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contre lui, mais du traité conclu entre le roi de Sicile et Baudouin, le monarque grec voulut reprendre ces négociations pendant la vacance du saint-siège, et, au lieu de s'adresser aux cardinaux, il s'adressa à Louis IX; il le pria de régler, comme arbitre, les conditions de cette union, en l'assurant d'avance de son entière adhésion à celles qu'il lui conviendrait de fixer. Louis désirait assurément la conversion des Grecs; mais, avec ses scrupules habituels, il crut qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer sur une question d'ordre spirituel, et il déclina la mission qui lui était offerte. Il promit néanmoins à Michel Paléologue d'aider de tous ses efforts à une union si désirable et envoya aux cardinaux deux frères mineurs pour les instruire de la demande de l'empereur et de sa propre réponse 1. Cette démarche faite auprès de Louis IX ne montrait pas seulement en quelle estime on tenait le caractère du roi de France; elle prouvait que, même dans les choses de la foi, son jugement inspirait plus de confiance que celui des princes de l'Église, et, en honorant le monarque, elle accusait la cour de Rome.

Ce fut quelques mois après cet incident que Louis se rendit à Aigues-Mortes, d'où il s'embarqua, le 1er juillet 1270, pour aller mourir sous les murs de Tunis. Sa mort fut admirable, comme sa vie avait été exemplaire. L'Église devait bientôt le canoniser, et il était digne en effet du nom de saint, si ce nom pouvait convenir à un homme qui a porté l'épée. Il n'avait pas seulement été un grand roi, maintenant avec fermeté, dans ses relations avec les souverains étrangers, l'honneur et l'indépendance de sa couronne; dans le gouvernement des peuples que le ciel lui avait confiés, il n'avait jamais considéré que leur intérêt. Par sa piété éclairée, par sa modestie, sa droiture, par son amour pour les pauvres et les faibles, il s'était élevé au-dessus des hommes de son temps, et, vivant dans le siècle, il avait mérité d'être un modèle à l'Église

1. Raynald. anno 1270, no 1-5. Cf. Le Nain de Tillemont, Vie de S. Louis, t. V, p. 139-145.

LA COUR DE ROME. - T. II.

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même1. Tandis que les papes dont il avait été le contemporain, délaissant la religion pour la politique, avaient subordonné la justice à l'accomplissement de leurs desseins, Louis, haussant la royauté jusqu'à en faire un sacerdoce, avait subordonné, dans tous ses actes, la politique à la justice. Il avait porté le scrupule au point de céder à l'Angleterre des provinces de son royaume, en compensation de celles que son aïeul Philippe Auguste avait enlevées au roi Jean2. Tel était le renom de son intégrité, que Frédéric II l'avait demandé pour juge dans sa querelle avec le saint-siège, et que plus tard le roi et les barons d'Angleterre, divisés entre eux, l'avaient également choisi comme arbitre. En des occasions moins éclatantes, il avait, au même titre, réussi plus d'une fois à empêcher des conflits entre des princes et des seigneurs étrangers; et, dans l'année de sa mort, comme pour clore cette suite d'hommages rendus à son caractère, c'était à lui que s'adressaient les Grecs pour les réconcilier avec Rome. Il devait ainsi à ses vertus de remplir une mission qui avait été jadis celle de la papauté. Fait remarquable, et qui montrait combien cette papauté avait dégénéré! A une époque éloignée de près de deux siècles, où l'Église et le monde étaient profondément troublés, c'était à un pontife, à Grégoire VII, que la direction morale de la société avait appartenu; à l'âge suivant, cette direction avait été exercée, non plus par un pontife, mais par un abbé, par saint Bernard; et aujourd'hui celui aux mains de qui elle se trouvait remise n'était ni un pontife, ni un abbé, mais un roi.

