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à Naples par complaisance pour Charles. C'était ouvertement substituer à leur influence l'influence de ce prince. Des murmures, des réclamations se firent bientôt entendre autour de Célestin. Dans une pieuse intention, il remit en vigueur la constitution de Grégoire X sur le conclave 1. Cette dernière mesure acheva de lui aliéner les anciens cardinaux, qui résolurent dès lors de lui ôter une dignité dont l'avaient si imprudemment investi leurs suffrages.

Ils furent secondés dans leur dessein par Célestin lui-même. Au milieu de soins si nouveaux pour lui, le pauvre ermite regrettait sa solitude. Il s'était fait construire une cellule dans le palais qu'il habitait à Naples, et il s'y retirait de temps à autre pour se livrer à la méditation. Inquiet des plaintes qui parvenaient jusqu'à lui, fatigué surtout du souci des affaires, il exprima le désir de se décharger d'un fardeau trop pesant. Plusieurs des cardinaux qui l'avaient élu l'encouragèrent dans cette pensée, lui insinuant qu'il compromettait les intérêts de l'Église et ne pouvait rester sur le saint-siège avec sûreté de conscience. A en croire certains témoignages, des artifices coupables, des fraudes même furent employés pour effrayer les scrupules de Célestin, qui se détermina enfin à abdiquer. Benoît Cajétan, l'un des anciens cardinaux dont tout prouve que les conseils excrcèrent le plus d'influence sur le faible esprit du pontife, prépara un acte de renonciation, que, le 13 décembre, cinq mois après son élection, Célestin lut lui-même en présence. de tout le sacré collège. Dans cet acte, il déclarait que son peu de santé, son ignorance, le désir d'une vie plus parfaite, celui de retourner aux consolations de son existence passée, le décidaient à se démettre du saint-siège 2. Il fit ensuite rédiger, sur la demande d'un des cardinaux, une constitution établissant qu'il était licite à un pape de renoncer à sa dignité et aux membres du sacré collège d'accepter cette re

1. 28 septembre 1294. Raynald. eod. anno, no 17.

2. Ptol. Luc. Hist. eccles. 1. XXIV, c. 33. Raynald. anno 1294, n° 20. Tosti, Hist. de Boniface VIII, t. I, p. 105, 109. Cf. Potthast, Reg. pontif. 13 décembre 1294.

nonciation. Se dépouillant alors des insignes pontificaux et revêtant la robe de bure, il quitta l'assemblée; et, après un court séjour à Naples, il reprit le chemin de ses montagnes.

Au sortir du scandale d'un aussi long interrègne, c'était assurément un nouveau discrédit jeté sur la cour de Rome que cette renonciation d'un homme dont on s'accordait partout à honorer la piété. Elle prouvait combien les vertus évangéliques étaient peu à leur place dans cette cour et combien aussi étaient vaines les espérances de ceux qui, comme Roger Bacon, auraient pu attendre d'un saint pontife la réforme de l'Église. Dix jours après cet événement, les cardinaux, au nombre de vingt-deux 2, se réunissaient en conclave à Naples, conformément à la constitution de Grégoire X qu'avait renouvelée Célestin 3. La remise en vigueur de cette constitution eut pour effet de hâter l'élection, et, le lendemain, 24 décembre, Benoit Cajétan était désigné à la pluralité des voix. Outre que, par la part prépondérante qu'il avait eue dans la renonciation de Célestin, il avait dû se rallier quelques-uns des anciens car linaux, il ne parait pas douteux que, par des promesses faites à Charles II au sujet de la Sicile, il ne se fût concilié un certain nombre de ceux qui étaient les créatures de ce prince. Issu d'une famille noble d'Anagni et neveu

1. Cette constitution fut insérée depuis au texte des Décrétales. Sext. Decret. 1. I, tit. VII, art. 1.

2. Indépendamment du cardinal français Jean Cholet mort à Rome en 1292, le cardinal Latino Malabranca était mort à Pérouse peu après l'élection de Célestin.

