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saint-siège avait pris Charles Martel et qu'il continua de porter, André le Vénitien demeura maître du royaume.

Les affaires de Sicile, que la papauté avait été jusqu'ici impuissante à régler, vinrent encore fournir une autre preuve de cet affaiblissement politique du saint-siège. Charles le Boiteux ayant désintéressé le frère de Philippe le Bel de ses prétentions sur l'Aragon en lui cédant les comtés de l'Anjou et du Maine, une nouvelle convention avait été conclue le 19 février 1291, par laquelle Alfonse demeurait en possession de son royaume, sous la condition de demander pardon au pape, de rendre les otages qu'il détenait entre ses mains et de ne prêter, sous quelque forme que ce fût, aucun secours à son frère Jacques pour conserver la Sicile 3. C'était, en ce qui regardait l'Aragon, enfreindre les décisions du saint-siège, et ne les observer qu'imparfaitement au sujet de la Sicile. Le traité allait toutefois être envoyé au pape pour être soumis à son adhésion, quand Alfonse mourut inopinément 5, laissant comme plus proche héritier ce même frère Jacques qui régnait à Palerme. Cette mort arrêta l'exécution du traité. Nicolas crut l'occasion favorable de faire enfin triompher les volontés, si longtemps méconnues, du saint-siège. Il somma encore une fois Jacques, qu'il qualifiait non pas roi, mais seulement fils de Pierre, jadis roi d'Aragon, de restituer à Charles II l'ile de Sicile, lui interdit d'intervenir dans le gouvernement du royaume d'Aragon, et le menaça, en cas de désobéissance, d'user contre lui des moyens ecclésiastiques et

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1. Il parait que dès 1290, il avait été couronné à Naples de la main d'un légat. Raynald. anno 1290, no 43.

2. Le 15 août 1890, Charles de Valois avait épousé une fille de Charles le Boiteux, Marguerite, qui lui apporta ces deux comtés en dot. Guil. de Nang. Chron. anno 1290.

3. Le texte de ce traité a été donné par Rymer, Fadera, t. I, pars III, p. 77, 78. Ce traité fut ratifié le 7 avril suivant par Charles II et Alfonse. 4. Voir, dans Rymer, ibid., p. 78, la déclaration des deux cardinaux que Nicolas avait envoyés au printemps de 1290 porter des plaintes à Philippe le Bel et auxquels fut remis ce traité pour être soumis au pape. 5. 18 juin 1291.

temporels. Il écrivit également aux évêques, aux abbés et à tout le clergé d'Aragon et leur défendit, sous les peines les plus sévères, de reconnaître Jacques pour roi. Ces nouvelles menaces furent aussi vaines que les précédentes. Informé de la mort d'Alfonse, Jacques quitta aussitôt la Sicile, dont il confia l'administration à un autre jeune frère du nom de Frédéric, et, ayant débarqué à Barcelone, il se rendit à Saragosse, où, le 24 septembre, il fut couronné roi, réunissant dès lors sous son pouvoir la Sicile et l'Aragon.

Tandis que Nicolas continuait de donner ainsi aux affaires politiques de l'Europe la plus grande partie de son attention, les chrétiens d'Orient, de plus en plus menacés par les Infidèles auxquels ils avaient dû rendre récemment la place de Tripoli, perdaient enfin la ville de Saint-Jean d'Acre 3, la seule qui leur restât en Terre sainte. Telle fut l'issue des guerres entreprises depuis bientôt deux siècles pour la conquête ou le recouvrement de la Palestine. Le projet de croisade qu'avait formé Grégoire X n'avait pas été, il est vrai, ouvertement abandonné; mais tout le zèle des papes qui lui avaient succédé s'était réduit à exiger la levée des décimes décrétées à ce sujet par le concile de Lyon1. Nicolas reprit alors un dessein trop longtemps oublié. Déjà, dans l'année qui avait précédé la chute de Saint-Jean d'Acre, les chrétiens de Syrie ayant envoyé vers lui pour demander des secours, il avait ordonné de prêcher de nouveau la croisade et écrit dans cette intention aux rois de France et d'Angleterre 7. Quand il apprit que cette ville, dernier rempart de la

1. 1er août 1291. Reg. de Nicol. IV, nos 6762, 6764-6774.