La mort de Louis IX mit fin à une croisade que sa seule piété lui avait fait entreprendre. Après avoir conclu une trêve de dix ans avec les Infidèles, son fils aîné, Philippe III le Hardi, ramenant une armée décimée par les maladies, reprit le chemin de l'Europe. Il était accompagné de Charles d'An

1. Voir, à ce sujet, les excellents chapitres de Le Nain de Tillemont, Vie de S. Louis, t. V, p. 320 et ss.

2. Le Nain de Tillemont, t. IV, p. 157-166.

3. Id. t. V, p. 404-406.

jou, qui était lui-même arrivé à Tunis lorsque Louis IX venait d'expirer. Comme Philippe traversait l'Italie pour regagner la France, il passa par Viterbe où résidaient les cardinaux. Il les trouva dans les mêmes dissentiments qui les partagaient depuis la mort de Clément IV, et il les conjura de cesser un désaccord si funeste à l'Église. Le roi de Sicile suivit ce prince à Viterbe, moins, comme on peut le supposer, pour håter la décision du sacré collège que pour la diriger1. Les efforts de l'un et de l'autre furent vains. La vacance du saint-siège durait déjà depuis trente-deux mois, quand les cardinaux, cédant à la fois au mécontentement croissant des esprits et aux éloquentes remontrances du général des Frères mineurs, Bonaventure, résolurent de remettre leurs pouvoirs à six de leurs collègues, qu'ils chargèrent de procéder à l'élection du pape. Ces six cardinaux parvinrent du moins à s'entendre, et, portant leur choix hors du sacré collège, ils élurent, le 1er septembre 1271, Théalde, de la famille des Visconti de Plaisance et archidiacre de Liège, qui se trouvait alors à Saint-Jean d'Acre où il était allé pour visiter les Lieux saints. Informé de son élection par un message des cardinaux, Théalde s'embarqua aussitôt pour l'Europe, et, au mois de février 1272, il arrivait à Viterbe. De là, accompagné du roi de Sicile, il se rendit à Rome, où il fut sacré, le 27 mars suivant, sous le nom de Grégoire X. Charles d'Anjou, qui gouvernait la ville à titre de sénateur, y avait assuré la sécurité du saint-siège en y tenant étroitement les Gibelins. C'était, depuis la mort d'Alexandre IV, la première fois qu'un pape se montrait aux Romains.

1. Ptol. Luc. Hist. eccles. 1. XXII, c. 42.

2. Annal. Placent. Gibell., Pertz, ss., t. XVIII, p. 554.

Raynald. anno 1271. no 7-11. Gregorovius, Storia di Roma, t. V, p. 521. Le nouveau pape est nommé dans les chroniques Thealdus, Thebaldus, Thedaldus, Theardus, Theobaldus.

3. Voir, dans Raynald. anno 1271, no 15, 16, la lettre des cardinaux au nouveau pape.

4. Voir, à cette date, Potthast, Reg. pontif. Le pape avait pris le nom de « Grégoire » dès les premières lettres qu'il écrivit de Viterbe.

Il est vraisemblable qu'en arrêtant leur choix sur un homme qui n'était ni cardinal, ni évêque, et qu'aucune notoriété particulière ne désignait à leurs suffrages, les membres du sacré collège n'avaient cherché qu'à sortir d'embarras par une élection sans importance1. Le hasard voulut que ce choix fût heureux. De moeurs pures, pieux et ami de la paix, apportant sur le saint-siège un esprit étranger aux ambitions de la cour de Rome, avec un caractère ferme et difficile à circonvenir, Grégoire était assurément le meilleur pape qui, depuis le commencement du siècle, fùt monté sur le trône apostolique. Les cardinaux lui avaient mandé qu'un des motifs pour lesquels on l'avait élu était que, connaissant les besoins de la Palestine, il saurait juger des moyens les plus propres à la secourir 3. La Terre sainte fut en effet le principal objet de la préoccupation de Grégoire. En quittant SaintJean d'Acre, il avait fait le serment de ne jamais oublier Jérusalem. Dès son arrivée à Viterbe, il donna son attention aux intérêts des Lieux saints3. Il demanda aux villes de Pise, de Gênes, de Venise, de Marseille, un certain nombre de galères armées, qu'il expédia aussitôt aux fidèles d'outre-mer . Afin d'obtenir de plus grands secours, il résolut de réunir un concile général; et, à peine installé au palais de Latran, il adress à tous les princes et évêques de la chrétienté des lettres de convocation pour cette assemblée, dont il fixa la date au 1er mai de l'année 1274, se réservant d'en indiquer le lieu par des lettres ultérieures".