3. Il l'avait confirmée de nouveau la veille de son abdication, le 10 décembre 1294. Raynald. eod. anno, no 17.

4. G. Villani, I. VIII, c. 6. Les assertions de Villani à ce sujet ne nous semblent contestables que dans les détails dont il a accompagné son récit. Il serait difficile de comprendre l'élection de Benoit Cajétan sans une entente préalable avec Charles, qui disposait d'un nombre considérable de voix dans le sacré collège et avait en outre, en vertu de la constitution de Grégoire X, la garde du conclave. Cette entente nous paraît d'ailleurs confirmée et par les relations de Charles avec le nouveau pape au lendemain de son avénement et par les mesures que prit le pape pour remettre ce prince en possession de la Sicile, mesures qui dépassaient de beaucoup la portée d'un simple concours. Voy. Gregorovius. Storia di Roma, t. V, p. 598, 601.

d'Alexandre IV, attaché dès le temps mème de ce pape à la cour pontificale, il y avait exercé les fonctions d'avocat consistorial, puis celles de notaire apostolique et, sous Martin IV, était devenu cardinal 1. Il avait été l'un des deux légats que Nicolas IV avait envoyés vers Philippe le Bel pour se plaindre des vexations commises en France à l'égard du clergé. Les suffrages ne pouvaient se porter sur un homme qui fût plus l'opposé de son prédécesseur. Versé dans le droit civil aussi bien que dans le droit canon, habitué de longue date au maniement des affaires, d'une figure imposante, ami de l'éclat et de la représentation, hautain, entreprenant et, comme autrefois Grégoire IX, montrant dans un âge qui était déjà celui de la vieillesse, toute la vigueur de l'âge mûr, le nouveau pontife adopta le nom demeuré célèbre de Boniface VIII.

Si disposé qu'il fût en faveur de Charles II, il ne l'était pas au point de vouloir laisser la cour pontificale à Naples, et, aussitôt après son élection, il quitta cette ville pour aller s'établir à Rome. Ce prince l'accompagnait avec son fils, Charles Martel. En passant par Anagni, sa ville natale, Boniface reçut une députation des Romains qui venait lui offrir la dignité de sénateur. A l'exemple de ses devanciers, il nomma un délégué pour en remplir les fonctions 2. Le 23 janvier 1295, il fut sa cré à Rome dans l'église Saint-Pierre. La pompe de son couronnement dépassa tout ce qu'on avait encore vu. Des arcs de triomphe avaient été dressés sur tout le trajet qu'il devait parcourir pour se rendre, selon la coutume, de l'église SaintPierre au palais de Latran. Indépendamment des cardinaux et de nombreux prélats que suivaient les officiers apostoliques et les magistrats de la cité, on voyait dans le cortège tous les seigneurs de Rome, les Orsini, les Colonna, les Conti, les Annibaldi, avec les barons et les podestats des États de l'Église

1. « Longo tempore experientiam habuit curie, quia prino advocatus ibidem, inde factus notarius papæ, postea cardinalis. » Ptol, Luc, Hist. eccles. 1. XXIV, c. 36.

2. Gregorovius, Storia di Roma, t. V, p. 602.

et une foule de nobles Napolitains. Le pape, le front ceint de la tiare où étincelaient, au-dessous d'une riche escarboucle, des pierres précieuses et des cercles de rubis, était monté sur un cheval blanc que recouvrait une housse de pourpre et que conduisaient par la bride Charles II et son fils. Il arriva ainsi au palais de Latran, où, dans une salle décorée des étoffes les plus somptueuses, un festin avait été préparé pour les principaux personnages du cortège. Sur les tables destinées aux convives brillaient, avec la vaisselle d'or et d'argent, les coupes enrichies de pierreries. Boniface, assis en habits pontificaux à la table la plus élevée, fut servi par le roi de Naples et son fils, revêtus l'un et l'autre des insignes de la royauté. Il avait voulu lui-même toute cette magnificence. Par cette pompe toute profane il croyait rehausser une dignité que son prédécesseur avait paru abaisser par sa simplicité.