2. Assiégée au mois de mars 1288 et prise d'assaut par le sultan d'Égypte, Tripoli fut détruite et brûlée le 26 avril.

3. 13 mai 1291.

4. Honorius avait suivi sur ce point l'exemple de Martin IV et de Nicolas III. Voir les Reg. d'Honor. IV, éd. Prou, Introd. p. LXI-LXXI.

5. Sanut. I. III, part 12, c. 20.

6. 4 janvier 1290. Raynald. eod. anno, n° 1-6.

7. Raynald. ibid. no 9 et ss.

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religion en ces contrées, était enfin tombée, il s'efforça, par des instances réitérées et plus pressantes, de ranimer l'ardeur de la chrétienté en faveur de la Terre sainte. Le 1er août 1291, il publia une encyclique où, pour émouvoir la piété des fidèles, il employait toutes les figures et épuisait tous les moyens. de la rhétorique du temps 1. Il enjoignit à tous les métropolitains, comme à tous leurs suffragants, de faire prêcher la croisade, les premiers dans leurs provinces, les autres dans leurs diocèses. Il n'écrivit pas seulement aux divers souverains de l'Europe; il écrivit à l'empereur de Constantinople, au roi d'Arménie, envoya des lettres jusque chez les Tartares, qui étaient restés en relation avec le saint-siège depuis le concile de Lyon et dont il sollicita l'assistance 2. Rodolfe, à qui Grégoire X avait voulu confier le commandement de l'expédition contre les Infidèles, étant mort dans l'intervalle 3, il s'adressa plus particulièrement à Philippe le Bel, lui disant que c'était sur lui que l'Église et les princes jetaient les yeux en cette douloureuse conjoncture. Afin d'obtenir plus sûrement son concours, il écrivit aux prélats de France qu'il conjura d'intervenir auprès du roi et de tout faire pour entraîner avec lui la noblesse à la croisade. Tous ces appels furent vains. Les évêques de France, s'étant réunis dans des conciles provinciaux pour se concerter sur la conduite à tenir, envoyèrent au pontife, qui était alors à Rome, le résultat de leurs délibérations. Ce résultat était « qu'il fallait d'abord réconcilier les princes et pacifier les peuples, nommément les Grecs, les Siciliens et les Aragonais, après quoi, si le pape le jugeait opportun, on prêcherait la croisade par toute la chrétienté 5. »

1. Theiner, Mon. Polon. t. I, p. 103, n° 188.

2. Raynald. anno 1291, no 31, 32. Pour les rapports des Tartares avec le saint-siège sous Honorius, voy. l'introduction de M. Prou aux registres de ce pape.

3. 15 juillet 1291.

4. 23 août 1291. Raynald. eod. anno, no 20-22.

5. « Significaverunt quod prius oportebat barones et principes totius christianitatis adversus se invicem commotos sedare, et maxime Græcos,

