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Ces résistances, ces murmures témoignaient que la cour de Rome perdait de son action sur le clergé. Elle en perdait aussi et de plus en plus sur la société laïque. Les trop fréquentes excommunications que fulminait le saint-siège commençaient à ne plus troubler les princes. C'était même là un des griefs d'Urbain contre Manfred. « Cet homme pervers qui déchire le patrimoine de l'Église, écrivait-il, ne se contente pas de contester l'autorité que nous tenons du bienheureux Pierre; il ose braver les censures ecclésiastiques, et, en voyant son audace impunie, ceux qui tremblaient devant l'excommunication apprennent à la mépriser 1. » Ce mépris que montraient les princes pour les censures émanées du saint-siège, les autres séculiers le montraient pour les censures émanées des évêques. Il y eut même à ce sujet, à Paris, lors de l'assemblée du clergé du mois de novembre 1263, une démarche collective faite auprès de Louis IX par les évêques de France. « Sire, lui dit l'évêque d'Auxerre, les prélats qui se trouvent ici réunis m'ont chargé de vous faire savoir que la religion se perd entre vos mains et qu'elle se perdra encore plus, si vous n'y avisez; » et, comme le roi étonné demandait des explications: « C'est, ajouta l'évêque, que nul ne craint aujourd'hui une excommunication. Nous vous requérons donc de commander à vos baillis et à vos sergents que tous ceux qui resteront excommuniés un an et un jour soient contraints, par la saisie de leurs biens, à faire satisfaction à l'Église. » Le roi répondit qu'il accéderait volontiers à la requête des évêques, pourvu qu'on lui donnât connaissance des motifs de la sentence, afin qu'il pût savoir si elle était juste ou non; et sur ce que les prélats, se retranchant derrière leurs privilèges, déclaraient ne pas vouloir l'instruire de ce qui appartenait au for ecclésiastique, le roi re

manorum ad bursarum corrosionem. Exactiones, emunctiones, compulsiones, quæ factæ fuerunt pro ista decima.., exprimere non novi. » Chron. Lemovic. D. Bouquet, Rec. t. XXI, p. 770.

1. Cherrier, ouvr. cité, t. III, p. 153, d'après les registres du Vatican.

prit qu'il ne transmettrait aucun ordre à ses sergents; «< car, si je le faisais, disait-il, j'agirais contre Dieu et contre le droit. » Par cette réponse, qui reproduisait en termes plus nets celle que, dans une circonstance particulière, il avait faite jadis à l'archevêque de Reims 2, Louis n'insinuait pas seulement qu'on pouvait avoir des doutes sur l'équité des jugements prononcés par l'Église; il semblait dire que, dans l'intérêt même de la religion et du droit, ces jugements devaient être ratifiés par les pouvoirs séculiers.

On eut une autre preuve, non moins significative, de cet amoindrissement de l'Église dans ses rapports avec la société laïque. En obtenant d'Urbain d'être relevé des serments prêtés par lui au parlement d'Oxford, le roi d'Angleterre avait excité chez ses barons un mécontentement qui s'était enfin traduit par une révolte ouverte, suivie bientôt de la guerre civile. Le pape, qui pressait alors Henri III de renoncer au trône. de Sicile, se crut obligé d'intervenir en sa faveur, et un légat, le cardinal Guy Le Gros, du titre de Sainte-Sabine, fut envoyé en Angleterre pour rétablir la paix. Des bulles dont il était muni lui donnaient pouvoir d'excommunier les rebelles et, au besoin, de faire prècher la croisade contre ceux qui ne se soumettraient pas au roi et à l'Église ; car, par une témérité plus dangereuse encore pour elle que pour ses adversaires, la cour de Rome était maintenant portée à user de ce moyen extrême dans toutes les occasions où on lui résistait. Loin de céder aux menaces du pontife, les barons fermèrent au légat l'entrée du royaume. Ils ne refusèrent pas toutefois de traiter avec le roi, qui, de son côté, se montra disposé à quelque accommodement. Mais, au lieu d'accepter l'intervention d'Urbain, ils firent ce que Frédéric II avait voulu faire au cours de sa lutte avec le saint-siège; ils s'adressèrent à Louis IX, et, lui demandant de s'interposer comme ar

1. Joinville, Hist. de S. Louis, édit. N. de Wailly, c. cxxxv, p. 451, 452. 2. Voir p. 107 de ce volume.

3. 27 novembre 1263. Potthast, Reg. pontif. n° 18725.

bitre, s'engagèrent, d'avance et par écrit, à se soumettre à sa décision. Le roi de France consentit à s'acquitter de cette mission, et, le 23 janvier 1264, dans une assemblée solennelle à Amiens, où se trouvaient, avec le roi d'Angleterre et les députés des barons, un nombre considérable de princes, de seigneurs et de prélats, il rendit sa sentence1. Les troubles, il est vrai, ne tardèrent pas à renaître. Il n'en est pas moins digne de remarque que Louis IX accomplit alors par le seul ascendant de son caractère ce que n'avait pu faire le chef de l'Église par son autorité.

