne pour recueillir l'argent destiné à l'expédition de Terre sainte.

2. Voir Hercolano de Carvalho, Historia de Portugal, t. II, p. 294 (Lisboa, in-8°, 1846 et années suiv.), qui a extrait ce compte d'un manuscrit du Vatican. Cf. Le Pape et le concile. Trad. Giraud-Teulon, p. 244, 1869.

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