Une semblable réponse était à la fois un refus et une leçon. C'était de toutes parts et sous toutes les formes que les leçons arrivaient au saint-siège; leçons salutaires, s'il eût voulu les entendre. Elles ne lui venaient pas uniquement des princes, qui, plus indifférents chaque jour à ses censures, bravaient son autorité, et des évêques, qui commençaient, dans une certaine mesure, à suivre l'exemple des princes. Le même esprit de hardiesse gagnait les parties éclairées des populations. On y imputait à la cour de Rome les divisions et les guerres qui troublaient les royaumes; on voyait en elle la première cause des abus qui déshonoraient l'Église. Mais c'était surtout contre ses propres excès que s'élevaient les récriminations. Dans des pamphlets publiés en France, en Angleterre, en Italie, en Allemagne, on lui reprochait ses exactions, ses entreprises ambitieuses et inconsidérées, son oubli de la religion. On faisait courir des Évangiles à son usage, où les mots secundum Marcum étaient remplacés par ceux-ci: Secundum marcas argenti1. Favorisée par ces attaques, l'idée de réforme gagnait du terrain. Dans un commentaire sur l'Apocalypse, qui, selon toute apparence, commençait alors à se répandre, un frère mineur, d'une foi vive et austère, Pierre Olive, avait reproduit, en les développant, les doctrines émises à la fin du pontificat d'Innocent IV dans l'Introduction à l'Évangile éternel 2. Il annonçait pour un temps prochain un nouvel état de l'Église. Il disait que, de même que Jésus-Christ était venu pour détruire

Siculos, Arragones ad pacem trahere; ac sic demum, si bonum sibi esset, crucem auctoritate sua in toto christianitatis imperio prædicare. » Guil. de Nang. Chron. anno 1291.

1. Hist. littér. t. XXII, p. 154, 466 ; t. XXV, p. 27, notice sur Joseph Le Clerc. par Renan. - Bossert, Littérature allemande au moyen-âge, p. 380, 381, 401: Voir dans la Revue historique, novemb.-décemb. 1892, p. 281-311, les extraits qu'a donnés M. Ch. Langlois d'un poème satirique composé vers 1281 par un prêtre du nom de Jean et trouvé dans les mss. de la Bibliothèque du Mans.

2. Sur la vie et les œuvres de Pierre Jean Olive, voir Hist. littér. t. XXI, p. 41-56.

la synagogue, saint François avait été envoyé de Dieu pour détruire l'Église appelée universelle, catholique et militante, Église viciée par tous les abus, bien qu'elle pût contenir en son sein quelques âmes pures, comme on découvre parfois, dans un sol souillé, des parcelles d'or; que l'Église romaine, en particulier, était l'épouse adultère désignée par l'Apôtre, et que le pape était l'Antéchrist; qu'à la suite d'une persécution violente exercée contre les hommes de foi, l'Église présente, charnelle et corrompue, tomberait pour faire place à l'Église spirituelle, et que dès lors le règne de l'Esprit s'ouvrirait sur la terre.

Ce n'étaient pas seulement les âmes pieuses ou les esprits mystiques qui avaient le pressentiment d'un changement prochain dans le régime de l'Église et plus particulièrement dans la constitution du saint-siège. Un écrivain profane, qu'on a lieu de croire originaire d'Allemagne et qui déplorait, avec la faiblesse où depuis Frédéric II était tombé l'Empire, les désordres et les maux qui en avaient été la suite, traçait, peu après l'élévation de Nicolas IV au pontificat, ces mots caractéristiques, dans lesquels on découvrait comme une prédiction des graves événements qui allaient bientôt s'accomplir. «< Si nous parcourons les annales des temps passés, écrivait-il, nous voyons que, lorsqu'en 1220 Frédéric II reçut la couronne des mains du pape Honorius, l'Empire se trouvait dans un état très puissant. Mais, à partir de cette époque jusqu'au concile de Lyon auquel présida Grégoire X, cinquante années environ s'écoulèrent, pendant lesquelles l'Empire avait tellement faibli que ce n'était plus qu'un souvenir. Le sacerdoce romain, au contraire, s'était accru au temporel et au spirituel à ce point, que non seulement le clergé et les peuples chrétiens, mais aussi les rois du monde, les Grecs, les Tartares, rassemblés aux pieds du pontife de Rome, parurent alors reconnaître les prétentions du saintsiège à la monarchie universelle. Or, comme l'Empire ne peut plus descendre à moins de périr tout à fait et que le saint-siège ne peut plus guère monter sans renoncer à sa

LA COUR DE ROME . T. II.

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