1. Pour toute cette affaire, voir Le Nain de Tillemont, Vie de S. Louis, t. IV, p. 291-305.

II.

CLEMENT IV, GRÉGOIRE X.

1265-1276.

Urbain n'était pas destiné à voir la fin de ses entreprises contre Manfred. Il mourut le 2 octobre 1264 à Pérouse, où il s'était réfugié pour échapper aux poursuites du roi de Sicile. Comme à la mort d'Alexandre IV, plusieurs mois s'écoulèrent avant qu'on élût un autre pape. Les affaires de Sicile n'étaient pas étrangères aux dissentiments qui partageaient alors le sacré collège. Parmi les cardinaux, il en était qui demandaient qu'on se rapprochât de Manfred; les autres, en majorité, repoussaient tout accord avec ce prince et voulaient qu'on procédât sans retard à un arrangement définitif avec Charles d'Anjou. Ce dernier parti prévalut, et, le 5 février 1265, les suffrages se portèrent sur le cardinal Guy Le Gros, le même qui avait été envoyé en Angleterre pour y ramener la paix. Né en Provence, ayant été évêque de Nice, puis archevêque de Narbonne, il avait connu Charles d'Anjou et était du nombre des cardinaux qui lui étaient favorables'. On louait la sévérité de ses mœurs et son savoir. Tandis que plusieurs des papes qui l'avaient précédé avaient profité de leur situation pour accroître celle de leurs proches et les pourvoir de dignités, il s'abstint, durant son pontificat, de tout acte de

1. Ptol. Luc. Hist. eccles. 1. XXII, c. 29, 30. Cf. Potthast, Reg. pontif. (Notice préliminaire sur Clément IV.)

ce genre. Mais sa piété et ses lumières n'allèrent pas jusqu'à l'éloigner de la politique dangereuse qu'avaient suivie ses devanciers. Lorsqu'il apprit le choix dont il était l'objet, il revenait de son inutile mission en Angleterre et se trouvait déjà en Italie. Il se dirigea aussitôt vers Pérouse, où, dix-sept jours après son élection, il fut sacré sous le nom de Clément IV.

Le successeur d'Urbain ne devait pas tromper les vœux du parti qui l'avait élu. Dès le 26 février, alléguant qu'aucun des engagements contractés par le roi d'Angleterre n'avait été exécuté, il révoquait de son autorité la concession faite à Edmond, son fils, du royaume de Sicile 2. Par des lettres du même jour, il ordonnait au cardinal de Sainte-Cécile, Simon, maintenu dans sa légation au delà des Alpes, de se rendre auprès de Charles d'Anjou et de s'entendre avec le frère de Louis IX « toutes affaires cessantes 3. » Il lui ordonnait en outre de presser la levée des décimes accordées à ce prince par le saint-siège, menaçant de suspendre de leur office et, au besoin, de frapper d'excommunication les ecclésiastiques qui se refuseraient au paiement de la taxe 4. Il lui enjoignit également de faire prêcher de nouveau la croisade contre Manfred, et autorisation fut donnée de convertir les voeux pour la Terre sainte en un vou pour la Sicile . Enfin, dans les derniers jours du mois de mars 1265, deux délégués du saint-siège partaient de Pérouse pour porter au frère du roi de France le texte du traité définitivement arrêté par la cour apostolique. En ce qui regardait la dignité sénatoriale, il était dit que, si le comte d'Anjou réussissait à s'emparer

1. Voy. une lettre de ce pape à son neveu Pierre le Gros, du 7 mars 1265, dans Martene, Thes. anecd. t. II, p. 110.

2. D'Achery, Spicileg. t. III, p. 648-650. Le 26 juin suivant, Henri III, se conformant aux exigences du saint-siège, délivra un acte régulier de renonciation à la couronne de Sicile.

3. Martene, Thes. anecd. t. II, p. 101.

4. 19 mars 1265. Reg. de Clém. IV, no 217, éd. Jordan, Thorin, 1893.

5. 20 mars 1265, Martene, Thes. anecd. t. II, p. 113.

6. 7 mars 1265. Reg. de Clém. IV, no 216.

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