L'orgueilleux pontife n'était pas sans se rendre compte de ce qu'il y avait d'irrégulier ou tout au moins d'insolite dans le fait de succéder à un pape qui avait abdiqué. A peine installé à Rome, il publia une bulle par laquelle étaient révoquées toutes les grâces accordées par Célestin, faveurs inconsidé rées, écrivait-il, qu'avaient arrachées à son inexpérience les intrigues de ceux qui l'entouraient. Il n'alla pas toutefois jusqu'à abroger la constitution de Grégoire X sur le conclave et la fit même insérer plus tard dans le corps du droit canon3, où elle devait demeurer, il est vrai, à l'état de lettre morte. En signalant ainsi publiquement l'incapacité de son prédécesseur, il justifiait en quelque sorte sa propre élévation. Il prit une autre mesure concernant Célestin lui-même. Comme les partisans du pieux anachorète prétendaient qu'il

1. Tosti, Hist. de Boniface VIII, t. I, p. 141-145. Gregorovius, ibid., p. 603, 604.

2. 8 avril 1293. Potthast. Reg. pontif. no 24061-24063.

3. Sext. Decret. I. I, tit. vr, 3. c'est le 3 mars 1298 (Potthast, n° 24,632) que fut publié le Sexte, qui contient, comme on sait, les constitutions rendues par les papes, y comprises celles de Boniface, depuis la collection

publiée par Grégoire IX.

n'avait

pas eu le droit de renoncer au pontificat, et que Dieu, qui seul conférait cettte dignité, pouvait seul la retirer, Boniface craignit qu'on n'abusât de sa simplicité pour lui persuader de remonter sur la chaire apostolique. Il voulut prévenir une tentative qui eût pu compromettre son autorité et donna des ordres pour qu'on se saisit de la personne de Célestin. Celui-ci, qui avait été averti de ce dessein, s'étant dérobé par la fuite, le roi Charles II, pour complaire à Boniface, envoya à sa poursuite. On le trouva errant à quelques milles de Viesti, et on l'amena devant le pontife, qui était alors à Anagni. Après avoir consulté les cardinaux, dont les uns voulaient qu'on lui laissât la liberté et les autres qu'on le gardât étroitement, Boniface adopta la seconde opinion et le fit enfermer au château de Fumone, en Campanie, où, par un reste d'égards et pour consoler sa piété, on lui construisit une cellule. Le pauvre religieux y mourut au bout de neuf mois de captivité. Cette mort, en délivrant Boniface d'un rival qu'on eût pu lui susciter, l'affermit sur le saint-siège, mais lui nuisit dans l'opinion. Ceux qui avaient honoré Célestin comme un saint le vénérèrent comme un martyr; et, la passion exagérant bientôt les circonstances de sa fin, Boniface passa à leurs yeux pour son meurtrier.

Ce traitement infligé par Boniface à son innocent prédécesseur dans l'unique but de garantir son pouvoir, l'éclat inusité de son couronnement, son rôle équivoque dans l'abdication de Célestin, tout décélait en lui une âme ambitieuse. Son ambition toutefois n'était pas sans grandeur. En montant sur la chaire de saint Pierre, il s'était proposé de reprendre les projets de Nicolas IV sur la Terre sainte. Désireux de relever dans ces contrées l'ascendant que le saint-siège avait perdu, il eût voulu non seulement reconquérir la Palestine, mais rétablir du même coup l'Empire latin de Constantinople et ra

1. Fris par un capitaine napolitain en juin 1295, puis enfermé au château' de Fumone vers la mi-août, Célestin y mourut le 16 mai de l'année suivante. Pour tous ces faits, voir Raynald. anno 1295, no 11-15, qui a cité les divers textes d'où ils sont tirės.

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