Si zélé que fùt Grégoire pour les affaires de la Terre sainte, elles n'étaient pas les seules qu'il avait le projet de traiter dans ce concile. Instruit des démarches de Michel Paléologue,

1. Gregorovius, Storia di Roma, t. V, p. 522.

2. Salimbene, Chron. p. 261, 265.

3. Voir dans Raynald. la lettre, citée ci-dessus, des cardinaux au pape. 4. « Si oblitus fuero tui Jerusalem, oblivioni detur dextera mea. » Mar. Sanut. Secreta. 1. III, pars 12, c. 13.

5. Potthast, Reg. pontif. nos 20510-20515.

6. Potthast, ibid. n° 20521.

7. 31 mars 1272. Reg. de Grégoire X, no 160, 161, éd. Grivaud, Thorin, 1892.

il accueillit avec ferveur la pensée de réconcilier les Églises grecque et romaine. Il manda à l'empereur d'envoyer des députés à cette assemblée, avec les pouvoirs nécessaires pour opérer cette union, l'assurant qu'une fois cette union accomplie il s'efforcerait de cimenter une paix durable entre lui et les Latins. Grégoire se proposait encore un autre objet. Il n'ignorait pas les désordres qui s'étaient introduits dans l'Église, et il avait résolu d'y remédier par de sérieuses réformes. Dans cette intention, renouvelant une mesure prise autrefois par Innocent III et restée inutile, il enjoignit aux évêques et aux supérieurs d'ordres monastiques de s'enquérir des abus qu'il convenait de corriger et de les noter en des mémoires qui lui seraient adressés avant la réunion du concile 2. Il n'attendit pas jusque-là pour donner des marques de sa pieuse vigilance. Usant, pour le bien de la religion, d'un droit que ses prédécesseurs s'étaient trop souvent attribué, il éleva de lui-même à l'épiscopat des ecclésiastiques dont il connaissait les mérites. Également attentif à la conduite des princes, il eût voulu proposer les vertus de Louis IX à l'imitation de tous les rois, et il ordonna au frère Geoffroy de Beaulieu, qui avait été le confesseur de ce monarque, d'écrire les détails. de sa vie, afin que de si admirables exemples ne fussent pas perdus pour le monde 4.

Le temps qui devait s'écouler jusqu'à l'ouverture du concile fut consacré par Grégoire à d'autres soins dignes de son caractère. Sans négliger tout à fait les intérêts temporels du saint-siège, il s'abstint de revendications qui eussent pu susciter des conflits, et, conformément à la décision de Clément IV,

1. 24 octobre 1272. Reg. de Greg. X, no 194. Cf. ibid. n° 195-199.

2. Voir les lettres de convocation, citées ci-dessus, du 31 mars 1272. Grégoire réitéra cette recommandation dans une encyclique du 11 mars de l'année suivante. Reg. de Greg. X, no 220.

3. Raynald. anno 1272, nos 67, 68.

4. Il donna cet ordre à Geoffroy de Beaulieu dès le 4 mars 1272. Raynall. eol. anno, no 59. Cf. Le Nain de Tillemont, Vie de S. Louis, t. V, p. 252-254. 5. Theiner, Cod. dipl. dom. temp. t. I, p. 176, no 324.

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